Dossier : Technologies du vivant

Le clonage

L’industrie du vivant-marchandise

par Louise Vandelac

Louise Vandelac

« Ce que le libéralisme veut, c’est un sujet désymbolisé, (…) un sujet flottant, délesté de toute attache symbolique ; (…) un sujet unisexe et « inengendré », c’est-à-dire désarrimé de son fondement dans le seul réel, celui de la différence sexuelle et de la différence générationnelle. »
Dany Robert Dufour, 2003:248

Des dizaines de Québécoises vendraient leurs ovules jusqu’à 10 000 $ sur le marché noir (Journal de Montréal, 25 février 2006). Le gouvernement Charest et le Collège des médecins seraient prêts à encourager la vente des gamètes... (Ibid, 28 février 2006).

Du côté des semences végétales, on a multiplié par 40, depuis 1996, les cultures OGM des 4 plantes pesticides (soya, maïs, canola et coton) couvrant, en 2004, 69 millions d’hectares, dont 59 % situés aux États-Unis. À cette main-mise croissante de la Life industry (pétrochimie, semences et pharmacie) sur l’alimentation mondiale s’ajoutent les animaux transgéniques, la fabrication de viande artificielle et l’introduction éventuelle du saumon transgénique de la firme AquaBounty qui attend l’autorisation de la Food and Drug américaine.

Pendant ce temps, plusieurs pays s’adonnent au controversé clonage d’embryons humains pour cellules souches, et un an après le célèbre canular de Raël, une Texane dit avoir payé 50 000 $ pour cloner son chat ! C’est dans ce climat d’irréalité et de parodie que s’accélèrent la mise en marché des semences, des embryons et le bricolage de nouveaux vivants transgéniques et clonés, dernière métaphore industrielle et ultime métamorphose des espèces risquant de signer notre échappée en douce de l’espèce humaine…

Au Québec et au Canada, la Life industry est largement financée. Et manifestement, les pouvoirs publics et les médias sont fascinés par cette industrialisation du vivant, dont le clonage n’est que le dernier bégaiement. Dès 1993, le Congrès des associations américaines et canadiennes de fertilité et d’andrologie, tenu à Montréal, accorda le prix du Congrès à une communication sur le clonage d’embryons humains, en parfaite contravention aux comités d’éthique opposés à un tel aventurisme… Il y a quelques années, un responsable de médecine vétérinaire s’emballait à Radio-Canada à l’idée de féconder les 200 000 vaches conçues avec le sperme du super taureau Starbuck, avec le sperme du clone du Starbuck ! En 1999, seul un bref papier d’humeur de Josée Blanchette du Devoir rappelait qu’à Montréal, 600 personnes s’étaient réunies au Gésu pour la première conférence internationale sur le Clonage Humain, organisée par les Raéliens, une secte interdite en France. Bref, l’indifférence amusée et le déficit de réflexion sur ces questions sont tels qu’on s’étonne à peine des blagues d’animateurs sur le commerce d’ovules ou des propos d’auditeurs refusant que l’État limite leur « liberté » de vendre leur capacité de reproduction en pièces détachées. Après tout, s’ils sont généreux ou s’ils en ont besoin pour payer leur auto, leur maison ou leurs études…

Ainsi, 25 ans de soutien économique et politique à l’industrie agroalimentaire et pharmaceutique du vivant et 25 ans de tergiversations à encadrer les technologies de reproduction humaine, depuis la Commission royale d’enquête sur le sujet, auront suffi pour imposer la loi du fait accompli. Cela aura suffi à éroder les paramètres biologiques des espèces, à amorcer un troublant remodelage génétique du vivant, fruit de quatre milliards d’années d’évolution, et à ébrécher la conception des humains et de l’humanité.

Des technologies de reproduction… à la reproduction clonique

Depuis 25 ans, nous sommes devenus la première génération de l’humanité à concevoir des êtres en pièces détachées, parfois à des kilomètres et à des années de distance, sans se voir, ni se toucher : commerce internet et postal, institutionnel et marchand de sperme et d’ovocytes ; contrats d’enfantement multiples où plusieurs mères accouchent de 3 ou 4 frères et sœurs. Nous sommes la première génération à soumettre des enfants aux plus folles acrobaties de la filiation (enfants nés de deux mères ou mère qui accouche des enfants de sa fille ou l’inverse). Nous sommes les premiers à réifier et à instrumentaliser l’Autre (simple paillette de sperme, ovocyte ou mère contractuelle), au point de croire qu’on peut se reproduire seul ou sans l’autre sexe, étrange phantasme d’autoreproduction narcissique aux accents cloniques. Nous avons également réussi, par le biais de la stimulation ovarienne visant à produire plusieurs ovocytes et embryons, à transformer la médecine en fabrique de vivants, dont certains, frais ou décongelés, sont destinés à naître et d’autres à être génétiquement triés ou à n’être que matériel convoité pour leurs cellules souches, nouvelle filière de « vivant humain » qui constitue une rupture anthropologique sans précédent…

Pourquoi ouvrir une telle boîte de Pandore ? Pourquoi accepter cette suicidaire mise en marché de soi-même, partie par partie, organes, cellules et gènes, au point de se rendre inconnaissable voire méconnaissable à ses descendants ? Pourquoi abandonner aux mirages du marché l’une des aventures humaines les plus signifiantes : faire naître des êtres à eux-mêmes ? Pourquoi ce descellement de l’être et de son corps, cette amnésie programmée des liens charnels les plus intimes à ses propres enfants, comme si on pouvait donner congé à l’inconscient et refouler le désir des enfants de connaître le récit de leurs origines ?

Certes, dans cette économie cyber-technoscientifique où tout, l’humain y compris, ne serait plus qu’information, l’idée de remodeler le vivant aux goûts du jour, pour en faire de purs objets de consommation, de maîtrise et d’emprise, semble parasiter notre horizon de pensée. Au point de croire que c’est un gage de liberté et de progrès de vaciller ainsi aux bords de nous-mêmes…

En environnement, nous comprenons pourtant que notre survie sur cette planète tient à la préservation des capacités de régénération des écosystèmes ? Or, n’est-il pas aussi vital pour les humains de préserver les équilibres psychiques et sociaux, économiques et culturels permettant au monde de s’engendrer ?

La crise écologique, découlant de la dégradation des milieux de vie et des conditions de régénération des êtres englobe désormais la mise en marché des sources vitales (eau, gènes, semences végétales, animales et humaines) et le bricolage de vivants laboratoires, transgéniques, clonés, brevetés et souvent stérilisés est également une crise anthropologique.

Une telle attaque aux biens communs et aux capacités de régénération touche aux deux seuls véhicules de notre existence partagée : la terre et le corps. Et c’est le corps, ce creuset de l’être, conçu au coeur des sexes, des sexualités et des générations ; ce corps unique et commun, renouvelé dans le flot incessant des générations, qui permet de se penser et de concevoir l’Autre et la suite du Monde…

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