Oser prendre toute la place à gauche

No 94 - Hiver 2022/2023

Retour sur les élections provinciales 2022

Oser prendre toute la place à gauche

Réflexions stratégiques postélectorales

Benoit Renaud

À première vue, les résultats de Québec solidaire (QS) aux élections du 3 octobre 2022 sont assez décevants. Ce maintien des acquis devient troublant quand on le compare à la trajectoire de progression constante qu’a connue QS depuis ses débuts [1]. Pour progresser d’ici 2026, QS doit passer de la consolidation de sa base à la conquête de nouveaux territoires politiques.

L’apparition de Québec solidaire sur la scène politique est essentiellement le résultat d’une série de mouvements sociaux massifs, allant de la Marche mondiale des femmes de 2000 à la grève étudiante de 2005, en passant par le mouvement altermondialiste (Québec 2001) et l’opposition à la guerre en Irak (2002-2003). Le bond de moins de 4 à près de 8 % des voix entre 2008 et 2012 s’explique en bonne partie par la grève générale étudiante et le positionnement très clair du député Amir Khadir et du parti en appui à ce mouvement. De 2014 à 2018, l’usure du pouvoir a frappé durement le PLQ pendant que le PQ n’arrivait pas à se redéfinir. Tant la montée de la CAQ que celle de QS pouvaient s’expliquer par la crise des deux partis qui avaient gouverné le Québec depuis 1970.

Entre 2018 et 2022, les luttes sociales ont été mises en veilleuse en grande partie dans le contexte de la pandémie. Notamment, les négociations du secteur public se sont conclues par une sorte de trêve, avec la signature de contrats de trois ans. Le gouvernement Legault remettait alors à après l’élection générale suivante son ambition d’imposer des reculs majeurs aux personnes qui travaillent dans les services publics et la fonction publique. Dans ce contexte de tranquillité sociale du côté des forces progressistes, ce sont les mouvements populistes de droite et l’extrême droite qui ont occupé beaucoup de place, alimentant la montée inattendue du Parti conservateur du Québec, avec ses 12 % des voix. Globalement, la période actuelle est marquée par le succès de la droite populiste, notamment sur le thème de l’hostilité face à l’immigration, et l’échec des forces de gauche, y compris avec de nouveaux partis, face aux défis d’une véritable rupture avec le capitalisme mondialisé.

Dans ce paysage politique densément occupé et ce contexte social et idéologique assez morose, on peut comprendre que la direction de QS a décidé d’opter pour une stratégie essentiellement défensive, mettant de l’avant les thèmes les plus évidents pour un parti réformiste de gauche : le climat et la justice sociale. Mais une telle stratégie avait ses limites, et il va falloir voir les choses autrement si on veut éviter que le phénomène Québec solidaire devienne une belle aventure à la marge, sans espoir d’arriver un jour au gouvernement.

Nous avançons que la stratégie qui pourrait permettre à QS de connaître un nouveau saut qualitatif d’ici 2026 devrait s’articuler autour du principe d’une offensive sur les terrains que nos adversaires considèrent comme leur force. Il ne devrait plus y avoir de mauvais sujets pour le parti, des sujets qu’on évite ou qui nous font marcher sur des œufs. On doit mettre de l’avant des idées claires et fortes sur toutes les questions susceptibles de définir le paysage politique et de déterminer les choix de la population. Le parti doit aussi mobiliser toutes ses capacités en appui aux luttes sociales et à leur convergence. Ultimement, c’est ce qui se passe dans la rue qui va déterminer les résultats dans l’urne.

Projections 2026

Les résultats du 3 octobre 2022 constituent une sorte de photo. Tentons donc de déterminer dans quel film cette image se situe, quelles tendances on peut projeter.

La CAQ pourrait difficilement aller plus haut. L’usure du pouvoir après deux mandats devrait avoir raison de l’expansion continue de cette force politique. Le caractère de coalition du parti de Legault devrait commencer à lui causer des maux de tête, avec un caucus de 90 personnes plus hétérogène que la masse de petits patrons de 2018. Le rassemblement autour d’un nationalisme superficiel et d’un pragmatisme tendant vers la résignation ne pourra pas résister indéfiniment à la pression des luttes sociales et aux impacts de la stagnation économique.

Le PLQ pourrait difficilement descendre plus bas. Réduit à ses châteaux forts de la région de Montréal et du Pontiac, il pourrait profiter de l’épuisement de la CAQ pour reconquérir une partie de l’électorat de centre droit fédéraliste francophone qui s’est rallié à la CAQ en ٢٠٢٢ après être demeuré sceptique en ٢٠١٨. Bref, le PLQ et la CAQ sont en partie des vases communicants, et si rien d’autre ne se produit de significatif dans le paysage social et politique, les malheurs des uns pourraient amener le bonheur des autres.

Le PQ va perdurer. L’élection de son chef et un vote populaire équivalent à ceux du PLQ et de QS ont déjà convaincu la base péquiste qu’il y a encore de l’espoir. Les orientations du parti combinent des idées de centre gauche sur les questions environnementales, économiques et sociales – ce qui crée des points de convergence avec QS – et des idées conservatrices sur l’immigration, la langue, la laïcité et la lutte contre le racisme, plaçant le PQ dans le même camp que la CAQ et le PCQ. Cet écartèlement est maintenu en place par l’évocation rituelle du projet souverainiste. Est-ce que le PQ va continuer à décliner comme il le fait depuis son sommet à 49 % des votes en 1981 ? Probablement. Est-ce qu’il pourrait rebondir un peu à la faveur des faiblesses de ses adversaires ? Sans doute.

