Dossier : Souveraineté alimentaire

En conclusion

Le Québec et la souveraineté alimentaire

par Marie-Hélène Côté

Marie-Hélène Côté

De plus en plus de gens à travers le monde se préoccupent des impacts écologiques, sanitaires, sociaux et culturels de l’agriculture industrielle et de plus en plus d’agriculteurs-trices aimeraient se libérer des contraintes de l’industrie agricole globalisée. Ainsi, après des années à vivre sous le régime de la libéralisation économique en folie et davantage d’années encore à observer les effets de l’industrialisation de l’agriculture et de l’agroalimentaire, les groupes et les citoyennes identifient concrètement les menaces posées, élaborent des stratégies et ont redoublé d’efforts pour les faire connaître sur la scène publique en 2007.

Dans la foulée du Forum international Nyéléni sur la souveraineté alimentaire, qui s’est déroulé au Mali en février 2007 (voir l’article d’Elsa Beaulieu), l’Union paysanne et la Chaire de recherche du Canada en éducation relative à l’environnement de l’UQAM ont organisé le colloque « De la sécurité à la souveraineté alimentaire ». Une centaine de personnes – producteurs et productrices, intervenantes communautaires, travailleurs et travailleuses agricoles, spécialistes, citoyennes et autres – se sont rassemblées à Montréal, les 23 et 24 mars 2007, pour discuter de visions approfondies de la souveraineté alimentaire et d’alternatives concrètes à l’organisation actuelle des échanges et de la production agroalimentaire.

Il en est ressorti que la justice sociale et le respect de l’environnement sont au cœur du concept de souveraineté alimentaire. Le fait que les aliments, la terre et l’eau soient traités comme toute autre marchandise entraîne des inégalités dans l’accès aux moyens de production, aux aliments et aux ressources naturelles. Le système actuel entraîne aussi des pertes de liberté, de sécurité et de dignité pour les producteurs et productrices, les travailleurs et travailleuses et pour les mangeurs et mangeuses. De même, il occasionne des pertes de biodiversité, de qualité des produits, de connaissances traditionnelles, ainsi que des conséquences environnementales que l’on commence à peine à saisir. Par conséquent, le concept de sécurité alimentaire rimant plutôt avec approvisionnement alimentaire minimal et ne permettant pas d’appréhender l’ensemble de ces enjeux, celui de souveraineté alimentaire s’est imposé graduellement.

Selon Assetou Foune Samake, de l’Institut de recherche et de promotion des alternatives en développement, au Mali, qui était une conférencière invitée à ce colloque : « La nourriture, c’est une pratique, une histoire, un patrimoine. On voit là tout le rôle central des femmes. La transformation des aliments a suivi tout un cheminement de connaissances. […] et maintenant, on veut garder notre manière de manger et de préparer. » Elle résumait là le point de vue des participantes au colloque pour qui la souveraineté alimentaire « implique que l’on puisse faire le choix non seulement de ce que l’on mange, mais aussi de la manière dont on produit et dont on consomme. Elle doit se bâtir dans le respect de la culture locale [1]. »

De plus, les participantes s’entendaient pour dire que la souveraineté alimentaire doit passer, d’une part, par l’information des citoyennes sur les aliments et la manière dont ils sont produits et, d’autre part, par l’autonomie des fermes. Cela implique que les agriculteurs-trices aient le droit de produire autrement et jouissent de la liberté d’association et de mise en marché. Ces préoccupations se sont d’ailleurs retrouvées parmi les recommandations adressées à l’État québécois à l’issue du colloque et ont été déposées à la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois (CAAAQ).

Cette commission a connu une bonne participation du public et des gens travaillant dans l’agriculture et dans l’agroalimentaire. Elle a tenu des audiences publiques régionales de février à juin 2007, dans 15 régions et 27 municipalités, puis des audiences nationales à Québec et à Montréal au début septembre. Diverses organisations, des groupes d’intérêts et des citoyennes y ont déposé 694 mémoires et y ont fait davantage encore de présentations orales [2]. Certains enjeux reliés à l’agriculture durable et à la souveraineté alimentaire sont revenus fréquemment sur la table et plusieurs personnes affiliées à l’UPA ou sympathisantes y ont défendu le système de gestion de l’offre dans un contexte de libéralisation des marchés agricoles.

La CAAAQ avait reçu le mandat, en juin 2006, d’entendre les préoccupations des citoyennes, de recueillir leurs propositions d’alternatives et de formuler des recommandations pour l’avenir de ce secteur d’activités. Au moment d’aller sous presse, elle aura probablement déposé son rapport auprès du ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, Laurent Lessard. Reste à voir le contenu du rapport et les suites qui lui seront données dans un contexte de cartel où l’unique syndicat agricole fait la loi et où il faut remettre en question l’organisation de la production agroalimentaire et des échanges.

