Les trois faces de l’austérité

No 59 - avril / mai 2015

Économie

Les trois faces de l’austérité

Philippe Hurteau

L’austérité n’est pas un phénomène simple à cerner. Pourtant, il importe de se donner certains éléments d’analyse. D’abord replacer l’austérité dans le « temps long » du néolibéralisme ; ensuite, situer les politiques budgétaires actuelles du gouvernement dans le « temps court » des échéances électorales ; pour finir, saisir la participation de l’État québécois dans la tendance à la répression salariale.

Temps long : austérité et néolibéralisme

Le rôle des politiques néolibérales des 30 dernières années est le plus souvent passé sous silence dans le débat actuel sur l’austérité. Si le Québec vit une situation de déficit budgétaire depuis 2009, ce n’est pas parce que l’économie publique est tombée en crise ou que nous vivons « au-dessus de nos moyens ». Le déficit actuel enregistré à Québec n’est en fait que le legs de la crise financière de 2008 qui a entraîné une récession mondiale.

Replaçons les choses en ordre. Dans la foulée de la domination néolibérale, la réglementation qui limitait les activités du capitalisme financier fut systématiquement assouplie. Cela déboucha sur la crise des « subprimes » que nous connaissons que trop bien. Le paradoxe actuel est que la crise n’ait pas débouchée sur une remise en question des doctrines se trouvant à l’origine des perturbations que nous avons traversées. Au contraire, la réponse se trouve plutôt dans un renforcement des doctrines néolibérales.

Schéma 1 : Austérité et néolibéralisme

Temps court : austérité et élections québécoises

La boucle présentée au schéma 1 ne surprendra pas. Le déficit découlant de la crise financière se présente d’abord comme une opportunité pour pousser un cran plus loin les réformes menant au démantèlement des missions sociales de l’État. Cependant, il convient de se poser une autre question : qu’est-ce qui motive le gouvernement à aller si vite en besogne ? En seulement un an, il aura appliqué une restriction drastique des dépenses de l’État rappelant l’ère de la lutte au déficit sous Lucien Bouchard.

Pourquoi tant de précipitation ? Ce n’est pas uniquement pour des raisons idéologiques. Les réformes structurelles comme la fin de l’universalité de la tarification des services de garde, la fusion des commissions scolaires ou encore la création de mégastructures dans le réseau de la santé auraient bien pu prendre place de manière plus souple et atteindre les mêmes objectifs.

Le gouvernement est pourtant pressé. Pas vraiment parce que la situation le commande ou que le Québec se trouve au bord d’une décote de la part des agences de notation. De manière bien plus terre à terre, c’est d’abord le calendrier électoral québécois qui impose son rythme.

Voyons les choses comme elles se présentent. An 1 : austérité, compressions et atteinte à tout prix de l’équilibre budgétaire. An 2 : insistance du gouvernement sur la relance économique. An 3 : surplus budgétaires dépensés en baisses d’impôts et en augmentation des versements au Fonds des générations. An 4 : élections.

Schéma 2 : Austérité et élections

Il y a là tous les ingrédients pour une campagne électorale libérale parfaite. Rigueur budgétaire, satisfaction des demandes du milieu des affaires, « lutte » contre la dette publique et cadeaux fiscaux. Comme quoi ce qui dirige les politiques budgétaires et économiques du gouvernement n’a pas grand-chose à voir avec les besoins réels de la population.

Austérité et répression salariale

Donc, la vague d’austérité qui nous frappe est à la fois le prolongement du néolibéralisme et, déjà, la mise en place de la prochaine stratégie de campagne électorale du Parti libéral. À cela, ajoutons que l’austérité n’est pas que le fait de l’État-législateur, mais également de l’État-patron. À titre de principal employeur du Québec, le gouvernement peut en effet fixer certains standards de rémunération.

L’automne dernier, en offrant un plan de réduction salariale pour les cinq prochaines années à ses employé·e·s et en attaquant les conditions de retraite de ceux du secteur municipal, l’État québécois joue un rôle important dans la répression salariale généralisée que nous connaissons depuis 30 ans. En fait, le gouvernement envoie un message aux employeurs du secteur privé : l’heure est aux baisses de salaire et à la diminution des avantages sociaux.

Gageons que ce volet de l’austérité sera reçu avec enthousiasme par les employeurs québécois, ce qui laisse présager que la diminution des écarts de richesses n’est pas pour demain…

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