Blocage de Trans Mountain. Une grande victoire est possible !

No 75 - été 2018

Environnement

Blocage de Trans Mountain. Une grande victoire est possible !

Xavier P.-Laberge

Après la lutte contre le projet d’Énergie Est, les mouvements écologistes du Canada tentent maintenant de faire avorter le projet de construction d’un nouvel oléoduc de 1150km le long du tracé de l’oléoduc Trans Mountain.

La compagnie texane Kinder Morgan prévoit créer un réseau de canalisations dont la capacité de transport de pétrole passera de 300000 barils par jour à 890000 barils par jour, ce qui nécessitera la création d’un nouvel oléoduc d’environ 980km et la construction de 12 nouvelles stations de pompage. L’opposition à ce projet dénonce l’accroissement de l’extraction des sables bitumineux que cela engendrera et qui représente 2,7 millions de voitures par an.

Situation politique en Colombie-Britannique

L’élection tenue en mai 2017 en Colombie-Britannique a changé le rapport de force des contestataires du projet Trans Mountain. En effet, on se rappellera que des élections générales ont alors eu lieu dans cette province et que le Nouveau Parti démocratique et le Parti vert ont pris le pouvoir. Leur coalition a permis de mettre fin à 16 ans de règne libéral en Colombie-Britannique. Il s’agit d’une grande victoire pour les travailleuses et les travailleurs ainsi que pour l’environnement, car le Parti libéral de la Colombie-Britannique, qui n’est pas associé au parti libéral fédéral, est en réalité un regroupement de factions de la droite économique et conservatrice de la province. Le NPD, qui a obtenu 41 sièges, devait absolument avoir l’appui du Parti vert et de ses 3 sièges pour constituer une majorité face aux 43 sièges du Parti libéral. Le Parti vert tenant absolument à l’abandon du projet, le rejet de l’oléoduc était donc essentiel à la stabilité de la coalition.

Le NPD s’oppose donc à l’oléoduc, malgré le fait que ce parti ne soit pas aussi écologiste que cette décision peut le laisser paraître. En effet, en contrepartie à son opposition à Trans Moutain, le NPD mise beaucoup sur les ressources gazières de la Colombie-Britannique. Selon les données compilées par Le Devoir, « il existe 8639 puits de gaz naturel et 1024 puits de pétrole en production dans la province » et le NPD espère que ce développement stimulera l’économie et créera des emplois locaux. Comme le Parti vert s’oppose aussi à ce développement, le NPD se retrouve donc dans l’obligation d’être très ferme sur le blocage du projet de Kinder Morgan qui bénéficierait principalement à l’Alberta.

Situation politique en Alberta

Du côté de l’Alberta, la première ministre Rachel Notley considère le projet comme essentiel pour la province et même pour l’ensemble du Canada. Mme Notley, issue du NPD albertain, fait face à une grogne populaire dans sa province, historiquement dominée par le Parti progressiste-conservateur qui l’a dirigée de 1971 à 2015. Il est à noter que celui-ci a fusionné récemment avec un parti encore plus à droite, le Wildrose, pour créer le Parti conservateur uni dirigé par l’ancien ministre conservateur fédéral Jason Kenney. Les faibles chances du NPD de demeurer au pouvoir et de maintenir sa taxe carbone dépendent de son succès à trouver des marchés pour l’expansion de la production des sables bitumineux, et donc, du projet Kinder Morgan. L’Alberta, pour faire pression sur la province voisine, a ainsi suspendu ses importations de vins de la Colombie-Britannique en février. En réponse au blocage de la Colombie-Britannique, la compagnie Kinder Morgan a, de son côté, annoncé en avril dernier qu’elle suspendait toutes ses dépenses relatives au développement de l’oléoduc Trans Mountain. L’Alberta a en outre adopté une loi limitant l’exportation d’hydrocarbures vers sa voisine qui dépend en majorité de son pétrole, à près de 70%. Pour parer à toute éventualité, le gouvernement de l’Alberta a même précisé être prêt à acheter l’oléoduc Trans Mountain et à assumer les frais de son expansion.