À la rentrée 2007, les audiences nationales de la CAAAQ et le forum « D’abord nourrir notre monde » ont ramené l’agriculture et la souveraineté alimentaire dans les médias et dans les conversations. Ce congrès, aussi appelé « Rendez-vous québécois pour la souveraineté alimentaire », était organisé par la coalition GO5 – un regroupement voué à la défense du système de la gestion de l’offre –, Équiterre et la Coop fédérée (voir l’article de Maxime Laplante). L’Union paysanne ainsi que des producteurs et productrices partenaires d’Équiterre dans l’agriculture soutenue par la communauté ont alors dénoncé l’affiliation de cet organisme avec l’UPA et sa stratégie de « petits pas ». Pour eux, il était clair que le tout s’insère dans une stratégie de l’UPA pour redorer son image : répondre aux préoccupations des citoyennes en parlant de souveraineté alimentaire sans remettre en cause le productivisme sur lequel est fondé son monopole.

Le Rendez-vous comportait deux activités principales : une grande conférence et un sommet. La conférence du 6 septembre était donnée par trois invités de marque et a attiré près de 800 personnes qui ont pu entendre des analyses intéressantes sur les impacts de la libéralisation des marchés agricoles sur la santé, l’environnement, la biodiversité et les sociétés. Toutefois, quand quelqu’un du public a demandé l’opinion des conférenciers et conférencières sur la gestion de l’offre comme outil de souveraineté alimentaire, ils-elles ont habilement évité de répondre… Puis, le sommet du lendemain a été l’occasion pour des producteurs et productrices et des représentantes de diverses organisations d’échanger sur les défis auxquels ils font face dans le contexte actuel.

Les « promoteurs et promotrices de la souveraineté alimentaire » réunies à cette occasion ont produit une déclaration qui a été déposée à la CAAAQ. Ils et elles y affirment entre autres que « tout comme il l’a fait pour la reconnaissance de l’exception culturelle à l’Unesco, le Québec doit, avec le Canada, assumer un leadership international dans la promotion de l’exception agricole et du droit des peuples à la souveraineté alimentaire [3]. » Au terme du congrès, les participantes se sont quittées avec la volonté de continuer à sensibiliser et à mobiliser leurs concitoyennes et les élues. Et, dans le vocabulaire ambiant, l’UPA et compagnie avaient réussi à faire de la gestion de l’offre un synonyme de souveraineté alimentaire.

Ce thème a donc été central lors du 83e Congrès général de l’UPA, le 5 décembre dernier. Une résolution pour faire de la souveraineté alimentaire le fer de lance d’un nouveau projet de contrat social a été adoptée à l’unanimité par les déléguées. Bien que Laurent Pellerin n’ait pas été réélu à la tête de l’organisation, le nouveau président de l’UPA, Christian Lacasse, a affirmé sa volonté de continuer à travailler en ce sens.

Puis, le 11 décembre dernier, le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation a annoncé un investissement de 14 millions de dollars sur trois ans dans une campagne visant à favoriser l’achat local d’aliments québécois : « Le Québec dans votre assiette ». La majeure partie de l’argent sera investie dans la promotion et l’identification des produits québécois, alors que d’autres sommes iront aider les producteurs et productrices dans le marketing et la distribution des produits.

Grosse année, donc, au cours de laquelle on a assisté à des événements marquant un début d’aboutissement de luttes menées de longue haleine. Depuis que Via Campesina a fait connaître son concept de souveraineté alimentaire sur la scène internationale, en 1996, des milliers d’autres organisations paysannes, féministes, écologistes, de coopération internationale et des groupes communautaires œuvrant en sécurité alimentaire à travers le monde se sont joints au mouvement. Ils ont travaillé à l’analyse des enjeux auxquels font face l’agriculture et l’agroalimentaire, à l’élaboration du concept de souveraineté alimentaire et d’alternatives concrètes, puis à leur mise en œuvre. Ils ont réussi à attirer l’attention sur la crise que vit le monde agricole.

Par exemple, la création de la CAAAQ résulte peut-être en partie des revendications de l’Union paysanne pour que se tiennent des États généraux de l’agriculture, de l’alimentation et du territoire, mais aussi de l’intérêt croissant de la population pour l’alimentation et pour l’environnement et des problèmes de voisinage dans le monde rural.
L’UPA et la Coalition GO5 ont été relativement rapides à sentir le mouvement des dernières années et habiles à récupérer le travail d’autres groupes, puis à l’apprêter à leur sauce. Il sera intéressant de voir où cela mènera, si leurs actions seront cohérentes avec les principes de la souveraineté alimentaire et s’ils iront jusqu’à remettre en question l’organisation actuelle de la production et des échanges.


[1De la sécurité à la souveraineté alimentaire. Mémoire présenté à la CAAAQ par les participantes au colloque des 23-24 mars 2007 portant le même nom, p. 8.

[3Déclaration D’abord nourrir notre monde – Pour un contrat social renouvelé sur la base de la souveraineté alimentaire : www.nourrirnotremonde.org

Thèmes de recherche Agriculture et alimentation
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