Coopérative des librairies indépendantes du Québec

No 89 - septembre 2021

Culture

Coopérative des librairies indépendantes du Québec

Un laboratoire d’initiatives culturelles et sociales

Charles Beaudoin-Jobin, Myriam Boivin-Comtois

Dans le domaine du livre, des géants comme Amazon et Renaud-Bray occupent une place si grande qu’ils menacent la diversité de l’offre et l’accessibilité à des œuvres plus rares. Au Québec, toutefois, une forte résistance à cette domination s’est développée grâce à un réseau de librairies indépendantes solidaires et en très bonne santé.

Depuis 1999, le réseau Renaud-Bray s’est engagé dans une phase agressive de consolidation avec l’achat du groupe concurrent Archambault, des librairies anglophones Paragraphe et de la défunte librairie Olivieri, l’expulsion de Raffin des Galeries Rive Nord au bénéfice d’un Renaud-Bray, et l’ouverture de succursales contiguës à des librairies indépendantes. De plus, en 2017, le conglomérat a procédé à une intégration verticale en acquérant Prologue, jadis le plus important distributeur et diffuseur indépendant de livres au Québec. Face à un marché de plus en plus dominé par les gros joueurs, dont Renaud-Bray, Amazon, Costco et Walmart représentent l’archétype, d’autres acteurs font contrepoids pour faire de la librairie un lieu vivant : ils sont réunis dans la coopérative des Librairies indépendantes du Québec (LIQ).

Du journal à la coopérative

À l’automne 1998, la librairie Pantoute à Québec lance la première édition du journal Le libraire, y faisant collaborer près de vingt personnes, dont seize libraires. La publication vise à mettre de l’avant le rôle-conseil des libraires indépendants. Le journal est d’abord distribué uniquement par Pantoute, mais la formule évolue rapidement : d’autres librairies indépendantes investissent dans l’achat d’exemplaires du journal et offrent gratuitement la publication aux clients, obtenant alors le privilège de participer au contenu rédactionnel. Aujourd’hui, le journal, tiré à plusieurs milliers d’exemplaires, a changé de format et est devenu un magazine, en plus de changer de nom pour devenir Les libraires. Par ailleurs, d’autres projets en sont nés, dont deux sites Internet (lelibraire.org et livresquebecois.com) et, surtout, une coopérative de services réunissant des librairies indépendantes.

C’est en 2011 que les librairies indépendantes déjà rassemblées autour du projet du magazine se regroupent officiellement, ouvrent leurs portes à d’autres indépendants et fondent ainsi la coopérative des LIQ. Le dynamisme de la coopérative se fait sentir par différentes initiatives rapidement mises en place, comme la journée des librairies indépendantes et le lancement des sites leslibraires.ca et quialu.ca.

Cette coopérative regroupe aujourd’hui 115 librairies indépendantes réparties dans seize régions administratives du Québec, des Maritimes et de l’Ontario. Le mandat principal des LIQ s’articule autour de la promotion de la librairie indépendante, du développement d’outils promotionnels, technologiques et commerciaux, de la mise en commun (les achats groupés), du soutien aux librairies et aux membres, et ce, selon quatre principes : mutualisation, autoproduction, coopération, démocratie.

La mutualisation

Les LIQ proposent aux membres de répartir les coûts de certains outils, dont le site transactionnel leslibraires.ca. Dans un contexte de consolidation du marché, la coopération s’avère une alternative favorisant la viabilité des librairies indépendantes. « Regrouper ensemble toutes les commandes de nos membres permet des économies d’échelle vraiment majeures. À 115 librairies, on peut atteindre des prix en gros vraiment significatifs », se réjouit Josée-Anne Paradis, rédactrice en chef de la revue Les libraires et directrice de contenu pour les LIQ. L’amour du milieu, l’entraide ainsi que la collégialité entre les membres sont la trame de fond du regroupement.

L’autoproduction

Les LIQ publient toujours la revue Les libraires, mais produisent aussi à leur compte un répertoire commun de ressources et d’outils promotionnels permettant aux librairies indépendantes de faire rayonner leur spécificité, ainsi que divers outils commerciaux destinés aux membres. Chaque année, la coopérative offre ainsi un catalogue de Noël et différents livrets thématiques, dont un sur les littératures autochtones.

