Charte des droits de l’enfant du Québec : une avenue assez contraignante ?

Mini-dossier : Droits des enfants

Mini-dossier : Droits des enfants

Charte des droits de l’enfant du Québec : une avenue assez contraignante ?

Anne Thibault

Comme avocate en protection de la jeunesse, j’entends souvent les magistrats dire aux parents : « il faut que les bottines suivent les babines ». En effet, quand on dit vouloir assurer la sécurité et le développement d’un enfant, il est essentiel de passer de la parole aux actes.

Les conditions de vie dans lesquelles les enfants et leurs familles vivent ont un impact déterminant sur la santé, plus encore que leurs comportements individuels, soutient l’Organisation mondiale de la santé. Ces « déterminants sociaux de la santé » peuvent être modifiés par des actions de l’État visant à assurer l’équité en santé, notamment pour les enfants. À cet égard, la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (commission Laurent) souligne que les familles «  doivent pouvoir bénéficier d’un revenu suffisant, d’un logement décent et d’un soutien social approprié afin d’améliorer le soutien et le bien-être des enfants  ». Or, bien que les solutions pour favoriser cette équité soient connues, les problématiques reliées au manque de services préventifs pour soutenir les familles et leurs enfants ne font que se répéter.

Une vie équitable pour les enfants

La commission Laurent conclut ainsi que les services préventifs de premières lignes visant à soutenir les familles et leurs enfants dans la communauté ont souffert de sous-financement à travers les quatre dernières décennies, contribuant à augmenter le niveau de gravité des difficultés vécues par les enfants. Même le ministère de la Santé et des services sociaux reconnaît que « les difficultés d’accès aux services ainsi que les délais d’intervention peuvent avoir comme conséquences que la situation à la source d’un besoin de soutien psychosocial se détériore et se transforme en besoin de protection », comme le rappelle encore la commission Laurent.

Mais que faire devant ce manque de financement et de volonté politique pour réellement mettre en œuvre un filet social assurant de bonnes conditions de vie équitables pour l’ensemble des enfants et leurs familles ?

La Commission Laurent recommande au gouvernement de créer une charte des droits de l’enfant et de rendre celle-ci quasi constitutionnelle, et ce « afin que le droit des enfants dispose de la même protection que les droits de la personne prévus à la Charte québécoise des droits et libertés ». Selon le rapport, cette charte permettrait une reconnaissance supplémentaire en droit québécois, du fait que le Québec s’est engagé par décret, en 1991, à respecter la Convention internationale relative au droit de l’enfant, mais que lesdits engagements ne sont pas tous respectés.

Contraindre l’État

Une question demeure : en quoi la création d’une charte des droits de l’enfant ayant le même statut que la Charte des droits et libertés du Québec ajouterait-elle une force supplémentaire permettant d’assurer la mise en œuvre des droits de l’enfant ? Avant de répondre à cette question, il est important de rappeler le contenu de la Charte québécoise et de son application.

Le statut « quasi constitutionnel » de la Charte des droits et libertés du Québec lui donne préséance sur l’ensemble des lois du Québec (art. 55) et permet de contraindre à la fois l’État québécois (art. 54) et les personnes à la respecter. En comparaison, la Charte canadienne des droits et libertés a un statut constitutionnel, celle-ci faisant partie intégrante de la Loi constitutionnelle de 1982. Ainsi, la Charte canadienne a préséance sur l’ensemble des lois fédérales et provinciales et l’ensemble des gouvernements sont contraints à la respecter.

Bien que la Charte des droits et libertés du Québec ait ce statut quasi constitutionnel, mentionnons que l’ensemble des droits sociaux, économiques et culturels ne sont pas contraignants. Cela inclut le droit à l’assistance financière et à des mesures sociales pour assurer un niveau de vie suffisant, ainsi que le droit à l’instruction publique gratuite. Ainsi, le gouvernement n’est pas contraint à mettre en œuvre les droits sociaux, économiques et culturels. Il n’a pas l’obligation d’assurer ces droits à l’ensemble de la population, mais seulement celle de les octroyer en fonction des ressources disponibles. En comparaison, en ce qui concerne les droits civils et politiques – tels que le droit à une défense pleine et entière, le droit d’être présumé innocent ou celui de soumettre une pétition à l’Assemblée nationale –, le gouvernement a l’obligation de s’assurer que les ressources soient disponibles pour leur réalisation.

Une bonne illustration du caractère limité des droits sociaux est le fait que le Québec n’a accordé qu’en 2017 le droit à l’instruction publique aux enfants né·e·s à l’étranger ou ayant des parents à statuts précaires. Le droit à l’assurance maladie du Québec a quant à lui été accordé à ces mêmes enfants le 22 septembre 2021. Le Québec ne s’est donc conformé que tout récemment aux articles 24 et 28 de la Convention internationale relative au droit de l’enfant. Reste à savoir si ces enfants et leurs familles ont accès à des conditions de vie décentes, dont un logement abordable et salubre ou encore à une assistance financière permettant le « niveau de vie suffisant » inscrit à l’article 45 de la Charte des droits et libertés du Québec.

Par conséquent, une charte des droits de l’enfant du Québec qui aurait le même statut que les droits sociaux, économiques et culturels inscrits dans la Charte des droits et libertés n’aurait aucun pouvoir contraignant supplémentaire sur le gouvernement.

Intervenir en amont

En ce moment, le manque de services préventifs touche les droits sociaux, économiques et culturels. En matière de protection de la jeunesse, l’article 8 de la Loi sur la protection de la jeunesse réitère le fait que l’enfant et son parent ont le droit à des services pour répondre à leurs besoins physiques et psychologiques selon les ressources disponibles. Ainsi, la Directrice de la protection de la jeunesse peut invoquer le manque de ressources financières à sa disposition pour couper ou réduire des services. Aucun mécanisme n’est prévu pour éviter en amont des situations pouvant mettre en péril la sécurité et le développement de l’enfant en raison d’un manque de services.

Seul un recours en lésion de droit dans le cadre de l’application de la Loi sur la protection de la jeunesse permet au tribunal de déclarer que les droits de l’enfant ont été bafoués et d’imposer des mesures de redressement. En d’autres mots, l’intervention ne peut être que postérieure à l’action ayant porté atteinte à un droit inscrit dans la Loi. Bien que ce recours – qui n’exige pas que l’enfant ait subi un préjudice effectif – soit tout de même intéressant pour exiger le respect des droits énoncés dans la Loi, il demeure très peu utilisé.

Des actions de nature préventives s’avèrent incontournables. Advenant que le gouvernement décide de créer une charte des droits de l’enfant, il est primordial que l’ensemble des droits mentionnés dans celles-ci soient contraignants au même titre que les droits civils et politiques de la Charte québécoise.

Peu importe la méthode choisie, une volonté politique est nécessaire pour s’assurer que « les bottines suivent les babines » concernant les droits de l’enfant et la protection de la jeunesse. Il faut imposer un mécanisme législatif qui a des dents, qui force les gouvernements successifs à financer les services de premières lignes et à assurer un filet de sécurité sociale. C’est ce qui permettra à l’ensemble des enfants du Québec de vivre dans des conditions de vie décentes, en respect de la Charte des droits et libertés

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