Une boutique érotique, vue de l’intérieur

Dossier : Sexe

Dossier : Sexe

Une boutique érotique, vue de l’intérieur

Mélanie Dion

Mélanie est une femme de 34 ans, mariée, en relation polyamoureuse. Elle a été coiffeuse, photographe et elle est maintenant assistante-gérante dans une boutique érotique à vocation commerciale où elle met à profit son intérêt pour la sexualité humaine.

À bâbord ! : Bonjour Mélanie, peux-tu nous raconter comment tu es arrivée à ce poste ?

Mélanie : J’ai postulé, passé une entrevue et suivi une semaine de formation pendant laquelle on nous apprend à connaître les produits. J’ai passé la première journée à goûter et toucher des lubrifiants pour connaître leurs caractéristiques, puis après les autres produits. Ça demande des connaissances spécifiques, après un an et demi, je dois parfois encore me référer aux fiches techniques avant de recommander un produit à un·e client·e. Comme salarié·e, on a de bons rabais sur le matériel du magasin ; c’est un avantage, car on peut l’essayer pour mieux conseiller ensuite. Mais n’importe qui peut postuler pour cet emploi, il faut juste être à l’aise avec la sexualité et le fait d’en parler, et ne pas avoir de jugement par rapport aux orientations et aux pratiques sexuelles de la clientèle. La discrétion est aussi bien sûr de mise.

ÀB ! : En tant qu’employé·e·s, vous jouez un rôle d’éducation sexuelle auprès de la clientèle, non ?

M. : Ça dépend des employé·e·s. Moi, oui, parce que j’ai un intérêt personnel à le faire, mais on est aussi là pour faire des ventes, parfois j’entends des collègues dire des choses inexactes ou d’une façon que je ne considère pas appropriée. La plupart sont étudiant·e·s et ont moins de six mois d’ancienneté – c’est une job, pas une vocation. Mais on donne de l’information par rapport aux produits et à leur utilisation, par exemple qu’un dildo doit avoir une base élargie pour être utilisé analement. Un cas courant, c’est lorsqu’un homme vient acheter un jouet pour sa conjointe. Il faut souvent expliquer qu’il n’est pas garanti que sa partenaire trouvera son utilisation agréable ou qu’elle aura un orgasme avec celui-ci. On doit souvent partir de la base, de la nécessité de communiquer et de prendre son temps, de parler du fait que le contexte a un impact sur la sexualité et la capacité à avoir un orgasme… On parle aussi beaucoup du plancher pelvien et de son rôle dans la santé sexuelle féminine ; on vend beaucoup de boules chinoises.

ÀB ! : Tu travailles dans un sex-shop commercial. Quand j’ai regardé sa page Facebook, les publicités étaient assez sexistes et ce n’était pas toujours du matériel de première qualité.

M. : On vend ce qui est populaire… Cinquante nuances de Grey, moi je ne voulais pas vendre ça, ça donne un mauvais nom au BDSM, c’est violent et en plus c’est mal écrit. Mais ça marche et ça a poussé les ventes de menottes et de bandeaux pour les yeux. Mais tout ne passe pas ; à un moment les employé·e·s ont refusé de vendre un jeu érotique tellement il était sexiste.

ÀB ! : Dans d’autres villes canadiennes, il y a des sex-shops coopératifs comme Venus Envy ou Come As You Are dont la mission principale est l’éducation sexuelle. Penses-tu qu’il faudrait avoir le même type de boutique à Montréal ?

M. : C’est plus que nécessaire, c’est un besoin criant. Je suis biaisée parce que j’aime mon travail, mais en même temps, sa mission et ses valeurs ne me rejoignent pas. On vend parfois des choses de mauvaise qualité. C’est super hétéro-centré, on ne rejoint pas beaucoup les communautés LGBTQ. Mais aussi, parfois tu sens que tu as un impact positif sur les gens et leur sexualité, le fait de les écouter, de ne pas les juger, tu vois que ça leur fait tomber une petite pression, leurs épaules se relâchent… Moi, c’est une de mes motivations, d’accompagner les gens dans l’exploration de leur sexualité. Une chance qu’il y a ça parce que ce n’est pas le salaire qui est motivant…

ÀB ! : Quand on pense sex-shop, on pense immédiatement au monsieur glauque avec un grand imperméable… Dans la vraie vie, qui fréquente ces boutiques ?

M. : On a parfois de ces individus, mais c’est loin d’être représentatif. Si on fait des catégories, il y a les hommes de plus de 40 ans qui viennent acheter des DVD le matin quand il n’y a personne dans le magasin, les groupes de filles qui viennent acheter leur premier jouet ensemble, les couples dont les enfants sont grands et qui veulent remettre du piquant dans leur vie. C’est très varié !

ÀB ! : Quelles sont les tendances en ce moment ?

M. : Avec l’arrivée des vibrateurs rechargeables, il y a une amélioration globale de la qualité parce que ce sont des produits qui coûtent cher, avec une garantie, en silicone. Les dildos sont aussi plus créatifs, plus éloignés en forme et en couleur d’une représentation du pénis. Mais on est « soft » en comparaison avec d’autres boutiques érotiques de Montréal, nous on vend des licornes et des paillettes ! On n’a plus de latex, on est une place commerciale, sur une rue passante…

ÀB ! : Ton mot de la fin ?

M. : Il y a vraiment du travail. Montréal est une ville réputée pour sa liberté de mœurs, pour être sans tabous, mais on n’a pas d’éducation sexuelle. Il existe un programme en sexologie à l’UQAM, mais il est contingenté. On met des femmes nues sur les publicités et on prétend être à l’aise avec la sexualité, mais on est au final peu informé·e·s et on n’a toujours pas les ressources nécessaires pour vivre des sexualités épanouies. Faut que ça change.

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