Culture
Une exploration du syndicalisme en balado
Avec Éliane Scofield Lamarche et Amélie Glaude
Depuis 2019, l’équipe du balado Solidaire s’est donné comme mission d’explorer le syndicalisme québécois et nord-américain avec des invité·e·s issu·e·s d’une multitude d’organisations syndicales et militantes. Propos recueillis par Maude Fréchette et Alex Pelchat, de Lutte Commune.
Lutte Commune : Comment le projet Solidaire est-il né ?
Amélie Glaude : On voulait faire une plateforme éducative pour les gens de la base syndicale, parce que quand on est de jeunes militantes dans le milieu, il n’y a pas tant d’espace pour apprendre un paquet d’affaires sur les autres réseaux syndicaux. Moi, je suis issue de la FTQ et du SCFP, mais ce qui se trame à la Confédération des Syndicats Nationaux (CSN) et dans les autres syndicats, je n’ai aucune idée de comment ça marche. Les gens qui sont dans les plus hautes sphères syndicales, disons qu’iels ne sont pas nécessairement intéressé·e·s à nous le faire connaître. Le podcast, à la base, c’était pour m’intéresser à différents milieux, jaser avec du monde et en apprendre plus – jaser de comment se passe leur quotidien dans leur section locale.
Lutte Commune : Comment s’articulent vos choix de programmation ?
A. G : On fait des brainstorms ensemble ! Pour la nouvelle saison, on regarde tout ce qui s’est passé dans les derniers mois, pendant notre absence. On a aussi fait un appel à tous et toutes afin de mieux connaître ce que les gens aimeraient qu’on aborde. On essaie aussi d’aborder les sujets chauds du syndicalisme.
Éliane Scofield Lamarche : Le but, c’est de donner la parole à différent·e·s intervenant·e·s du milieu syndical, puis de montrer un éventail de positions. On n’est pas là pour passer un message, malgré nos principes syndicaux communs de base. On est là pour donner la voix aux différent·e·s intervenant·e·s qu’on invite.
Lutte Commune : Quel auditoire tentez-vous de rejoindre ?
É. S. L. : On essaie que ce soit accessible et que n’importe qui, peu importe son background et ses connaissances syndicales, puisse apprendre quelque chose.
A. G. : Le mot d’ordre est l’inclusion. Avant de commencer les entrevues, on parle toujours un peu avec nos invité·e·s et on leur fait part du fait que l’important, c’est que tout le monde nous comprenne. On n’est pas Radio-Canada, on parle comme on parle et on veut être le plus pédagogues possible. On souhaite que les gens sortent de l’écoute en ayant appris un truc ou deux.
Lutte Commune : Un des débats éternels autour du renouveau du syndicalisme concerne la place que doivent prendre les communications et les technologies de l’information dans le militantisme syndical. Comment croyez-vous que le mouvement syndical puisse améliorer son utilisation des communications ?
A. G. : Personnellement, je trouve que la communication est beaucoup trop étanche et qu’elle manque de transparence. Il y a beaucoup de poudre aux yeux dans le but de pouvoir dire n’importe quoi ! Je pense que la communication devrait être au centre de la militance. On devrait être de plus en plus transparent·e·s avec les membres de la base. La base, on en parle souvent, mais on la tient pour acquise : « On a des conseillers et conseillères et vous, la base, vous n’avez pas assez d’expérience là-dedans ! ». On ne lui donne que des miettes de pain, ce qu’on veut qu’elle sache.
Plus on est transparent·e·s avec la base, plus elle sera de notre bord. Ce sera plus facile de la mobiliser. Elle va vouloir venir militer. Ce n’est pas quand on leur cache des choses que les membres vont vouloir venir à nos côtés.
É. S. L. : Je pense qu’en ce moment, il y a une grosse critique dans le milieu syndical par rapport à la communication, qu’on utilise de façon unidirectionnelle. Je crois qu’il y a un manque de dialogue, c’était d’ailleurs une des critiques qu’amenait Éric Gingras dans son livre [1]. Manifestement, même au poste de président de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), il continue de maîtriser la communication.
Je pense qu’il y a un manque d’expertise en communication dans le milieu de la militance syndicale. Est-ce qu’on a vraiment les outils et les expert·e·s pour utiliser la communication comme on devrait, pour mobiliser et pour former ? Je pense qu’il y a toutes sortes de lacunes.
Il faudrait également séparer les communications internes avec nos membres et les communications avec les médias, ce sont deux choses complètement différentes. Se battre à tout prix pour l’opinion publique, ce n’est pas la priorité dans le monde syndical actuellement.
Lutte Commune : Comment vos organisations perçoivent-elles votre implication avec le balado ?
A. G. : Je pense qu’elles regrettent de ne pas avoir suivi cette voie plus tôt, elles ont allumé que c’était une idée intéressante. J’étais dans l’exécutif de ma section locale [au moment de lancer le podcast], mais ça n’a jamais été un enjeu, parce que je fais la part des choses. Je ne parle pas de Solidaire au travail si on ne me pose pas de question. Et je n’ai jamais voulu recevoir personne de mon exécutif non plus. On ne s’affiche pas comme un podcast de la FTQ ou du SCFP.
É. S. L. : Je pense qu’on a du travail à faire sur la perception qu’ont de nous les autres centrales ou les autres organisations. On essaie de sortir du monde du SCFP et de la FTQ, mais c’est très difficile. Dans le milieu, on a internalisé les barrières et la loyauté envers nos centrales et la résistance demeure entière. Nous, on aimerait élargir nos horizons et faire plus d’intersyndical.
Lutte Commune : Quels objectifs avez-vous pour la troisième saison de Solidaire ?
É. S. L. : Que ça puisse ouvrir les horizons des personnes qui l’écoutent, peu importe qui elles sont ! Ça s’adresse autant au monde des représentant·e·s syndicaux·ales que des conseiller·ère·s qui sont pris·e·s dans une roue interne de griefs, de technicalités et de juridictions. C’est facile d’être pris dans un engrenage quand on fait ce travail. Nous, on veut juste se rappeler des questions profondes et des principes et essayer de rafraîchir parfois nos perspectives. Si on peut donner le goût aux jeunes militant·e·s d’embarquer dans le monde syndical, c’est bien !
Pour les gens qui sont à l’extérieur du mouvement syndical et qui ont des idées préconçues sur le monde syndical, il y a la possibilité qu’iels puissent voir que c’est un monde accessible et qu’on est des personnes qui se posent des questions assez fondamentales sur la société.
Pour la prochaine saison, Solidaire va peut-être aller vers des sujets plus controversés, des sujets où on est enfin plus à l’aise, comme la question des allégeances syndicales et du recrutement. C’est une question délicate et on veut l’aborder d’un point de vue ouvert, intéressant et constructif, sans avoir l’air de passer un message.
A. G. : On doit aller à la rencontre de l’autre, même si on n’est pas dans les mêmes réseaux. Ça va juste être bénéfique de se parler entre nous.
Dans vos oreilles
On peut écouter les épisodes de Solidaire sur baladoquebec.ca/solidaire. On peut aussi s’abonner à leur page Facebook.
Écoutes conseillées :
Épisode 23 – Discussion avec Sylvie Nelson (Syndicat québécois des employées et employés de service-298, FTQ)
Épisode 45 – Discussion avec Karine Drolet, co-porte-parole du Collectif 8 mars
Épisode 50 – Discussion avec Éric Gingras autour de son livre Plaidoyer pour un syndicalisme actuel
[1] Éric Gingras, Plaidoyer pour un syndicalisme actuel, Éditions Somme toute, 2021