Réponse de Trudeau

Le dernier acteur gouvernemental de cette saga, le gouvernement libéral de Justin Trudeau, affirme aussi que le projet de Kinder Morgan est nécessaire pour le pays. On se rappellera que M. Trudeau avait abandonné un projet plus contesté encore, Northern Gateway, qui devait faire passer un oléoduc au nord-ouest de la Colombie-Britannique dans le chenal Douglas, un écosystème fragile qui fait partie de la forêt pluviale du Grand Ours. Trudeau prétend aussi que les mesures environnementales de son gouvernement, comportant majoritairement un prix plancher sur les émissions de gaz à effet de serre, dépendent de l’accroissement de l’exportation du pétrole des sables bitumineux. Après l’annonce de l’arrêt des travaux de la compagnie Kinder Morgan, Trudeau a voulu rassurer les actionnaires et les investisseurs en affirmant que le gouvernement ferait tout pour que le projet aille de l’avant, notamment par des investissements directs. Toutefois, le gouvernement de la Colombie-Britannique a demandé l’avis de la Cour d’appel de la province et les spécialistes de la question s’attendent à ce que l’enjeu se rende jusqu’en Cour suprême. Ainsi, le gouvernement fédéral pourrait attendre l’avis de la Cour suprême quant à la primauté (ou pas) de l’autorité fédérale sur la question. La Colombie-Britannique faisant valoir que l’environnement est une compétence partagée, la province aurait donc le droit de légiférer pour le protéger. Or, une réponse de la Cour suprême ne saurait intervenir avant la date butoir donnée par l’entreprise Kinder Morgan, fixée au 31 mai dernier, où elle consultait ses actionnaires afin de connaître leur opinion quant à la poursuite du projet.

Opposition citoyenne et résistance autochtone

La réponse de la population et des mouvements citoyens ne s’est pas fait attendre. En mai, selon un bilan de Greenpeace, plus de 35 caisses Desjardins, qui représenteraient plus de 700000 membres et 12% de la Fédération, ont adopté des résolutions pour que le Mouvement Desjardins cesse de financer les oléoducs des sables bitumineux et qu’il retire son soutien au projet Trans Mountain. L’an dernier, Desjardins a prêté 145 millions de dollars à Kinder Morgan pour la construction du projet. Greenpeace affirme que « Desjardins doit se séparer de Kinder Morgan s’il veut être cohérent avec les valeurs qu’il dit défendre, comme la protection de l’environnement, le respect des communautés et des Premières Nations et le respect de la démocratie ». Il y a aussi eu plusieurs manifestations au terminal maritime de Kinder Morgan à Burnaby, en Colombie-Britannique. En mars dernier, quelque 200 personnes ont été arrêtées pour avoir défié une injonction les empêchant de manifester près du terminal. Parmi ces personnes figuraient la chef du Parti vert, Elizabeth May, et le néo-démocrate Kennedy Stewart, qui font face à une accusation d’outrage au tribunal.

Une part importante de la communauté autochtone s’oppose aussi au projet. Une alliance s’est d’ailleurs formée pour contester l’expansion des sables bitumineux [1]. Le grand chef Stewart Philip, président de l’Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique (UBCIC), a affirmé que l’oléoduc « Trans Mountain ne serait jamais construit  ». Plusieurs soutiennent que le gouvernement de Justin Trudeau, dans ce dossier, n’a pas tenu sa promesse d’être plus à l’écoute des Premières Nations.

Prochaines étapes

Si la contestation donne aujourd’hui des résultats, la pression doit continuer et s’intensifier face à la volonté des gouvernements de l’Alberta et du Canada de faire payer l’expansion de l’oléoduc à la population si Kinder Morgan se retire du projet. La coalition NPD-Vert tient au blocage complet du projet et présente un bel exemple de coopération entre partis unis par une même volonté. L’alliance entre autochtones et écologistes est également encore une fois plus essentielle que jamais dans ce genre de résistance.


[1Le Treaty Alliance Against Tar Sands Expansion, voir treatyalliance.org pour plus d’information

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