« L’école efficace » : entre discours abusif et évaluation inefficace

5 octobre 2022

Éducation

« L’école efficace » : entre discours abusif et évaluation inefficace

« La première place du réseau public francophone revient aux élèves du Centre de services scolaire Marguerite-Bourgeois » titrait récemment un communiqué triomphant du Centre de services. Une nouvelle occasion pour son directeur général de vanter les mérites de ce qu’il qualifie dans les médias « d’école efficace ». Dans le préambule du rapport de la Fédération des cégeps sur la réussite, ce dernier précisait qu’il s’agirait de « déployer des pratiques de gestion exemplaire qu’on retrouve dans la littérature scientifique » et de faire preuve « d’un leadership pédagogique affirmé et courageux ».

À priori, avec 10 points de pourcentage au-dessus de la moyenne du taux de diplomation des écoles secondaires publiques qui est de 79 % après 7 ans, le Centre de services scolaire Marguerite-Bourgeois (CSSMB) a de quoi se réjouir, mais monsieur Bertrand son directeur, a-t-il raison d’attribuer tant de mérite à son modèle de gestion ? Il y a quelques mois, j’ai communiqué avec ce Centre de services pour savoir s’il existait un document qui permettrait de démontrer les liens entre les pratiques mises en place et les résultats. Malgré une très grande ouverture de la direction des ressources éducatives pour me fournir des informations brutes, la réponse à ma question a été négative. On se vante donc d’utiliser la science pour influencer les pratiques du personnel de l’éducation, mais on ne l’utilise pas pour évaluer ses propres pratiques ?

Il est tout d’abord difficilement concevable de ne pas prendre en considération les principaux déterminants de la réussite notamment le niveau de scolarité des parents, particulièrement celui de la mère, et leurs revenus pour être en mesure de réellement comparer la réussite des élèves d’un Centre de services à l’autre et même d’une école à l’autre. Il faut donc s’intéresser au territoire du Centre de services et aux caractéristiques de la population qui fréquente les écoles. Le CSSMB est située en partie dans l’ouest de l’île de Montréal reconnu pour être plus riche que la partie Est. Si on y retrouve des écoles situées dans des quartiers défavorisés, il faut également mentionner des écoles dans des lieux comme Outremont ou ville Mont-Royal. Dans ce dernier cas, le taux de d’obtention du DES était déjà de 96 % en 2016.

Or, alors qu’entre 2016 et 2021 les effectifs au secondaire ont augmenté d’un peu plus de 15 % dans l’ensemble de le CSSMB, l’augmentation a été de plus de 50 % dans l’école secondaire Paul-Gerin Lajoie d’Outremont, une institution avec projet sélectif dont un programme de douance ! Pendant ce temps, les deux écoles de le CSSMB classées au dernier rang pour leur indice de défavorisation connaissaient une stagnation de leurs effectifs et, du côté de la formation professionnelle, la pandémie a fait redescendre le taux de diplomation à son niveau de 2016 soit 70 %. Les rapports annuels du Centre de services permettent quant à eux d’observer que la démarcation de le CSSMB avec la moyenne québécoise avait commencé avant l’arrivée de monsieur Bertrand. Par la suite, entre 2014 et 2021, l’amélioration du taux de diplomation a été relativement similaire entre le CSSMB et l’ensemble du Québec. Si ces données ne permettent pas d’affirmer que les pratiques de « l’école efficace » sont sans effets, elles invitent toutefois à beaucoup plus de prudence dans l’utilisation du taux de diplomation moyen d’un centre de service avant de vouloir répandre « la bonne nouvelle » à l’échelle du Québec.

Bien qu’on ne doute pas de l’engagement du personnel envers la réussite et de certaines pratiques intéressantes du centre de service scolaire Marguerite-Bourgeois, il apparaît difficile d’affirmer que le CSSMB fait mieux grâce au type de gestion en place. Le discours porté par la direction met en compétition des institutions publiques très diverses tout en ajoutant de la pression sur le personnel, et ce, sur une base discutable. Si les adeptes des données probantes ne souhaitent pas se faire accuser de dogmatisme comme l’a fait il y a quelques années le président du Conseil supérieur de l’éducation [1], ils devraient rendre disponible des études mettant en relief les liens entre la réussite et les caractéristiques des jeunes qui fréquentent ces écoles.


[1Claude Lessard, « Les "données probantes", un nouveau dogme ? », Le Devoir, 22 décembre 2016.

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