Le droit peut-il sauver la planète ?

No 90 - décembre 2021

Environnement

Le droit peut-il sauver la planète ?

Geneviève Paul

On voit de plus en plus de combats écologiques se dérouler sur la scène juridique. Le droit est-il vraiment efficace pour protéger l’environnement, et si oui, jusqu’à quel point ?

Face à l’urgence climatique, le temps est plus que jamais à l’action, et les moyens de résister ou de construire se multiplient. Quelle est la place du droit dans la mobilisation pour forcer les gouvernements à assumer leurs obligations ?

Le droit est un outil indispensable aux luttes sociales. Dans certaines circonstances, le droit et les changements législatifs peuvent devancer les changements sociétaux. Dans d’autres, le droit permet de cristalliser le résultat de luttes menées au fil des ans. Après tout, il est lui-même un phénomène social et son évolution est intimement liée à celle de la société. Le droit de l’environnement ne fait pas exception.

De fait, le droit de l’environnement peut être un outil efficace, dans la mesure où il est adéquat et respecté. Notre organisme à but non lucratif, le Centre québécois de l’environnement (CQDE), s’est donné pour mission d’utiliser le droit pour protéger l’environnement et de mettre une expertise juridique indépendante au service de la population. Au quotidien, nos juristes utilisent le droit pour intervenir dans des dossiers allant de la protection de milieux humides à la défense d’individus victimes de poursuites-bâillons, en passant par le développement d’analyses juridiques et de recommandations pour faire évoluer le droit.

Que ce soit en démontrant comment l’Assemblée nationale du Québec dispose de tous les pouvoirs nécessaires pour mettre fin – sans indemnisation – aux activités d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures sur le territoire ou en défendant avec succès devant les tribunaux les espèces menacées comme la rainette faux-grillon, de nombreux dossiers ont rencontré des fins heureuses parce que des actions judiciaires ont été entreprises et gagnées, parce que des lois ont été modifiées et parce que des groupes citoyens outillés ont su défendre leurs droits.

L’importance de la mobilisation citoyenne

Or, le respect des lois en vigueur n’implique pas automatiquement une protection complète de l’environnement. En effet, si le cadre législatif et réglementaire est faible ou insuffisant, une application rigoureuse de celui-ci peut équivaloir à un coup d’épée dans l’eau. Trop souvent, le droit de l’environnement se résume à une manière d’encadrer la pollution. Les dernières décennies ont démontré que le droit s’est avéré inefficace pour prévenir les lourdes conséquences de l’étalement urbain, la perte dramatique de milieux humides et hydriques, la fragilisation des espèces vivantes, etc.

Le droit de l’environnement ne peut se contenter de régir le droit de polluer. Il doit aussi servir à la justice écologique. C’est ici qu’entre en jeu la mobilisation citoyenne, clé de voûte pour faire évoluer le droit.

Dans plusieurs dossiers, le CQDE le constate : la population peut jouer un rôle déterminant lorsqu’elle se mobilise. Partout au Québec, des mobilisations citoyennes ont permis de mettre fin à des projets nocifs pour l’environnement et contribuent à accélérer la transition. C’est par exemple le cas du projet GNL Québec d’Énergie Saguenay, que le gouvernement a officiellement rejeté en juillet 2021. Cette décision fait suite à une importante mobilisation regroupant des membres des communautés scientifique, étudiante et environnementale ainsi que des membres des Premières Nations. Ces personnes ont notamment fait entendre leur voix lors des audiences publiques menées par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), auxquelles elles ont participé en nombre record.

La participation citoyenne aux consultations gouvernementales et municipales sur des enjeux qui touchent à la protection de l’environnement n’est jamais vaine. Les personnes élues à tous les paliers de gouvernement doivent être interpellées et contribuer à accélérer la transition par le biais de lois et règlements. Qu’on pense aux ambitieuses mesures réglementaires proposées dans le plan climatique de la Ville de Montréal ou encore au projet de loi fédéral sur la carboneutralité du Canada (bien que très imparfait), de nombreuses mesures ne sauraient voir le jour sans mobilisation citoyenne.

