Élections fédérales 2019 : une campagne postféministe ?

No 82 - janvier 2020

Politique canadienne

Élections fédérales 2019 : une campagne postféministe ?

Diane Lamoureux

La dernière campagne électorale fédérale a fait l’impasse sur les enjeux féministes. Les principaux partis politiques ont multiplié les micropolitiques ciblant des groupes précis dans des circonscriptions présumées gagnables plutôt que de nous présenter un projet de société. En ce qui concerne les femmes et le féminisme, le silence a été assourdissant et ces enjeux n’ont même pas figuré au menu des débats des chefs.

Fait nouveau, pour la première fois depuis que les femmes ont obtenu le droit de vote et d’éligibilité, la plupart des partis qui ont communiqué des statistiques de candidatures en fonction de leur sexe (le Parti populaire ne l’a pas fait) se situaient dans la zone de parité avec au moins 40 % de femmes candidates. La palme revient au Nouveau Parti démocratique (NPD) qui a présenté 49,1 % de femmes, suivis du Parti vert à 46,2 % et du Bloc québécois à 44,9 %. Le Parti libéral du Canada (PLC) frôle la zone paritaire à 39,4 % tandis que, malgré une forte progression depuis la dernière élection, le Parti conservateur du Canada (PCC) tire de l’arrière avec 31,1 %.

Si un plus grand nombre de candidatures rend possible un plus grand nombre d’élues, la chose n’est cependant pas automatique, d’autant plus qu’un faible pourcentage de femmes sont candidates dans des circonscriptions considérées comme sûres par leur parti. Dans le Parlement sortant, les femmes représentaient 26 % des parlementaires, ce qui plaçait le Canada au 61e rang de la compilation de l’Union interparlementaire à cet égard. Pas de quoi pavoiser ! À titre de comparaison, mentionnons que les femmes représentent 43,2 % des membres de l’Assemblée nationale du Québec.

La nouvelle législature ne comptera que 29 % de femmes. Une si faible progression s’explique par le fait que les conservateurs (doit-on s’en surprendre ?) n’ont que 20 élues alors que le PLC fait un peu mieux, tout en se situant hors de la zone paritaire, avec 51 députées, ce qui ne devrait pas empêcher la formation d’un conseil des ministres paritaire. La palme en la matière revient aux verts, mais il est vrai qu’avec une députation constituée de trois personnes, les pourcentages sont trompeurs.

En outre, même si le premier ministre sortant se proclame féministe, une plus grande présence des femmes chez les candidates n’implique pas nécessairement une plus grande importance accordée aux préoccupations féministes dans la campagne électorale. Une coalition de groupes de femmes demandait à ce que la thématique soit abordée au débat des chefs, en vain. Le World Young Women’s Christian Association (YWCA) rappelait à cet égard que la dernière fois où la question des femmes a figuré à l’ordre du jour du débat des chefs, c’est en 1984. Bilan : il faut plutôt parler de non-débat. Pourtant, ce ne sont pas les enjeux qui manquent.

L’avortement, une fois de plus

Trente ans après la décision de la Cour suprême dans l’affaire Daigle entérinant le fait que c’est aux femmes et à elles seules de décider d’avoir recours ou non à l’avortement, la question a refait surface un peu avant la campagne électorale et durant celle-ci, mais plutôt sur le mode d’un élément non contrôlé perturbant les plans de match des partis. Ce qui a dominé dans les médias, ce sont les positions anti-choix de plusieurs candidates et candidats conservateurs, y compris le chef du parti qui a patiné en affirmant qu’il ne présenterait aucun projet de loi pour limiter la liberté d’avortement, mais qu’il ne pouvait imposer cette discipline à ses député·e·s. Ce qui laisse présager que, en cas de victoire conservatrice, nous aurions pu revenir aux années Harper pendant lesquelles le gouvernement n’a présenté aucun projet de loi, mais plusieurs députés l’ont fait, obligeant ainsi les féministes à se remobiliser périodiquement pour maintenir cette avancée majeure dans les droits des femmes. Et pendant que nous cherchons à préserver les acquis, il est difficile de se mobiliser pour élargir nos droits.