La coopération

Le soutien offert par les LIQ se traduit également par la création d’une communauté de pratiques informelles où, dans le cadre d’assemblées générales annuelles, les membres mettent en commun leurs manières de faire, racontent leurs expériences et parlent des défis auxquels ils et elles ont fait face afin de développer de nouveaux savoirs. « Par exemple, un membre peut expliquer à d’autres comment sa librairie fonctionne afin de maximiser les retours de livres ; un autre libraire peut donner un conseil sur le système informatique que plusieurs utilisent. Personne n’est avare de conseils auprès des autres », raconte Josée-Anne Paradis. L’entraide ne se limite pas aux frontières du réseau. Ainsi, les LIQ assurent la promotion et la visibilité des membres en tissant des partenariats multiples, par exemple avec la Fabrique culturelle, avec les différents festivals littéraires au Québec, ou encore avec différents médias comme Radio-Canada ou les revues Les débrouillards et Lettres québécoises.

La démocratie

Le fonctionnement de la coopérative est assuré par douze employé·e·s et par un conseil d’administration élu en assemblée générale. Les membres du conseil d’administration sont tous propriétaires de librairies indépendantes. Les membres des LIQ participent à la vie politique du réseau, notamment en prenant position sur le plan d’action collectif lors de l’assemblée générale annuelle. Pour Benoît Vanbeselaere, responsable des communications et des événements à la librairie Pantoute à Québec, « c’est important que chaque librairie [indépendante] puisse faire entendre sa voix démocratiquement dans une association commune ».

Bibliodiversité et rapports humains

Quel est l’effet de cette coopérative sur le marché du livre, sur le métier de librairie, sur la lecture ? « Ce qui, selon moi, est le point central des librairies indépendantes, c’est qu’elles défendent la bibliodiversité », affirme Josée-Anne Paradis. « Elles tiennent dans leur stock des livres vraiment intéressants, mais autour desquels peu de marketing a été fait. Elles répondent au besoin de curiosité de leurs clients. Si toutes les grandes chaînes proposent les mêmes livres, les indépendants, eux, ont toujours en main la petite perle méconnue dont ils partagent le titre avec celui ou celle qui entrera dans leur commerce ».

Le lien social, qui s’incarne dans le service-conseil des libraires auprès des client·e·s, est également au cœur de la mission de ces commerces locaux. Pour Marie-Ève Blais, l’une des fondatrices de la librairie L’Euguélionne, à Montréal, «  il y a des limites aux algorithmes. Les gens recherchent de plus en plus le commerce de proximité, un espace où ils pourront avoir un service plus personnalisé. Ce retour au rapport humain, c’est ce qui a conduit à cette explosion des petites librairies. Répondre à ce besoin est notre rôle [1]. »

Les hausses fulgurantes des ventes de livres dans les librairies indépendantes durant la pandémie de COVID-19 [2] laissent entrevoir un avenir lumineux pour les membres des LIQ. Jean-Benoît Dumais, directeur général de la coopérative, a évidemment constaté l’augmentation des ventes réalisées sur le site transactionnel leslibraires.ca durant les derniers mois. « On a beaucoup parlé de l’explosion du commerce en ligne pendant la pandémie. Et on sait que les commandes Web ne redescendront pas au niveau d’avant, même lorsque tout sera déconfiné et en zone verte », déclare-t-il. Jean-Benoît Dumais souligne aussi les défis posés par cette flambée : « Les librairies apprennent à gérer la logistique de ce nouveau canal de vente (il n’y a pas d’entrepôt central, toutes les commandes sont traitées par les librairies qui ont pignon sur rue) et nous les accompagnons pour communiquer avec ces clients Web. Comme le rôle-conseil des libraires est le cœur de leur métier, on essaie de le prolonger sur le Web à travers divers projets (ex. quialu.ca, recommandation.ca) puisqu’une partie des activités de la librairie a maintenant lieu dans cet univers dématérialisé que propose Internet.  »

Ce bref portait, loin d’être exhaustif, témoigne de la grande vivacité de la coopérative des Librairies indépendantes du Québec et des stratégies innovantes qu’elle déploie pour faire face aux défis du monde des livres. Pour Benoît Vanbeselaere, l’esprit coopératif des LIQ est bien résumé par le dicton : « qui veut aller vite va seul, qui veut aller loin va ensemble ». 

Les libraires


[1Citée dans Chantal Guy, « Le renouveau des librairies indépendantes », Lettres québécoises, no 167, automne 2017, p. 23.

[2Au Québec, en 2020, la vente de livres dans les librairies indépendantes a connu une hausse de 18 %. Voir « Augmentation des ventes pour les librairies indépendantes », Radio-Canada, 7 février 2021. Disponible en ligne.

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