Dossier : L’avortement, un droit

Regards croisés : génération 30 - 45 ans

Fermons le snooze !

par Nancy Burrows

Nancy Burrows

En janvier 1988, j’avais 20 ans et le monde me paraissait morose. Ronald Reagan était président des États-Unis, Brian Mulroney était premier ministre du Canada, le parti du Crédit social sous Bill Vander Zalm régnait dans ma province natale de la Colombie-Britannique, le Canada venait de signer le traité de libre échange avec les États-Unis… Tout pour décourager une jeune militante dans cette ambiance de « No future ».

Mais, en janvier 1988, j’avais 20 ans… alors en même temps tout me semblait possible, toutes les portes étaient potentiellement ouvertes devant moi, devant nous... Je me rappellerai toute ma vie comment j’ai fêté avec des amies militantes le jugement Morgentaler et la décriminalisation de l’avortement au Canada. C’était un si grand gain pour nous toutes, gagné à la sueur du front des féministes qui nous précédaient. C’est venu ponctuer la conjoncture déprimante avec la preuve que tout était effectivement possible, qu’on pouvait faire des gains importants malgré le pouvoir en place.

Vingt ans plus tard nous voilà toujours sous l’emprise d’une droite politique. Qu’est-ce qui a changé ? En plus d’être une droite sociale et économique, elle est devenue une droite morale et religieuse de plus en plus organisée et de moins en moins gênée de s’afficher et de faire des politiques anti-femmes. Et nous, militantes québécoises, sommes-nous en train de nous faire prendre en faisant une sieste sur nos lauriers ?

Au Québec, on a eu tendance à se croire à l’abri du vent de la droite qui souffle du Sud et de l’Ouest. C’est vrai qu’au Québec il y a un plus large consensus social qu’au Canada en faveur des idées et des politiques progressistes concernant les femmes, mais détrompons-nous, la droite religieuse et morale existe toujours au Québec. Par exemple, saviez-vous que le mot avortement a été prononcé lors de presque chacune des audiences publiques de la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables ? Eh oui, vous ne saviez pas que c’est la faute des femmes qui se font avorter que le Québec est obligé d’accueillir des « maudits immigrants » ? Si les femmes faisaient leur devoir et accouchaient d’une trôlée d’enfants comme dans le temps, on n’aurait pas tous ces problèmes ! Malheureusement, un certain nationalisme nataliste et nostalgique est bien en vie au Québec.

Malgré la mode récente d’affirmer que l’égalité entre les femmes et les hommes est une valeur fondamentale pour la société québécoise, le patriarcat est en très bonne santé au Québec, merci ! Et le contrôle du corps des femmes (entre autres par la maternité et la sexualité) est une pierre angulaire du patriarcat. Le discours « pro-famille » de l’ADQ et compagnie ne sort pas de nulle part et ce qui est inquiétant, c’est l’écho positif qu’il reçoit !

Vingt ans plus tard, la conjoncture est toujours déprimante et on a toujours des gains importants à faire sur plusieurs fronts. Quant à notre liberté de choisir comment disposer de notre corps, on a peut-être eu la tendance dangereuse à la prendre pour acquise. Mais c’est une lutte qui est loin d’être gagnée, nous avons non seulement des reculs importants à empêcher dans les mois à venir, mais aussi de nouvelles portes à ouvrir et des espaces à conquérir. Alors allez hop !, fermons le snooze les filles, debouttes !

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