Durant la campagne électorale, la fermeture de la seule clinique privée offrant des services d’avortement au Nouveau-Brunswick a été annoncée. Silence radio des chefs et des partis politiques sur cet enjeu, sauf une brève allusion de Trudeau, une semaine plus tard, où il affirmait que cela pourrait avoir des effets négatifs sur les transferts fédéraux en matière de santé à cette province. Seul le Parti vert propose d’élargir l’accès à l’avortement. Pourtant, il ne s’agit pas là d’un simple enjeu d’organisation des services de santé dans cette province. Cela pose également la question des droits des femmes et de la loi canadienne sur la santé.

Silence sur les femmes autochtones

En juin dernier, la Commission d’enquête sur les femmes autochtones disparues ou assassinées déposait son rapport. Dans les jours qui ont suivi, l’essentiel du débat a porté sur l’utilisation du terme « génocide ». Depuis, plus rien. Durant la campagne, le commissaire Viens déposait son rapport à la suite de la dénonciation par des femmes autochtones de comportements sexistes et racistes d’agents de la Sûreté du Québec de Val-d’Or. Pourtant, la question des conditions de vie et des risques de mort des femmes autochtones n’a pas donné lieu à des débats au cours de la campagne électorale.

Ce rapport va-t-il rejoindre d’autres rapports sur les Autochtones qui prennent la poussière sur une tablette gouvernementale ? La nature coloniale du système politique canadien ne semble être remise en cause par aucun des partis fédéraux, et des programmes éducatifs et sociaux adéquats se font toujours attendre, de même que des logements décents dans les réserves et hors de celles-ci, ce qui relève pourtant des responsabilités du gouvernement fédéral à l’égard des Autochtones. Reste à espérer que la réélection de Jody Wilson-Raybould comme candidate indépendante permettra de rappeler l’importance de cet enjeu.

Cette enquête a également soulevé des problèmes importants concernant les dysfonctionnements du système de justice et de ses difficultés à répondre adéquatement aux besoins et aux attentes des femmes en matière de violence conjugale et de harcèlement ou autres agressions sexistes, en mettant en lumière que pour les femmes autochtones, des enjeux racistes et colonialistes se greffent au sexisme. Deux ans après le début du mouvement #MoiAussi, il semble que les politiciennes et politiciens fédéraux font encore la sourde oreille.

Femmes et classe moyenne

La classe moyenne a été le public cible de la plupart des annonces électorales et de la cour mené par les divers partis politiques. Si cette classe moyenne a été quelque peu « colorée » dans les publicités électorales, par souci de diversité, que penser du caractère féministe de l’insistance sur les familles dans cette campagne électorale ?

Si on ne sait pas trop ce qu’est la classe moyenne et que celle-ci regroupe des personnes dont le niveau de vie n’est pas vraiment comparable (la fourchette se situe entre 29 000 $ et 79 000 $ pour une personne seule et entre 80 000 $ et 160 000 $ pour un couple avec deux enfants), on sait par contre qui ne se qualifie pas pour en faire partie, c’est-à-dire les personnes qui disposent d’un revenu inférieur au minimum de la fourchette : les femmes âgées qui vivent seules, une grande partie des familles matriparentales, beaucoup de lesbiennes vivant seules ou en couple, les femmes qui occupent un emploi précaire ou à temps partiel ou encore celles qui sont payées au salaire minimum, les étudiant·e·s qui s’endettent ou doivent composer avec de lourdes dettes d’études. Une coalition a également mis en lumière les discriminations sexistes quant à l’accès à l’assurance-emploi au Canada.

Manifestement la lutte à la pauvreté ne semble plus faire partie du programme des deux principaux partis politiques fédéraux, sauf par le biais de l’allocation pour les enfants en ce qui concerne le PLC. Seuls le NPD et le Parti vert proposaient de revoir et d’élargir notre filet de sécurité sociale. Les autres partis préfèrent s’en remettre à des crédits d’impôt.

Par ailleurs, même si les modèles familiaux se sont diversifiés au cours des ans, parler des familles au lieu de parler des femmes, c’est aussi faire l’impasse sur les rapports de pouvoir et sur les violences qui sont encore présentes dans trop de familles, de même que sur les hiérarchies sexuelles.

Cette campagne laisse donc une impression de « postféminisme ». Pas que nous vivions dans une situation de parfaite égalité entre les femmes et les hommes au Canada, ce qui rendrait le féminisme moins utile, mais parce que le sujet semble passé de mode et peu payant électoralement. Progrès ou régression ?

Thèmes de recherche Féminisme, Politique canadienne
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