Le PCQ va chercher à se tailler une place. Fermement installé comme la voix des antivaccins, des progaz, des antiféministes et de la xénophobie ordinaire, il va continuer à talonner la CAQ dans ses bastions de la grande région de Québec, moussé par les radios-poubelles dont son chef est issu. Est-ce que la CAQ va se déplacer vers la droite en réponse aux luttes sociales et à ses contradictions internes ? Est-ce que le PQ va chercher à occuper le terrain de la politique anti-immigration pour rallier l’électorat conservateur ? En tout cas, sans l’élection de députés en 2026, le PCQ pourrait retourner dans la marginalité.

Frapper là où l’adversaire se croit fort

Ce qui tient la coalition de la CAQ ensemble est principalement sa rhétorique nationaliste. Pour miner son unité et dévoiler l’absence de substance de son autonomisme, il faudra insister sur l’échec de ses multiples demandes face au gouvernement fédéral et mettre clairement de l’avant la nécessité de l’indépendance. Sur ce terrain, l’accord avec le PQ sera évident. D’un côté, cette convergence au niveau du discours devrait permettre de continuer à éroder le discours des péquistes fâché·es qui accusent QS de ne pas être vraiment indépendantiste. De l’autre, ce sera un argument pour les métapéquistes qui rêvent encore à une alliance PQ-QS.

Les libéraux sont plus que jamais le parti de la défense des intérêts des minorités, en particulier de la communauté anglophone. Son nationalisme canadien masque des divisions de classe profondes. D’ailleurs, les communautés anglophones sont davantage polarisées sur le plan socio-économique que la majorité francophone. QS va devoir contester ce rôle de tribun des minorités en menant une bataille soutenue contre la Loi 21 et pour un rétablissement du principe de l’égalité des droits. Il devra aussi mettre de l’avant sa critique de la Loi 96 sur la langue, notamment en ce qui concerne le statut particulier que devraient avoir les langues autochtones et le retrait de la clause des six mois pour les nouveaux·elles arrivant·es.

Bien entendu, cet effort de QS en direction d’une partie de la base du PLQ va irriter au plus haut point les éléments les plus conservateurs du PQ et contribuer à écarter l’idée d’un pacte électoral souverainiste. Les péquistes qui en auront assez du virage identitaire pourront toujours choisir de se rallier à QS, le seul parti indépendantiste avec un réel potentiel de croissance et des appuis dans la jeunesse et chez les néo-Québécois·es.

En plus de la souveraineté, ce qui a permis au PQ de se distinguer et de mobiliser ses membres récemment est la question linguistique. En s’appuyant sur une interprétation catastrophiste des données statistiques récentes, il a insisté sur des politiques comme l’application de la loi 101 au cégep et la réduction des seuils d’immigration à 35 000 personnes par année. QS doit répondre à cette rhétorique en démontrant clairement qu’une immigration massive en bonne partie francophone, combinée avec une vigoureuse politique de francisation, constitue en fait la seule stratégie permettant de freiner le déclin démographique du Québec tout en préservant son caractère français.

Bref, il s’agit de rendre le PQ redondant sur l’indépendance et sur la langue tout en prenant la place du PLQ sur le terrain de la défense des droits de la personne et des minorités. Dans le contexte d’un deuxième mandat de la CAQ, la forme de cet effort de ralliement d’une partie de la base du PQ et du PLQ devrait être une série d’attaques contre le gouvernement de la CAQ. Un élément positif de la récente campagne a été l’effort mis de l’avant par la CAQ et François Legault pour attaquer QS. Il faut encourager cette polarisation CAQ vs QS à chaque occasion. La CAQ est le parti du passé, de la routine, de la résignation. QS est le parti de l’avenir, du changement et de l’audace.

Bien entendu, l’esquisse de stratégie que nous présentons ici est rudimentaire, très générale et sujette à révision à la lumière de l’expérience. Mais une chose est claire, on n’arrivera pas à doubler ou tripler les appuis à QS (ce qui est nécessaire pour gagner une élection générale) sans passer à l’offensive, tant sur le plan des idées que de la mobilisation sur le terrain.


[1C’est la stagnation en comparaison avec la percée historique de 2018. On passe de 10 à 11 député.e.s, le pourcentage des votes baisse légèrement de 16,10% (649 503) à 15,42% (633 414). La deuxième place en pourcentage des votes est symboliquement positive, mais due au déclin du PQ et du PLQ, pas à une montée des votes solidaires. Aux élections de mars 2007 et de décembre 2008, QS avait obtenu un peu moins de 4% des voix (3,64 et 3,78). Pour celles de septembre 2012 et d’avril 2014, c’était 6,03% et 7,63%. Le 1er octobre 2018, QS a connu un bond en avant avec 16,10%. Alors comment expliquer l’absence de progression quatre ans plus tard ?

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