Cultiver les communs : De l’Europe au Québec

No 93 - Automne 2022

Cultiver les communs : De l’Europe au Québec

Marie-Soleil L’Allier, Samuel Raymond

Depuis le début de 2022, le collectif Cultiver les communs travaille à la création d’un groupe de travail québécois sur les communs. Il a aussi développé ses liens internationaux auprès de camarades européen·nes à travers le Groupe de travail sur l’écosystème des communs.

Dans un contexte où le marché et l’État néolibéralisés ne parviennent plus à assurer un accès juste et universel au logement, à une alimentation saine, à une éducation de qualité ou à des soins de santé adéquats, les communs ouvrent d’autres possibles pour organiser la façon dont on répond à ces besoins. Ils sont une invitation à « produire moins, à partager plus et à décider ensemble [1] ».

Un commun est traditionnellement défini comme une institution comprenant trois éléments : une ressource (matérielle ou immatérielle), une communauté (responsable de gouverner cette ressource) et un ensemble de règles de gouvernance (défini par et pour la communauté). Il s’agit d’un modèle d’organisation politique, économique et sociale existant depuis des temps anciens. Récemment, la prix Nobel d’économie Elinor Ostrom a été reconnue pour avoir défendu la pertinence des communs et les caractéristiques clés de leurs règles de gouvernance. Cependant, cette conception managériale des communs est de plus en plus critiquée, car elle fait reposer la destruction des communs sur des enjeux de gouvernance plutôt que sur leur accaparement et leur privatisation par les sociétés capitalistes. Dans cette perspective, il devient alors intéressant de définir les communs comme un moyen de réclamer le droit de répondre par nous-mêmes – et au-delà du marché ou de l’État – à nos besoins de subsistance. Les communs invitent ainsi à répondre à nos besoins sociaux (comme se nourrir, se loger, s’éduquer, se déplacer ou se soigner) à l’extérieur du pouvoir des multinationales et des grands systèmes sociotechniques dominants. Si les communs ont historiquement été détruits par le capitalisme (enclosure, privatisation, cooptation), se pose alors la question de comment créer un écosystème qui protège les communs qui émergent depuis une trentaine d’années dans les sociétés occidentales. C’est pour réfléchir à ces enjeux et aux différents moyens d’y parvenir qu’est né le Groupe de travail transnational d’écosystème des communs.

Un groupe transnational

Le Groupe de travail d’écosystème des communs a été initié en 2022 par femProcomuns (Espagne), Remix the Commons (France), Solidarius (Italie), B.A. Balex (France) et Projet Collectif (Québec). Il s’inscrit dans un mouvement diversifié et multiple d’organismes œuvrant à la reconnaissance des communs. Sur une base bimensuelle, les membres du groupe se rencontrent pour s’autoformer sur les différents modèles, méthodologies, pratiques et outils développés et mis en pratique localement. Par l’entremise d’ateliers de transfert de connaissances, le groupe développe une boîte à outils pour rendre visibles et renforcer les initiatives basées sur les communs. À terme, la mise en forme de ces différentes productions permettra de multiplier le pouvoir de transformation des communs et de soutenir la formation d’alliances dans les domaines de l’alimentation, de la santé, de la culture, de l’éducation ou du transport. C’est d’ailleurs dans le cadre de ces rencontres que la coopérative femProcomuns a présenté le Modèle de soutenabilité des communs. De plus, le groupe organise actuellement une présentation en ligne le 4 octobre 2022 [2] ainsi qu’un colloque les 14 et 15 novembre à Mondeggi (Italie) en marge du Forum social européen [3].

Le modèle de soutenabilité des communs

En 2015, les élections municipales espagnoles mènent au pouvoir plusieurs groupes citoyens ouvertement municipalistes. Ce courant de pensée conçoit l’échelon de pouvoir municipal comme lieu politique favori pour une réappropriation collective des institutions locales. Dans ce sillon, des programmes comme La Comunificadora à Barcelone sont mis sur pied. Il s’agit d’un programme d’accompagnement à la création d’initiatives économiques ancrées dans une approche des communs. Il regroupe des projets en cours de constitution, mais aussi des projets qui souhaitent effectuer une transition vers les communs. Le programme se déroule sur six mois et s’articule autour du Modèle de soutenabilité des communs. Il se décline en cinq piliers qui s’enchaînent dans la ronde des ateliers : la co-gouvernance, la communauté, la co-production, le partage et les ressources. Chacune des rencontres est l’occasion de distribuer de la documentation ainsi qu’un ensemble d’outils visuels pour se figurer les différentes dimensions du développement d’un commun.

En 2022, la coopérative femProcomuns, avec le soutien du gouvernement autonome de Catalogne, a continué à utiliser ce modèle dans le cadre du programme Écosystème de transition. L’objectif est de supporter l’approche par les communs dans des domaines vitaux tels que l’énergie, le logement, la santé, le territoire, l’alimentation ou l’eau. Aucun autre programme officiel de cette nature n’existe sur le territoire du Québec. Ces initiatives et leurs méthodologies constitueront donc une source d’inspiration particulièrement intéressante dans les prochains mois pour le groupe Cultiver les communs au Québec.

Illustration : schéma rassemblant les différents piliers du programme de La Comunificadora et servant aux ateliers. Crédit : femProcomuns (Espagne)

Depuis 2010, le Québec a aussi connu plusieurs activités d’animation autour des communs, notamment portées par Communautique, Vecam, Remix the common, Percolab, le TIESS, Solon, CITIES et plusieurs autres. C’est avec la volonté que s’institue un plus large mouvement qu’un appel local large a été lancé sur le média social québécois Passerelles en janvier 2022. Cet appel a permis de formaliser le groupe Cultiver les communs au Québec. Depuis, ce sont une quinzaine de personnes issues du milieu communautaire, de la société civile, du monde de la recherche, du milieu municipal et des mouvements sociaux qui se rencontrent sur une base mensuelle. Déjà, plusieurs chantiers sont en cours, dont la traduction et l’appropriation locale du Modèle de soutenabilité des communs présenté plus haut, la création d’une charte de fonctionnement, une veille sur les communs au Québec et le développement d’une stratégie de mobilisation pour revendiquer une société des communs.

Établir un réseau fort

Les prochains mois seront particulièrement cruciaux pour le groupe Cultiver les communs. Alors qu’il aura à développer sa propre culture interne, il aura aussi plusieurs chantiers de travail à amorcer. La culture des communs au Québec est encore à mettre en lumière. De plus, le Québec bénéficie d’un territoire diversifié qui peut contribuer à multiplier les expériences sociales. Le réseau Cultiver les communs souhaite inviter l’ensemble des « commoners » du Québec à participer à ses activités. Vous trouverez dans l’encadré ci-contre les coordonnées pour communiquer avec nous. Cultiver les communs pour se guérir du mal de l’infini, produire moins, partager plus et décider ensemble !


[1Yves-Marie Abraham, Guérir du mal de l’infini, Montréal, Écosociété, 2019, 280 pages.

[3Pour plus de détails, vous pouvez écrire à mariesoleil@projetcollectif.ca

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