Le néolibéralisme en zone de turbulence

No 72 - déc. 2017 / janv. 2018

International

Le néolibéralisme en zone de turbulence

Claude Vaillancourt

Les dernières années ont été marquées par des changements politiques importants dans le monde : Brexit, élection de Donald Trump aux États-Unis, renforcement de gouvernements autoritaires dans plusieurs pays (Turquie, Russie, Indonésie, Hongrie, etc.), remise en cause du libre-échange, montée de l’extrême droite. En dépit de ces transformations, le néolibéralisme se perpétue toujours, contre vents et marées. Mais tient-il aussi solidement le coup qu’on pourrait le croire ? Entrerait-il dans une nouvelle phase ?

Cette dernière question a été posée, entre autres, à l’université d’été européenne des mouvements sociaux qui s’est tenue à Toulouse en août dernier. Ce grand rassemblement altermondialiste a permis de faire le point sur les luttes, tant sur le Vieux Continent qu’ailleurs dans le monde, avec un point de vue forcément très européen, mais peut-être pas très différent de celui qu’on partage dans d’autres régions. Le questionnement sur l’état de santé du néolibéralisme était considéré comme essentiel dans la planification des luttes à venir.

Et celui-ci se porte bien, personne n’oserait dire le contraire. En France, l’élection d’Emmanuel Macron a permis la relance d’un grand projet pourtant avancé et mis en marche depuis de nombreuses années. Sous le prétexte d’appliquer un programme « centriste » et porté par une aura de jeunesse et de nouveauté, le gouvernement Macron s’attaque à ce qui a résisté à de longues années de libéralisation. Il propose une plus grande précarisation du travail, une importante réduction de l’appareil d’État, de nouvelles privatisations. À suivre le débat public en France, on entend redites avec enthousiasme de vieilles rengaines néolibérales qu’on croyait bien usées, mais auxquelles le jeune président donne une nouvelle vigueur.

Le gouvernement de Justin Trudeau tente lui aussi de redonner un lustre au néolibéralisme en usant à n’en plus finir du qualificatif « progressiste » et en tentant de faire croire qu’il agit dans le but de « renforcer la classe moyenne ». Ces leitmotive deviennent particulièrement irritants tant les mots s’opposent à la dure réalité des politiques des libéraux. Par exemple, notre premier ministre écologique donne son approbation à des pipelines ; il soutient des accords le libre-échange qui haussent le coût de médicaments et ouvrent nos marchés publics à la concurrence étrangère, en les fragilisant ainsi davantage ; il favorise un financement privé pour ses projets d’investissements publics. Des mesures trop familières qui affecteront directement cette classe moyenne qu’il prétend pourtant tellement aimer et servir.

Et pourtant, tout ne change-t-il pas ?

Les deux premiers de classe que sont Macron et Trudeau, champions quand il s’agit de faire passer des vessies pour des lanternes, doivent pactiser avec des chefs d’État qui, eux, ne s’enfargent pas dans la rhétorique, sinon pour créer une surenchère dans les menaces et dans l’intimidation. Ce qui ne dérange en rien l’ordre néolibéral. Le climat de tension mondiale qui règne actuellement est, entre autres, excellent pour le développement des industries militaires et sécuritaires.

Les pays aux gouvernements autoritaires orientent la répression et leurs menaces sur les éléments les plus progressistes parmi les populations, comme on a pu le voir plus particulièrement en Turquie, où journalistes, enseignant·e·s, fonctionnaires, intellectuel·le·s sont constamment visé·e·s par le gouvernement du président Erdogan. En contrôlant ainsi de façon très serrée le mouvement social, ces gouvernements sont sourds à ses revendications. Mais du côté de la business, tout roule bien, à la condition de se fermer les yeux sur les abus et la répression, ce qui historiquement parlant, a rarement été un problème pour le monde des affaires.

Aux États-Unis, Donald Trump n’agit pas contre les intérêts des élites, même si elles le perçoivent un peu comme un membre de la famille aux comportements grossiers dont on a honte. Après tout, ne promet-il pas une déréglementation toujours plus grande de toute l’activité commerciale et de substantielles baisses d’impôt aux entreprises ? Un président malembouché, avec un gros ego, mais à la tête d’un État réduit et privatisé autant que possible, n’a rien pour déplaire. Il semble donc que le néolibéralisme s’aventure désormais dans des zones quelque peu nauséabondes, mais que les mauvaises odeurs ne répugnent pas vraiment – tant que les profits s’accumulent.

L’avenir trouble du libre-échange

Le sort accordé au libre-échange pourrait annoncer un important changement dans l’orientation du néolibéralisme, voire peut-être un réel affaiblissement. Les traités de libre-échange ont toujours été l’un des principaux fers de lance de la nouvelle économie. La circulation sans contraintes des capitaux, la déréglementation et le pouvoir donné aux entreprises de poursuivre directement les États sont au cœur des politiques commerciales depuis près de 30 ans.

Celles et ceux du mouvement altermondialiste qui combattent le libre-échange n’en croient plus leurs yeux aujourd’hui. L’Accord de partenariat transpacifique, un des grands projets particulièrement discutables de Barack Obama, a brutalement sombré. L’ALENA est renégocié avec une évidente mauvaise foi de la part des États-Unis, qui remettent même en question le chapitre 11 sur la protection des investisseurs, celui-là même si souvent dénoncé par le mouvement social. Même l’accord commercial entre le Canada et l’Union européenne, pourtant ratifié à la va-vite par le parlement canadien, rencontre une telle opposition en Europe et si peu d’approbation dans l’opinion publique, qu’il sera permis de douter de sa véritable légitimité.

Le rejet du libre-échange a été conséquent d’un grand opportunisme politique au Royaume-Uni et aux États-Unis. Il n’est pas l’œuvre d’individus qui s’en prennent à l’économie de marché, mais d’ultralibéraux populistes dont il est difficile de bien saisir leurs intentions tant elles semblent contradictoires. Pour cette raison, on peut sérieusement s’interroger sur les menaces qui surplombent sur le libre-échange : s’agit-il de quelques perturbations avant que tout ne revienne à la normale ? Ou d’une véritable remise en cause, parce qu’il semble évident que défendre ce choix ne peut que déplaire à un l’électorat dont on cherche malgré tout à obtenir les faveurs ?

À gauche, le champ des possibles

Au Royaume-Uni, plusieurs croient aux chances de Jeremy Corbyn de prendre bientôt le pouvoir. Cet ex-mal aimé des médias, représentant la frange la plus à gauche du Parti travailliste, serait en voie de devenir, depuis de longues années, le premier chef d’État d’une grande puissance à défendre un programme véritablement progressiste. Si l’establishment démocrate ne s’était pas attaqué férocement au candidat très à gauche Bernie Sanders, ce dernier aurait pu remporter l’investiture et battre Donald Trump, comme l’indiquaient de nombreux sondages. En France, une union des socialistes dirigés par Benoît Hamon et des insoumis de Jean-Luc Mélenchon, dont les programmes se ressemblaient beaucoup, aurait permis de constituer une force politique incontournable.

Certes, une pareille accumulation d’hypothèses ne mène à rien de concluant. La gauche radicale n’a encore aucune victoire significative derrière elle. Mais en politique, les parcours sont souvent hasardeux, et le passage d’un régime à un autre ne tient parfois qu’à un fil. Cette émergence d’une gauche qui revient à ses valeurs de base, reprend les propositions du mouvement altermondialiste et sort de façon significative de la marginalité, et ce, dans trois pays particulièrement importants, est un phénomène qu’il faut souligner.

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