Défendre l’accès à un savoir émancipateur

No 73 - février / mars 2018

Éditorial du no 73

Défendre l’accès à un savoir émancipateur

Le Collectif de la revue À bâbord !

Réfléchir sur les bibliothèques, c’est parler d’un lieu qui donne accès au savoir et qui le rend disponible. Or, développer une société où le plus grand nombre peut participer aux décisions collectives de manière éclairée nécessite l’acquisition d’un savoir qui soit riche, qui permette de développer une réflexion critique. L’une de ces conditions est certes le respect du droit à une éducation publique gratuite, et ce, allant jusqu’à l’éducation supérieure pour favoriser la justice sociale et limiter les inégalités. Elle demeure toutefois insuffisante si on ne se penche pas également sur la qualité des savoirs transmis.

Face à un recours collectif pour dénoncer les frais additionnels facturés aux parents par les commissions scolaires pour des activités extracurriculaires, ces dernières demandaient récemment au gouvernement libéral de « moderniser le concept de gratuité scolaire » dans la Loi sur l’instruction publique afin de leur permettre d’augmenter ces frais plutôt que de dénoncer l’austérité récurrente qui met à mal le système d’éducation québécois. Plutôt que de défendre le droit à l’éducation publique, les commissions scolaires ont préféré trouver des moyens pour atteindre l’équilibre budgétaire, suivant la rhétorique néolibérale du gouvernement, en refilant la facture aux parents, au détriment d’un principe d’égalité.

Cet exemple montre comment l’idéologie gestionnaire, dépolitisante, mine la défense des principes au cœur du système d’éducation québécois. De plus en plus, elle influence aussi le contenu des cours et semble contribuer à l’asservissement et au contrôle des individus et des communautés dès le plus jeune âge. Ce n’est pas en fabriquant des consommatrices et des consommateurs que nous pourrons répondre collectivement à l’urgence de trouver des alternatives au modèle capitaliste actuel, destructeur des habitats et des personnes.

Selon ses thuriféraires, être pragmatique et réaliste commanderait de « bien gérer » le changement pour favoriser l’« acceptabilité sociale » de projets et de coupes dans les services publics, etc. Il ne s’agit plus de délibérer et de décider collectivement de ce qui serait le meilleur système d’éducation possible pour une société libre et égalitaire, mais plutôt de « négocier » pour respecter les contraintes budgétaires imposées par des impératifs idéologiques. Cette tendance à « gérer » les voix populaires, plutôt que les écouter, mène à une forme d’institutionnalisation du vol et de la violence économique, violence structurelle qui reproduit et renforce les inégalités sociales en subventionnant des écoles privées ou des programmes spécialisés, séparant les bons élèves des « cancres » et opérant une ségrégation de classe(s). Violence qui est également symbolique, faisant de l’enseignement supérieur l’inverse de ce qu’il est censé être, utilisant les « meilleures pratiques » pour le dressage d’une main-d’œuvre docile et « compétente » à reproduire les chaînes de son asservissement au travail, plutôt que le lieu de la co-création de savoirs critiques, réfléchissant sur les finalités sociales et non seulement sur les moyens utiles pour générer du profit.

Ailleurs dans le monde, plusieurs personnes vont jusqu’à risquer leur vie pour défendre une autre manière d’éduquer les populations. Des groupes syndicaux, comme la Coordination nationale des travailleurs de l’éducation (CNTE) au Mexique, continuent d’organiser des grèves (900 000 enseignant•e•s en 2016 !) et des mobilisations pour lutter contre une réforme néolibérale du système éducatif, alors même que plusieurs dizaines d’entre eux ont perdu leur emploi, ont été incarcéré•e•s dans des prisons à haute sécurité ou encore ont été froidement assassiné•e•s. Dans ce pays où les inégalités sont criantes et où le gouvernement favorise les intérêts des grandes multinationales avant tout, l’éducation émancipatrice des zones rurales est vue comme une réelle menace, car elle rend plus difficiles l’exploitation des gens et le vol des terres.

Aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de demander un réinvestissement en éducation – chose qui aura certainement lieu en période électorale, bien que de manière insuffisante et idéologiquement orientée. Il devient impératif de placer l’éducation au cœur d’un projet de société qui valorise la formation de personnes pleines et entières, conscientes de leur environnement, critiques de leurs conditions sociales et heureuses de se battre pour atteindre les plus hauts degrés d’égalité et de liberté.

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