Du céleri pas cher... aux frais des travailleurs migrants

Dossier : Souveraineté alimentaire

Du céleri pas cher... aux frais des travailleurs migrants

par Martha Steigman

Martha Steigman

Cela fait déjà au moins 60 ans que l’on observe une augmentation du nombre de fermes industrielles au Québec, une augmentation qui se fait aux dépens des fermes familiales. Cependant cette tendance a été exacerbée par le libre échange. Dans le secteur horticole (production des fruits et légumes), l’utilisation de la main-d’œuvre demeure intense. Un des ingrédients nécessaires à la consolidation agroindustrielle du secteur horticole est donc la disponibilité de nombreux travailleurs précaires disposés à accepter les conditions de travail difficiles de ce secteur. Les grandes fermes ont besoin de travailleurs just-in-time [en flux tendu] – et le Programme fédéral des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS) répond à ce besoin.

Saint-Rémi est une ville différente les jeudis soirs : le stationnement de l’épicerie est plein d’autobus et le centre-ville est plein de Mexicains. Les travailleurs agricoles de Saint-Rémi font partie des 20 000 travailleurs migrants que les fermiers industriels canadiens embauchent chaque année à travers le programme PTAS. Ce programme existe depuis la fin des années 1960, mais il a grandi en importance avec l’augmentation de l’agriculture industrielle. Sans le PTAS, l’agriculture industrielle ne pourrait pas survivre.

« Ils nous traitent comme des esclaves », affirme Egidio au sujet du PTAS. À 69 ans, il a travaillé huit mois par année sur des fermes canadiennes durant les 20 dernières années, mais il reste loin de pouvoir accéder à la résidence permanente ou de réclamer le chômage auquel il contribue depuis 20 ans. Les conditions de vie sont horribles, il déteste son employeur et il est outré par toutes les déductions enlevées de son chèque de paie par le gouvernement canadien. Il y a une atmosphère de peur parmi ses collègues – ils savent que s’ils résistent à l’exploitation de leur employeur, ils ont de bonnes chances d’être renvoyés chez eux. Mais, à 7,95 $ de l’heure et 80 heures par semaine, Egidio ne pourrait pas gagner autant chez lui, et il ne peut pas compromettre la survie de sa famille. Alors, malgré ses frustrations, il reviendra l’année prochaine si l’occasion se représente.

Les organisateurs du Centre d’appui pour les travailleurs et travailleuses agricoles migrants du Québec se rendent à Saint-Rémi chaque semaine. Leur Winnebago sert de centre d’information mobile. « Même si ces gens viennent au Québec comme partie d’un programme de travail légal, ils se sentent et agissent comme s’ils étaient des sans-papiers – ils ont peur de défendre leurs droits ! Ils ne savent même pas quels sont leurs droits » explique une des organisatrices. « Notre objectif primaire est de les éduquer sur leurs droits du travail ici au Canada. »

FERME, l’organisme créé afin de coordonner le PTAS au Québec, est un consortium de représentants agroindustriels. Les fermes industrielles ont besoin d’un bassin de main-d’œuvre docile et bon marché – exactement ce qui est fourni par le PTAS. Le programme a l’air bien sur papier : le PTAS répond aux lacunes de main-d’œuvre, appuie la venue de travailleurs du sud au Canada légalement où ils font des salaires comparativement meilleurs et évitent les risques de la migration illégale. Mais la structure du programme laisse les travailleurs sans défense face à l’exploitation de leurs employeurs.

En théorie, c’est la responsabilité du Consulat mexicain de défendre les travailleurs – mais il n’y a que deux agents pour le Québec entier et les heures d’ouverture du Consulat sont de 10h à 15h – ce qui ne convient pas du tout avec les horaires des travailleurs. « Le Consulat est sous la botte du FERME. Ils font ce que le FERME leur dit », explique une organisatrice du Centre. La raison de cette servilité ? L’argent envoyé au Mexique par les travailleurs migrants est la deuxième source de devises étrangères pour le Mexique – après le pétrole.

Le gouvernement canadien ne fait pas plus quant à la défense des droits des travailleurs. En 2006, les travailleurs du PTAS ont contribué pour 11 million $ à la caisse de l’assurance-emploi, cependant qu’aucun d’entre eux ne peut réclamer de prestations. Après 30 ans de négligence, le ministère des Ressources humaines et du Développement social du Canada, responsable du programme, a récemment accepté de mener une enquête sur les conditions de logement, en réponse aux vives pressions des groupes venant en aide aux travailleurs migrants.

Pour l’instant, il y a très peu d’organisations qui offrent de la solidarité aux travailleurs PTAS au Québec. C’est seulement avec l’action de groupes comme le Centre d’appui, avec la collaboration des mouvements syndicaux et sociaux, que le gouvernement peut être forcé à assurer l’amélioration des conditions de travail du PTAS.

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