Diversité sexuelle et éducation

No 55 - été 2014

Éducation

Diversité sexuelle et éducation

Entretien avec Michel Dorais

Normand Baillargeon, Michel Dorais

À bâbord ! : M. Dorais, en plus d’une réédition de Mort ou fif, un ouvrage paru en 2000 et abordant les thèmes de l’intimidation et du suicide chez les jeunes gais, vous venez de publier De la honte à la fierté, une enquête menée auprès des jeunes de la diversité sexuelle. Ces ouvrages présentent un grand intérêt pour les éducateurs. Mais avant de les aborder, et pour le bénéfice de nos lecteurs et lectrices qui ne vous connaîtraient pas, pouvez-vous vous présenter brièvement ?

Michel Dorais : Après des études mouvementées (dans les années de contestation étudiante du milieu des années 1970, lesquelles m’ont beaucoup formé), j’ai été intervenant en protection de la jeunesse auprès des victimes d’exploitation ou d’agressions sexuelles et des jeunes LGBTQ (lesbiennes, gais, bisexuel·le·s, transgenres et transsexuel·le·s, queers). C’était tellement nouveau à l’époque que je trouvais peu de documentation utile. En fait, les écrits disponibles transmettaient souvent une vision péjorative de ces jeunes. On minimisait l’ampleur et les séquelles des abus sexuels, de la prostitution juvénile et de l’homophobie affectant les ados. Plus souvent qu’autrement, on blâmait même les victimes ! J’ai donc commencé moi-même à publier (grâce à Jacques Lanctôt, mon premier éditeur) et à poursuivre des études avancées afin de développer mes connaissances, élargissant mes horizons sur le thème de la sexualité et des réactions qu’elle suscite. Après avoir travaillé quelques années à monter des programmes en prévention (sida, homophobie, criminalité juvénile), je suis devenu professeur à l’Université Laval, ce qui m’a permis de poursuivre comme chercheur le travail de réflexion amorcé il y a 35 ans.

ÀB ! : Qu’est-ce qui vous a incité à réaliser cette enquête rapportée dans De la honte à la fierté ? Aviez-vous des hypothèses à vérifier ? Et comment avez-vous procédé ?

M.D. : On voudrait croire que le sort des jeunes de la diversité sexuelle s’est amélioré. Pourtant, on entend encore parler de harcèlement, d’intimidation, voire de suicides d’adolescents LGBTQ. Comment l’expliquer ? C’est pour le savoir et pour pallier un manque de connaissances sur le vécu de ces jeunes qu’a émergé l’idée de cette enquête exploratoire sur les problèmes que rencontrent ces jeunes, mais aussi sur leur résilience.

Venait alors de paraître en France l’enquête Être homo aujourd’hui en France (H&O, 2012) menée auprès de 500 jeunes LGBTQ, dont j’avais supervisé l’analyse à la demande du Refuge, organisme pour jeunes LGBTQ se retrouvant à la rue. Vu le bon accueil reçu par cette recherche là-bas (avec la publication de longs articles dans Le Monde notamment), en plein débat de société sur l’ouverture du mariage aux conjoint·e·s de même sexe, il était tentant de développer un projet similaire au Québec, mais en ciblant cette fois spécifiquement le vécu à l’adolescence. Car c’est à ce moment-là qu’il y a le plus de vulnérabilité, montrait clairement l’enquête française (et aussi ses équivalents américains).

Nous avons procédé avec des questions de nature quantitative (des chiffres) et qualitative (des témoignages), 37 en tout. Nous avons opté pour un questionnaire en ligne. Trente organismes touchant les jeunes LGBTQ ont accepté de participer en plaçant un lien permettant d’accéder à notre questionnaire sur leur site ou leur page Facebook. Il nous a fallu six mois pour dépasser le cap minimal des 250 personnes que nous nous étions fixé, car nous tenions à rejoindre uniquement des 14-21 ans – un public pas facile à rejoindre.

« La première chose que doit faire le milieu scolaire, c’est reconnaître l’existence même des adolescents LGBTQ et leur vulnérabilité à l’intimidation, au sentiment de honte, à l’isolement, aux menaces ou violences, aux idées suicidaires et aux tentatives de suicide. Une telle prise de conscience devrait amener l’école à être beaucoup plus inclusive de la diversité sexuelle. »

ÀB ! : La question est un peu injuste, mais je la risque quand même : pourriez-vous indiquer quelques-unes des plus importantes révélations, à vos yeux, de cette enquête ?

