L’impunité policière sous la loupe

No 59 - avril / mai 2015

Homicides aux États-Unis

L’impunité policière sous la loupe

Francis Langlois

Le 9 août 2014, Michael Brown est interpellé par l’agent de police Darren Wilson alors qu’il marche dans une rue de Ferguson, une petite banlieue de Saint-Louis au Missouri. Après une courte altercation initiée à partir de sa voiture, Wilson tue Brown. Le 24 novem­bre, le procureur général du Missouri annonce qu’aucune accusation ne sera portée contre le policier malgré le fait que de nombreux témoins l’aient vu abattre un jeune homme désarmé.

La suite a fait les manchettes pendant plusieurs jours : des manifestations se sont rapi­dement organisées dans les grandes villes américaines, celles-ci dénonçant non seulement la mort de Brown, mais aussi l’apparente impunité dont profitent les policiers partout aux États-Unis lorsqu’ils commettent des homicides. Entre 2008 et 2012 par exemple, la police de Houston a tiré sur 121 personnes, la majorité n’étant pas armée, tuant 52 d’entre elles sans qu’aucune accusation ne soit portée. L’impunité est encore plus grande si la victime est Afro-Américaine et issue des classes sociales les plus pauvres.

Analyse en trois temps

L’absence d’accusation s’explique de plusieurs façons, mais en premier lieu, il faut comprendre l’importance des grand juries, cette institution unique aux États-Unis et dont le fonctionnement change d’un État à l’autre. Un grand jury est composé de citoyen·ne·s évaluant si un cas « présenté par un procureur d’État doit être retenu pour aller en procès. Étant donné l’absence formelle d’accusation, on peut penser que les gens se retrouvant sur les grand juries ont un préjugé favorable envers les policiers. Dans le cas de Wilson, il semble que les jurés n’aient pas jugé bon de remettre en question sa version des faits, contrairement aux autres témoins qui eux ont été interrogés consciencieusement. Ce préjugé favorable est parfois renforcé lors de la sélection des membres du jury. Au Texas par exemple, elle se fait entre autres via des commissaires qui choisissent des gens « qualifiés » issus de la communauté où sera tenu le procès. À cet égard, une étude menée en 2004 par l’Université de Houston démontre que la majorité des commissaires du comté de Harris ont des liens directs avec le système judiciaire ou la police, ce qui fait penser qu’un biais favorable envers ces institutions favorise la sélection d’un juré. Le juge en chef de la Cour d’appel de New York a par ailleurs récemment qualifié le système des grand juries de « vieille institution datant de l’époque médiévale  » et en appelait à une importante réforme de celui-ci.

Plusieurs soulignent en second lieu la proximité des procureurs et de la police, les premiers ayant besoin des seconds. Souvent, les procureurs interrogent les officiers de façon à ce que ceux-ci puissent justifier leurs actions. Cette proximité nuit à l’impartialité, réelle ou apparente du processus, car s’ils ne veulent pas d’accusation, les procureurs n’ont qu’à travailler en ce sens. À Ferguson, le procureur Robert P. McCulloch a de nombreux proches dans les forces policières… Si un procureur tente au contraire d’inculper des policiers, il s’expose à de possibles représailles et à de l’intimidation comme ce fut le cas pour la procureure générale de la ville d’Albuquerque en 2013.

En troisième lieu, l’adoption des lois dites « stand your ground » dans de plus en plus d’États, permettant à quiconque l’utilisation de la force létale en cas de menace, renforce l’impunité policière. En effet, comme pour les civils, il suffit au policier accusé de démontrer qu’il se sentait menacé lorsqu’il a décidé d’utiliser la force pour être acquitté. Cette explication est renforcée par deux éléments, soit l’absence de la version de la victime qui ne peut contredire l’officier et une forte omertà policière. Bien que cette dernière repose parfois sur la pression des pairs, il reste que seulement 39 % des policiers et policières croient qu’ils doivent dénoncer les abus de leurs collègues. Pire, dans plusieurs États, il est impossible d’utiliser le dossier disciplinaire d’un officier contre lui lors d’un procès.

La faible imputabilité des policiers encourage l’utilisation parfois excessive de la force. En 2013, il y a eu 461 homicides commis par des policiers états-uniens, un nombre record pour les 20 dernières années. Ce chiffre reste toutefois en deçà de la réalité, car contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’existe pas réellement de statistiques précises sur le nombre d’homicides commis par des policiers en service. Ce chiffre, compilé par le FBI, reste une approximation, car le bureau ne fait pas confiance aux données fournies par certains États comme la Floride. Sous la pression populaire, les autorités ont commencé à exiger plus de transparence et d’imputabilité des corps policiers, notamment en exigeant le port d’une caméra corporelle par les officiers. Cependant, le processus sera difficile et demandera une mobilisation citoyenne et politique à long terme.

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