Projet « Goûter NOUS ! » : pour une souveraineté alimentaire

Dossier : Cultiver la résistance

Dossier : Cultiver la résistance agricole

Projet « Goûter NOUS ! » : pour une souveraineté alimentaire

Christian Bégin, Donald Dubé, Colombe Saint-Pierre

Au Québec, quand on parle de souveraineté, on pense évidemment au projet indépendantiste. Or, la souveraineté peut prendre d’autres formes, comme celle de la souveraineté alimentaire. Qu’y a-t-il de plus fondamental pour un peuple que d’être capable de se nourrir lui-même ?

Cette question, Jean Garon l’a posé clairement dans son dernier livre, Pour tout vous dire, paru en 2013. Ministre de l’Agriculture de 1976 à 1985, il est nommé par René Lévesque et a pu bénéficier de son appui indéfectible tout au long de sa carrière. À l’époque, Jean Garon modernise le ministère de l’Agriculture à un point tel que l’autonomie alimentaire du Québec passe de 47 % à plus de 80 %. Selon Garon, rien ne peut générer plus de fierté que la capacité de pourvoir à ses besoins sur le plan de l’alimentation. À la suite des années Garon, notre autonomie alimentaire n’a cessé de décliner au même rythme que disparaissaient les fermes familiales indépendantes. Elle se situe maintenant autour de 35 %.

Souveraineté et autonomie alimentaires

Depuis les années 1950, le nombre de fermes est passé d’environ 150 000 à moins de 30 000. Le Québec voit donc ses terres agricoles abandonnées, notamment faute de relève. À ce titre, le Bas-Saint-Laurent compte plus de 8 000 hectares de terres dévalorisées dites « en friche ». Il est temps de se les réapproprier, il est temps de les remettre en production ! La souveraineté alimentaire s’incarne donc d’abord dans la réappropriation des terres agricoles et du savoir-faire paysan en matière d’agriculture nourricière. Pour ce faire, nous devons miser sur la pédagogie et sur l’enseignement du métier. Le Cégep de Victoriaville est un exemple de réussite en la matière : le cours en production légumière biologique contribue significativement à l’émergence de nouvelles fermes de proximité dans tout le Québec.

La souveraineté alimentaire est intrinsèquement reliée à l’habitation du territoire et, conséquemment, redéfinit les rapports des habitant·e·s entre eux et elles, mais aussi avec la terre qui les nourrit. Être souverain, c’est aussi comprendre que chaque région du Québec a ses particularités, ses saisons, son temps et que l’agriculture nourricière est, par définition, une agriculture en constant dialogue avec le territoire et les gens qui l’occupent, à l’écoute et au diapason de ses champs et de ses gens.

La souveraineté alimentaire, c’est donc pouvoir décider comment on se nourrit et comment on cultive le territoire. Le processus qui nous mène vers une plus grande autonomie alimentaire nous mène inévitablement vers une plus grande souveraineté. Cette autonomie est notre capacité nette à nous nourrir avec ce que nous produisons – ou ne produisons pas encore –, et ce, dans le respect de ce que le territoire peut offrir.

Par contre, le concept même de l’autonomie alimentaire peut laisser insidieusement sous-entendre que TOUT ce qui nous nourrit serait produit et transformé ici, sur notre territoire. En effet, nous aurons beau nous munir de serres sophistiquées pour y cultiver des agrumes ou des fraises en janvier, nous ferons fausse route. La multiplication des serres déconnectées des particularités et des aspérités de notre territoire, déconnectées de la saisonnalité et faisant la promotion d’un consumérisme qui laisse miroiter que tout est accessible tout le temps ne nous rend ni plus autonomes ni plus souverains, mais bien encore et toujours soumis·e·s à une agriculture désincarnée.

Vision politique et occupation du territoire

Viser la souveraineté alimentaire, c’est se mettre collectivement sur le chemin de la reprise du pouvoir. Les moyens d’y arriver existent. Le rapport Pronovost constitue à cet égard une référence malheureusement négligée. Publié en 2006, le rapport est issu de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et l’agroalimentaire québécois (CAAAQ), alors présidée par Jean Pronovost, et propose une multitude de moyens pour augmenter notre souveraineté dans ce domaine. À la suite de ce rapport, une vaste consultation est mise en branle, dans le cadre de laquelle plus de 800 personnes sont entendues et 770 mémoires sont recueillis.

Si très peu des propositions émanant de ces deux exercices démocratiques ont été appliquées depuis, des centaines d’initiatives citoyennes en ce sens ont tout de même été lancées. Le Bas-Saint-Laurent se révèle un laboratoire innovant et un territoire vers lequel les yeux se tournent déjà, notamment grâce au travail exceptionnel de la Table de concertation bioalimentaire du Bas-Saint-Laurent, ou encore au projet de FabRégion, qui en font un modèle unique en ce moment. Il faut espérer que la détermination et la pugnacité de ces nouveaux·elles agriculteur·trice·s forceront le MAPAQ et autres organes du pouvoir en ces matières à prendre acte de ce qui se met en place.

Le changement ne nous arrivera pas par la voie de la politique, puisqu’il est en marche dans nos champs. En fait, nos champs sont déjà politiques et le sillon de notre souveraineté s’y creuse. L’agriculture soumise aux dictats des ententes de libre-échange et au productivisme effréné se révèle incapable de nous nourrir sainement et équitablement sur cette seule Terre que nous avons à partager. Mais voilà que nous assistons à un nouveau « retour à la terre », à une « révolution agricole » qui témoigne de la nécessité de devenir souverain·e·s, ici comme partout sur la planète, d’un point de vue alimentaire. C’est par la voie de nos champs et d’un « souverainisme agricole » que nous arriverons à NOUS nourrir et à goûter, chaque année un peu plus, NOUS.

Nous voulons l’espace et la volonté politique pour mettre en place ce qui a déjà fait la preuve, soit qu’une agriculture nourricière de proximité est plus résiliente en temps de crise.

Nous voulons l’espace et la volonté politique pour mettre en place une politique agricole qui veillera à mieux nous nourrir et à retisser le lien indispensable qui doit unir ceux et celles qui nous nourrissent à ceux et celles qui mangent.

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