Trudeau confronté à ses généreuses promesses

No 62 - déc. 2015 / janv. 2016

Emplois et protection sociale

Trudeau confronté à ses généreuses promesses

Léa Fontaine

Justin Trudeau, fraîchement élu premier ministre du Canada, a formulé de très nombreuses promesses au fil de la très – trop – longue campagne électorale. Il s’agit ici de faire état de quelques-uns de ses engagements en matière de travail et de protection sociale. Dressons le portrait de ce qui nous a été promis en 2015, nous en ferons le bilan lors de chaque anniversaire de son mandat. Précisons d’emblée que le choix des mesures est arbitraire : celles que je n’évoque pas ici n’en sont pas moins importantes.

Syndicalisme fédéral

L’une des premières promesses formulées concerne le syndicalisme fédéral. Il s’agirait de l’abolition des lois C-377 et C-525. Cette mesure ne demanderait que très peu d’effort ; l’effet recherché est peut-être de se rallier une partie du monde syndical. Mais dans les faits, les choses risquent d’être bien plus compliquées que cela. En effet, la négociation collective des fonctionnaires canadiens en cours ne se déroule pas très bien, c’est le moins que l’on puisse dire.

Ainsi pour illustration, en juin 2015, l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) a déposé une plainte devant la Cour supérieure de l’Ontario contre le projet de loi C-59, adopté quelques jours plus tôt, en vue d’en contester le caractère constitutionnel. De plus, en septembre 2015, les syndicats canadiens de la fonction publique fédérale ont déposé une plainte auprès de l’Organisation internationale du travail (OIT) à l’encontre du gouvernement du Canada. Les syndicats l’accusent d’avoir enfreint la convention internationale no 98 protégeant le droit de négociation collective des travailleuses et travailleurs (1949). Cette violation serait issue du projet de loi fédéral C-59, qui permet à l’employeur d’abolir unilatéralement les congés de maladie des fonctionnaires pour leur imposer un régime d’invalidité de courte et de longue durée non négocié. Or, les dispositions de ce projet, qui empêchent la négociation collective, vont totalement à l’encontre de son caractère constitutionnel, tel qu’affirmé par la Cour suprême du Canada (Health Services and Support, 2007).

Assurance-emploi

Une autre réforme majeure annoncée concerne l’assurance-emploi. Dans les faits, selon la promesse du premier ministre Trudeau, les chômeurs n’attendraient plus jusqu’à six semaines ou plus pour obtenir un soutien financier, mais une semaine seulement ; par ailleurs, le caractère saisonnier de certains emplois serait pris en compte. Difficile à évaluer si le gouvernement Trudeau va réellement mettre en œuvre cette mesure alors que le saccage de l’assurance-emploi bat son plein depuis des années.

Si l’on écoute le Mouvement Action-Chômage (MAC) de Montréal, nous n’avons « rien à attendre de ces gens […]. Leur crédibilité est en dessous de zéro. On s’est fait avoir en 1996 : de belles promesses écrites et signées puis, une fois élus, le saccage continu, en plus monstrueux  ». Selon le MAC et Comité chômage de l’est de Montréal (CCEM), « la réforme conservatrice a eu pour conséquence de réduire pour tous la liberté de choisir un emploi convenable et d’enfermer les travailleurs et travailleuses précaires encore plus dans le cercle de la pauvreté et de l’exploitation à outrance ». Le CCEM prétend qu’« en abolissant les conseils arbitraux et les juges-arbitres, le seul objectif visé par ce gouvernement était de restreindre la possibilité des prestataires de contester les décisions de la Commission de l’assurance-emploi  ». Ces deux groupes communautaires proposent trois séries de mesure à mettre en œuvre rapidement. En raison de leur caractère technique, je vous épargne les détails que vous pouvez toutefois retrouver sur le site du MAC. Il serait inespéré que les libéraux s’attaquent à la réforme de l’assurance-emploi. Essayons d’y croire !

Emploi des jeunes

Le haut taux de chômage chez les jeunes atteint 13,1 % au Canada, soit le triple de celui des Cana­dien·ne·s de 25 ans et plus. Le constat est dur. Justin Trudeau a beaucoup misé sur les promesses électorales visant les jeunes et la création d’emplois. Elles se déclinent ainsi : 1) renoncement, dans certains cas, aux cotisations à l’assurance-emploi de tout employeur offrant un emploi à temps plein à des jeunes de 18 à 24 ans, entre 2016 et 2018, et ce, pendant 12 mois. Selon les libéraux, cette mesure coûterait quelque 1,5 milliard sur quatre ans, ce qui aiderait au moins 125 000 jeunes à trouver un emploi ; 2) paiement jusqu’au quart du salaire d’un·e étudiant·e en coopérative, jusqu’à concurrence de 5 000 $, pour tout nouveau poste créé ; 3) embauche de 5 000 jeunes pour travailler en tant que guides et interprètes au sein de Parcs Canada et augmenter à 35 000 le nombre d’emplois financés par le gouvernement fédéral dans le cadre du programme Emplois d’été Canada.

Qui va payer cela ? Le premier ministre se dit prêt à créer de nouvelles ponctions fiscales pour arriver à ses fins et présenter des budgets déficitaires, le temps de relancer la croissance économique. Mais avouons-le, l’enjeu est énorme et la réalisation de cette promesse délicate. Cette promesse met Justin Trudeau sur une pente glissante ; à ce titre, il est certain qu’il sera sous la lumière des projecteurs.

Santé canadienne

Le gouvernement libéral vise l’amélioration des soins à domicile, des services en santé mentale et de l’accès aux médicaments sur ordonnance. La promesse électorale a pris la forme d’une volonté de relancer les discussions en vue de la conclusion d’un nouvel Accord sur la santé avec les provinces et les territoires, dont un accord de financement à long terme. Il faudrait : 1) investir trois milliards de dollars au cours des quatre prochaines années pour donner la priorité de l’offre de nouveaux services de soins à domicile aux Canadiennes et aux Canadiens et pour améliorer les services existants ; 2) améliorer l’accès aux médicaments d’ordonnance et la réduction des coûts liés à ces derniers ; 3) cesser les compressions budgétaires ; 4) proposer une collaboration pancanadienne sur l’innovation en santé ; 5) augmenter l’offre de services de santé mentale de première qualité.

Si le secteur de la santé et des services sociaux est crucial au sein de notre société – pour s’en convaincre, il suffit d’observer les nombreuses grèves en cours en ce moment dans le cadre des négociations collectives –, son financement est difficile et les gouvernements ont souvent pelleté en avant. Les promesses bienveillantes seront très coûteuses. Celles-ci ont été bien accueillies par certains syndicats. Trudeau va-t-il être en mesure de tenir le cap ?

À quoi s’attendre ?

Les promesses sont ambitieuses et demanderont un très important investissement financier. Le programme est-il réaliste ? Les bottines vont-elles suivre les babines ? Afin de suivre de près la réalisation des promesses électorales du premier ministre, il faudra notamment éplucher les projets de loi, ce qui sera fait. Mais de manière un peu plus ludique, il est aussi possible de suivre le Trudeau-mètre.

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