C-38, ou le non-jeu parlementaire

No 46 - oct. / nov. 2012

Politique

C-38, ou le non-jeu parlementaire

François Rocher

Le projet de loi C-38, déposé le 29 mars et adopté le 18 juin 2012, a fait l’objet de critiques tant pour son étendu, son contenu que la manière dont il fut adopté. Ses 424 pages, 753 articles et plus de 60 modifications législatives ont fait en sorte qu’il fut qualifié d’éléphantesque, de mammouth, de monstre législatif.

Son contenu fut voué aux gémonies en raison de la multitude et de l’ampleur des changements proposés : réforme de l’assurance-emploi ; modifications au régime de sécurité de la vieillesse ; transformation en profondeur des règlements et des processus de protection de l’environnement ; abrogation de la Loi de mise en œuvre du Protocole de Kyoto ; abolition du poste d’inspecteur général du Service canadien de renseignement et de sécurité ; modification de la Loi sur l’équité en matière d’emploi ; transformation de la politique canadienne d’immigration ; abolition et modification de la composition et des mécanismes de nomination de plusieurs organismes réglementaires, etc. Enfin, il fut conspué par tous les partis politiques siégeant dans l’opposition parce que son adoption fut forcée, l’étude de ses composantes escamotée et les 871 amendements proposés rejetés. Les conservateurs furent accusés d’avoir abusé de leur pouvoir, refusé d’écouter l’opposition et détourné les institutions parlementaires de leur sens et de leur fonction.

La ligne de défense des troupes de Stephen Harper était assez simple : nous avons été élus par la population, nous détenons un mandat et nous disposons maintenant de la majorité pour faire adopter nos lois. Les travaux du Parlement ne doivent pas faire l’objet d’obstruction de la part des partis d’opposition. En somme, les Canadiens s’attendent à ce que nous gouvernions, alors nous gouvernons ! Donc, il n’est pas question de prolonger indûment les débats ou même de scinder C-38 en fonction de son principe de base ou de son objet fondamental, d’introduire des projets de loi pour chacun des sujets qui n’avaient rien ou peu à voir avec les dispositions du budget.

Les remparts contre l’autoritarisme ébranlés

Sur le plan de la pratique et des principes qui guident les institutions parlementaires canadiennes, un tel raisonnement est problématique. Il en vient à réduire comme une peau de chagrin le rôle que doivent jouer les partis d’opposition. Ce rôle n’est pas codifié, mais s’inscrit dans une tradition qui plonge ses racines dans le fair play britannique, cette propension à jouer franc jeu, à avoir une conduite honorable, à respecter l’adversaire. Même si le parti au pouvoir sait qu’il peut imposer ses orientations, il accorde néanmoins aux autres partis la possibilité de faire entendre la pluralité des opinions et des options. C’est ce qui permet au régime de ne pas sombrer dans l’autoritarisme. Il n’existe formellement, en dehors des tribunaux qui peuvent intervenir pour faire respecter la Constitution, aucun contrepoids au pouvoir du premier ministre. La retenue vient du besoin, sinon de la nécessité, de faire accepter les décisions par le plus grand nombre et ainsi assurer les conditions d’une possible réélection. Dans ce contexte, le parti gouvernemental dispose de la légitimité démocratique pour faire adopter (avec ou sans amendements) ses projets de loi, mais le caractère démocratique du système parlementaire repose aussi sur la capacité des partis d’opposition de surveiller l’action gouvernementale, de faire entendre des points de vue différents, dissidents, minoritaires et, ultimement, de pouvoir se présenter comme des alternatives crédibles au parti au pouvoir.

C’est ce fair play qui indispose le gouvernement actuel. Pour les conservateurs de M. Harper, le Parlement est un lieu de palabres (définis comme des bavardages interminables et oiseux). Pourtant, dans la tradition parlementaire canadienne, il s’agit d’un lieu de débats (définis comme un ensemble de discussions animées portant sur des orientations et des idées parfois opposées). En ce sens, l’approche conservatrice remet en question non pas la légalité du vote entourant C-38, mais plutôt sa légitimité démocratique. Les partis d’opposition n’ont pu jouer adéquatement leur rôle.

La vie politique est un lieu où se déploie une certaine théâtralité. On connaît les règles du jeu, chacun respecte son rôle et sa réplique. Le processus ayant mené à l’adoption de C-38 peut être compris comme une réécriture unilatérale de la pièce et même des règles de la mise en scène. Évidemment, tout comme dans une pièce, l’auteur est maître du dénouement final. Mais il se doit de respecter les formes. C’est ce que Stephen Harper ne fait plus. Cela déconcerte les acteurs et les observateurs qui sont maintenant obligés de porter attention aux techniques de mise en scène.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème