Le monde en feu. Violences sociales et mondialisation

No 25 - été 2008

Amy Chua

Le monde en feu. Violences sociales et mondialisation

lu par Jean-Marc Piotte

Jean-Marc Piotte

Amy Chua, Le monde en feu. Violences sociales et mondialisation, Paris, Seuil, 2007

Amy Chua est une États-Unienne dont les parents faisaient partie de la puissante minorité chinoise des Philippines. Cette origine l’a sans doute sensibilisée au fait que la majorité des pays du tiers-monde seraient dominés économiquement par des ethnies qui y sont minoritaires : les Chinois en Asie du Sud-Est, les Indiens en Afrique orientale (Tanzanie, Ouganda…), les Libanais en Afrique occidentale (Sénégal, Sierra Leone, Mali…), les Blancs en Afrique du Sud et en Amérique latine, etc. Ces minorités, lorsqu’elles ne contrôlent pas directement le pouvoir politique, s’allient souvent avec un pouvoir autochtone corrompu dans ce que Chua nomme un capitalisme de copinage, comme au Myanmar (Birmanie) où la minorité chinoise marche main dans la main avec le pouvoir militaire.

Les Chinois, les Indiens, les Libanais ont développé, comme les Juifs, et pour des raisons culturelles qu’il faudrait analyser, des compétences dans le monde des affaires. Mais on trouve aussi des minorités ethniques autochtones qui ont développé de telles compétences, telle l’ethnie Kikuyu qui dominerait, avec la minorité libanaise, l’économie du Kenya. Ayant contrôlé de façon quasi continue le pouvoir d’État depuis l’indépendance, elle aurait tout naturellement utilisé ses propres compétences et celles de la minorité libanaise dans le développement économique des classes dominantes, de son ethnie et du pays. La victoire électorale vraisemblablement frauduleuse du présent régime a déclenché des campagnes de nettoyage ethnique entre, d’une part, Kikuyus et, d’autre part, Luos et Kalenjins, qui n’épargnent personne, y compris les exploités et les opprimés de quelque ethnie que ce soit.

Les États-Unis, en voulant imposer au monde, depuis le début des années 1980, un marché non régulé et une démocratie réduite au suffrage universel, ne peuvent qu’envenimer les haines ethniques entre des minorités privilégiées, arrogantes et méprisantes et des majorités pauvres, humiliées et envieuses. Car la libéralisation du marché enrichit considérablement les minorités ethniques économiquement dominantes, tandis que le suffrage universel accorde à la majorité la possibilité d’élire son propre gouvernement.

Ces conflits ethniques exacerbés ont différents débouchés. En Afrique du Sud, la majorité noire contrôle le gouvernement, mais croupit pour l’essentiel dans la pauvreté, tandis que la minorité blanche domine toujours l’économie. Dans l’État voisin, au Zimbabwe, la majorité s’est emparée des terres de la petite minorité blanche, mais s’enfonce dans la crise économique, les autochtones n’ayant ni les compétences, ni les réseaux internationaux pour faire fonctionner efficacement les grandes propriétés agricoles, tandis que le pays est soumis au blocus de l’Angleterre et des institutions internationales dominées par les États-Unis. Au Rwanda, la majorité hutu a tenté de faire disparaître la minorité tutsi dominante. En Yougoslavie, des purifications ethniques ont opposé la majorité serbe aux minorités croates et slaves économiquement plus prospères et aux Albanais dominés du Kosovo. Au Venezuela, Chavez, en s’appuyant sur les Amérindiens et les métis, a arraché le pouvoir à la minorité blanche, d’origine espagnole ou d’immigration plus récente, qui dominait, comme dans tous les pays d’Amérique latine, la vie politique depuis la colonisation.

L’auteure multiplie les exemples de pays où l’addition du marché non régulé et du suffrage universel, promu par les États-Unis, exaspère les conflits ethniques. Cette lecture m’a bouleversé, en me dévoilant l’ampleur et la complexité des antagonismes ethniques qui animent les événements internationaux et en défigurent les caractéristiques de classes.

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