Droits et responsabilités sont-ils compatibles ?

No 34 - avril / mai 2010

Droits et responsabilités sont-ils compatibles ?

Cécile Sabourin

Plus que jamais, les réalités qui se dissimulent derrière le mot RESPONSABILITÉ sont inquiétantes. Lorsque nos gouvernants – le gouvernement Harper par exemple – affirment agir de manière responsable, il est devenu impossible de les croire. Ce n’est pas un hasard ! On a confié beaucoup de responsabilités formelles aux gouvernements en prenant pour acquis que c’était leur rôle de voir à notre bien-être. Nos espoirs sont largement déçus.

La collusion entre les élites politiques et économiques, désormais ouverte, s’exprime sans réserve. Les idéologies de droite – néolibérale, conservatrice, néoconservatrice – bien implantées dans les orbites du pouvoir imposent une conception individualiste de la responsabilité. Les décideurs se donnent le pouvoir de se soustraire à leurs obligations et de nous confier ce qu’ils considèrent être nos devoirs. On en privilégie les dimensions formelles, juridiques, moralisatrices – autorité, mandat, reddition de comptes, devoir, obligation, etc. – au détriment d’une conception incluant la prise en charge, l’engagement, la volonté de participer et de prendre part aux décisions.

Devons-nous à titre de citoyens renoncer à reprendre l’initiative de définir nos propres responsabilités et celles de nos dirigeants et représentants ? Peut-on et veut-on policer la société au point de ne compter que sur le système légal pour le respect de nos droits ?

Nous abordons ces questions en reconnaissant que la reprise en mains par les citoyens de leurs droits démocratiques exige le développement d’une culture de responsabilités. Nous traitons de la responsabilité en lien avec les droits, le pouvoir de participer à la construction du monde et la mouvance internationale vers la responsabilisation.

Y a-t-il des droits sans responsabilités ?

Les crises environnementales, sociales, financières et alimentaires requièrent des solutions urgentes. Les personnes et organisations formel-lement en autorité sont loin d’y faire face à la mesure des attentes et des besoins. Les valeurs de justice, équité, solidarité et paix n’orientent
généralement pas les décisions ayant le plus grand impact sur l’avenir des sociétés. Un nouvel ordonnancement des valeurs s’impose.

Les droits fondamentaux sont bafoués, les territoires sont exploités sans respect pour leurs habitants, les intérêts des élites financières sont privilégiés. Pourtant des chartes internationales et nationales affirment l’obligation pour les signataires de respecter les droits fondamentaux – politiques, sociaux, économiques.

Au sortir de la Deuxième guerre mondiale, les gouvernements ont fondé l’Organisation des Nations Unies (ONU) dont la Charte, signée en 1945 par 50 pays, énonçait des objectifs et moyens d’assurer la paix et la sécurité dans le monde, le respect des droits des peuples, la coopération
internationale. En 1948, 58 États adoptent la Déclaration universelle des droits de l’Homme, entendons des droits humains. Le Québec se dote en 1975 de la Charte des droits et libertés de la personne et le Canada adopte la Charte canadienne des droits et liberté en 1982.

Nous possédons collectivement des outils pour exiger le respect de nos droits. Toutefois, les dirigeants et les personnes œuvrant aux divers échelons des gouvernements et organisations semblent impuissants à faire respecter les droits fondamentaux énoncés dans les chartes et déclarations. Le statu quo et les mesures actuelles sont de toute
évidence insuffisantes.

C’est dans ce contexte qu’est née l’initiative de favoriser, à partir de la base, l’émergence d’une culture de responsabilités et de privilégier cette voie pour insuffler un mouvement visant la construction de sociétés plus justes, équitables et solidaires et conséquemment le respect des droits humains.

L’idée n’est pas nouvelle puisque foisonnent les initiatives volontaires – déclarations et chartes sur les responsabilités - dont on peut encore difficilement mesurer l’ampleur. Un projet particulièrement connu est celui de la Charte de la Terre [1], pensé par des leaders convaincus de la nécessité « de promouvoir la transition vers des modes de vie durables et une société globale sur la base d’un cadre éthique partagé amplement qui inclut le respect et le soin de la communauté de vie, l’intégrité écologique, les droits humains universels, le respect de la diversité, la justice économique, la démocratie et une culture de paix ». D’autres initiatives émergent d’associations et regroupements qui énoncent pour leur secteur des principes de responsabilité : entreprises, regroupements professionnels, etc.

Les droits et les responsabilités constituent les deux faces d’une même médaille ; les uns ne seront respectés que si les gouvernements, entreprises, organisations et individus se sentent concernés par ce qui les entoure et s’engagent dans des actions pour faire respecter les droits individuels et collectifs. Nous faisons le pari que plus on parlera et discutera des motifs et principes qui fondent l’engagement et la prise de responsabilités envers les humains, la nature, la planète, plus on réalisera l’ampleur du mouvement en marche et surtout on trouvera des pistes pour le renforcer.

Reprendre collectivement notre pouvoir de participer à la construction du monde

En dépit de tous les efforts passés, concrétiser les conditions d’un monde plus juste, équitable, solidaire et pacifique demeure un défi gigantesque. L’initiative de la Charte des responsabilités humaines [2] entend y contribuer par le développement d’une culture de responsabilités.

L’originalité de cette initiative est d’abord d’initier ce processus à partir des lieux dans lesquels chacun d’entre nous est actif, à titre de citoyen, d’électeur, d’élu, de travailleur, de gestionnaire, de mère, père, enfant, en somme dans tous les lieux où nos actions ont un impact.

L’Équipe internationale de facilitation et les membres des comités nationaux agissent en étant confiants que la réflexion et les échanges mèneront à des actions concrètes puisque développer une culture de responsabilités relève d’un processus qui se construit par la participation. Ils collaborent à cette initiative parce qu’ils considèrent qu’une société devient démocratique à la mesure de l’engagement des personnes aux niveaux individuel, collectif et citoyen. Aussi longtemps que l’un d’entre nous résiste à assumer des responsabilités, en accord avec ses ressources, la réalisation de sociétés plus justes, équitables, solidaires et pacifiques demeure bien improbable.

Instaurer un réel questionnement sur les responsabilités, en particulier celles des dirigeants politiques, économiques, sociaux et communautaires, est devenu incontournable afin de contrer le sentiment d’impuissance et le défaitisme actuels. Cela est particulièrement urgent pour éviter le renforcement des contrôles étatiques ou même les changements « cosmétiques » privilégiés par les autorités politiques en réponse aux graves problèmes que connaît la planète. Prendre nos responsabilités, chacun à la mesure de nos moyens et fonctions dans la société permet de reprendre du pouvoir (empowerment) ainsi que d’initier une transformation des rapports de pouvoir.

S’inscrire dans une mouvance mondiale

Basée sur un constat plutôt pessimiste concernant l’état de la planète, l’initiative d’une Charte des responsabilités humaines a vu le jour il y a près de 20 ans afin de combattre l’impuissance rampante découlant des réactions inappropriées de la classe dominante aux problèmes majeurs auxquels l’humanité est confrontée. Cette initiative, animée par une Équipe internationale, a des assises sur tous les continents où sont menées des actions adaptées aux contextes des 18 comités d’animation.

Le texte résulte de multiples discussions, débats et traductions [3]. Il prend la forme de 10 principes, un pré-texte, au sens où il reste à parfaire, mais aussi un prétexte pour parler de culture de responsabilités et amorcer la réflexion menant à l’action. Les principes se déclinent selon les cultures, les milieux, les secteurs d’activités humaines et c’est bien cette diversité permettant une appropriation adaptée selon les contextes qui donne toute sa richesse à une mouvance déjà présente sur tous les continents [4].

Des convictions profondes rassemblent les collaborateurs du projet. Nous n’acceptons pas que les élus, leurs éminences grises et leurs think tanks de droite s’arrogent le droit de spolier le discours et de confisquer le terme RESPONSABILITÉ. Nous savons que plusieurs décideurs s’accommodent bien du fait de transformer en exécutants ou revendicateurs les personnes et organisations de la société civile qui veulent « un autre monde ». Nous rejetons l’approche qui campe les rôles des décideurs et du reste de la société civile sans respect des valeurs démocratiques fondamentales et du partage équitable des responsabilités en fonction des ressources et entre la collectivité et les individus.

Le débat sur la pertinence d’une Charte des responsabilités humaines reprend régulièrement. Une telle Charte, éventuellement une Déclaration, au niveau international deviendrait un troisième pilier [5] applicable à tous les domaines de l’activité humaine, affirmant la nécessaire répartition - proportionnelle aux moyens - des responsabilités. En somme, elle érigerait la « coresponsabilité » en objectif à atteindre.

L’initiative de la Charte des responsabilités humaines prétend donner un souffle nouveau à la nécessité exprimée sur de nombreuses tribunes. Il est temps qu’elle devienne un point de ralliement porteur d’espoir.


[1Voir notamment : Charte de la terre, http://www.earthcharterinaction.org/contenu/ ; A Declaration of Human Responsibilities, proposé par the InterAction Council, 1e septembre 1997. http://www.interactioncouncil.org

[2Voir les sites international et régional du Québec/Canada : http://www.charte-responsabilites-humaines.net/spip.php?page=sommaire&lang=fr et http://respoinfo.org/blogue/

[3La version actuelle, adoptée en 2007, est la quatrième. La Charte a été traduite et adaptée en plusieurs langues, offrant à chaque fois l’occasion d’approfondir le sens des concepts et d’établir des ponts entre les cultures. http://www.charte-responsabilites-humaines.net/spip.php?page=world&lang=fr.

[4Voir Responsabilité et cultures du monde, coordonné par Édith Sizoo, Éditions Charles Léopold Mayer, 2008.

[5Ajouté à la Charte des Nations Unies et à la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

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