À quoi rêvent les algorithmes. Nos vies à l’heure des big data

No 66 - oct. / nov. 2016

Dominique Cardon

À quoi rêvent les algorithmes. Nos vies à l’heure des big data

Philippe de Grosbois

Dominique Cardon, À quoi rêvent les algorithmes. Nos vies à l’heure des big data, Paris, Seuil, 2015, 106 pages.

Ces dernières années, le terme d’algorithmes s’est fait une place dans les conversations quotidiennes, reflétant en cela leur influence croissante dans nos vies, mais aussi un souci grandissant à propos de leur rôle, particulièrement à l’égard de l’accès au monde extérieur et des relations sociales que nous entretenons par leur intermédiaire. Dans À quoi rêvent les algorithmes, un ouvrage bref mais dense, Dominique Cardon fournit un éclairage raffiné et très utile sur ces questions.

« Comme la recette de cuisine, un algorithme est une série d’instructions permettant d’obtenir un résultat », explique Cardon d’entrée de jeu. L’algorithme est d’abord une série de calculs, une manière de traiter un grand nombre de données. Refusant une critique distanciée et souvent paresseuse, Cardon propose « d’allonger les algorithmes sur le divan », ou autrement dit, « d’entrer dans les calculs, d’explorer leurs rouages et d’identifier leurs visions du monde ». Car il existe plusieurs familles d’algorithmes, qui mesurent des aspects distincts de nos vies numériques. Suite aux mesures d’audience (donc de popularité), proches des « cotes d’écoute » de la télévision et de la radio, Google a innové avec son PageRank, basé sur l’autorité des sites (mesurée par les hyperliens provenant d’autres sites). Les médias sociaux ont consacré les mesures axées sur la réputation (pensons au fameux J’aime de Facebook), alors que les mesures prédictives, pour leur part, se glissent sous le Web en relevant les traces de nos activités.

Plus qu’un ouvrage sur Internet et le numérique, À quoi rêvent les algorithmes est aussi une réflexion sur les mutations de la statistique, qui peut aussi interpeller les mathématicien·ne·s et les méthodologues des sciences sociales. « Entrées dans les subjectivités contemporaines », les statistiques construites sur la base des algorithmes sont aussi une réponse à une logique de personnalisation et à une croissance de l’expressivité des individus. Autrement dit, et un peu paradoxalement, la montée des algorithmes est liée au caractère plus insaisissable de l’individu contemporain. Les algorithmes permettent de catégoriser le social et de rendre les comportements et préférences prévisibles – rappelant parfois l’habitus de Bourdieu – mais ils le font par le bas, par une sorte d’induction, à la manière de Google Traduction qui ne « comprend » pas les langues, mais traduit sur la seule base de correspondances statistiques.

Loin des dénonciations simplistes, Cardon cherche à dévoiler la dynamique complexe entre « une puissance d’agir de plus en plus forte des individus et des systèmes sociotechniques imposant, eux aussi, des architectures de plus en plus fortes  ». En cela, il jette l’éclairage sur une nouvelle manière de faire société, qu’il importe de comprendre pour en éviter les pièges.

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