M.D.  : La « découverte » de son orientation sexuelle survient de plus en plus tôt : en moyenne à 12 ans chez les garçons, à la fin de leur 13e année chez les filles. Ils et elles commencent à révéler leur orientation sexuelle à leurs proches à 15 ans, en moyenne. Malgré leur grand souci d’authenticité, il y a énormément de peur à ce sujet, les jeunes craignant le rejet (et n’ayant pas de « plan lequel elles et ils sont harcelés. C’est la raison pour laquelle des messages de soutien et de valorisation des différences, y compris sur le plan de l’expression du genre et des préférences amoureuses, sont absolument nécessaires. »

ÀB ! : Qu’est-ce que le ministère de l’Éducation, les commissions scolaires, les directions d’école et les enseignant·e·s devraient retenir de tout cela ?

M.D.  : La première chose que doit faire le milieu scolaire, c’est reconnaître l’existence même des adolescents LGBTQ et leur vulnérabilité à l’intimidation, au sentiment de honte, à l’isolement, aux menaces ou violences, aux idées suicidaires et aux tentatives de suicide. Une telle prise de conscience devrait amener l’école à être beaucoup plus inclusive de la diversité sexuelle, notamment en ce qui concerne le matériel scolaire, plutôt conservateur, le contenu des cours, les activités de sensibilisation, etc. Pour ce faire, il faut que les directions, les enseignant·e·s et le personnel de soutien soient eux-mêmes beaucoup plus sensibles au vécu des jeunes LGBTQ. Cela implique une meilleure formation de base sur ces réalités (l’université a un retard considérable à rattraper sur ce plan), mais aussi l’offre de formations continues permettant de pallier des manques actuellement criants. L’Institut national de la santé publique du Québec offre depuis 20 ans les formations « Pour une nouvelle vision de l’homosexualité » et « Intervenir dans le respect de la diversité des orientations sexuelles » ; le ministère de l’Éducation aurait grand avantage à s’en inspirer, voire à les adapter à ses besoins.

De plus, les programmes de prévention concernant l’intimidation devraient d’emblée inclure la lutte contre le sexisme (en particulier le dénigrement des caractéristiques considérées féminines ou androgynes), contre l’hétérosexisme (dénigrement des orientations autres que l’hétérosexualité exclusive) et l’homo­phobie, la lesbophobie et la transphobie (dénigrement de tout ce qui suggère l’homosexualité, le lesbianisme, le transgenrisme/le transsexualisme). Cela implique aussi que de l’information et du soutien soient rendus disponibles pour les jeunes de la diversité sexuelle, tant sur un plan individuel que sur un plan collectif. Ainsi, le développement de groupes « d’allié·e·s », mis sur pied pour et par des jeunes de la diversité sexuelle et leurs ami·e·s, devrait être encouragé, en particulier dans les écoles secondaires alors que les jeunes LGBTQ sont à l’âge le plus vulnérable.

Pour le moment, même lorsque l’on dénonce les méfaits du harcèlement homophobe, on insiste sur ce qu’il ne faut pas faire. Or, les campagnes de prévention qui fonctionnent proposent des conduites positives et valorisantes ; le « ne pas » ne suffit guère. Apprendre les uns des autres, semblables ou différents, voilà la meilleure façon d’intégrer les différences qui sont sources de stigmatisation. C’est la raison pour laquelle il importe de présenter des modèles diversifiés, y compris dans le matériel scolaire, dans les activités scolaires ou parascolaires et dans les figures adultes de référence. On doit, par exemple, comprendre que les jeunes LGBTQ intimidés vivent une double honte : la honte d’être harcelés et la honte du motif pour lequel elles et ils sont harcelés. C’est la raison pour laquelle des messages de soutien et de valorisation des différences, y compris sur le plan de l’expression du genre et des préférences amoureuses, sont absolument nécessaires. On le sait : le silence est toujours le meilleur allié de la honte et de l’intimidation. L’école doit cesser de se comporter comme si ces jeunes n’existaient pas. Son silence porte en lui-même un message préjudiciable pour les jeunes LGBTQ : « Vous ne méritez pas que l’on se préoccupe de vous. »

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