Des tribunaux de plus en plus sollicités

Récemment, la Cour suprême du Canada a confirmé la constitutionnalité du système de tarification du carbone imposé par le gouvernement fédéral. Pourquoi s’agit-il d’une décision importante ? En plus de maintenir le système de tarification du carbone, qui est considéré comme un outil essentiel (bien qu’insuffisant à lui seul) pour inciter à une réduction des émissions des gaz à effet de serre, la Cour suprême a explicitement reconnu que les changements climatiques n’ont pas de frontières, que l’inaction d’une province peut engendrer des conséquences interprovinciales graves et que les changements climatiques ont déjà eu des répercussions particulièrement sévères sur la population, et notamment sur les peuples autochtones.

Cette décision, nous l’espérons, servira de tremplin pour exiger davantage d’action et de leadership des décideur·e·s politiques pour qu’enfin de véritables mesures soient prises afin de faire face à la crise climatique.

Une autre voie juridique de plus en plus utilisée pour forcer les gouvernements à agir est celle des recours dits « climatiques ». Au Québec, l’organisme environnemental Environnement Jeunesse a intenté, au nom des jeunes du Québec de 35 ans et moins, une action collective contre le gouvernement du Canada pour inaction climatique.

Cette démarche a déjà fait ses preuves, notamment aux Pays-Bas avec le recours de la Fondation Urgenda, appuyée par 900 citoyennes et citoyens contre l’État néerlandais. Après 7 ans de bataille judiciaire, la Cour suprême des Pays-Bas a confirmé que le gouvernement avait l’obligation de réduire les émissions de gaz à effet de serre afin d’assurer notamment le respect du droit à la vie. La Cour suprême a maintenu l’ordonnance de la Cour de la Haye d’exiger de l’État une réduction d’au moins 25 % de ses émissions par rapport à 1990 d’ici la fin 2020. C’est la première fois qu’une décision de justice fondée sur les droits humains contraint un État à agir pour mitiger le réchauffement climatique. Au cours des dernières années, de tels recours se sont multipliés un peu partout dans le monde.

Les droits de la nature

Nous l’avons dit : le droit n’est pas un outil rigide, insensible au monde qui l’entoure. Il se transforme au contraire au gré des évolutions sociétales, politiques et culturelles.

La situation climatique et environnementale catastrophique de même que l’inaction politique poussent de nombreux·ses acteur·trice·s à exiger un changement de paradigme dans la manière dont l’humain entrevoit sa relation avec la nature. Un mouvement mondial se développe, appelant à ne plus aborder la nature comme un ensemble de ressources dont nous pouvons disposer, mais plutôt comme une entité détenant elle aussi des droits.

Dans cette optique, les initiatives pour octroyer des droits à la nature se multiplient. Portées notamment par des communautés autochtones, plusieurs de ces initiatives se sont concrétisées au cours des dernières années : en Nouvelle-Zélande, le parc national de Te Urewera, la rivière Whanganui et le mont Taranaki se sont vus octroyer une personnalité juridique propre. L’Équateur, la Bolivie et le Mexique sont même allés jusqu’à modifier leur constitution pour y inclure une forme de reconnaissance juridique de la nature. Plus récemment, en territoire ancestral innu au Québec, la rivière Magpie a fait l’objet d’une démarche locale, menée par le Conseil des Innus d’Ekuanitshit et la MRC de Minganie, qui a permis de lui attribuer une personnalité juridique afin d’assurer sa protection.

Bien que toutes ces initiatives n’aient pas la même portée juridique (certaines demeurent davantage symboliques à ce stade), toutes contribuent à un nécessaire changement de paradigme vers la reconnaissance juridique de la valeur intrinsèque de l’environnement. Les défis et obstacles demeurent toutefois immenses. En témoigne la difficile situation des personnes qui se portent à la défense de l’environnement, y compris dans des pays ayant octroyé des droits à la nature : en 2020, on dénombre pas moins de 227 défenseur·e·s du territoire et de l’environnement assassiné·e·s.

Plus que jamais, une forte mobilisation et une grande solidarité sont nécessaires pour changer les dynamiques de pouvoir à l’œuvre et remettre en cause le modèle de développement qui a généré les crises auxquelles nous sommes confronté·e·s aujourd’hui.

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