Dossier : Démocratiser l’économie

Dossier : Démocratiser l’économie

Travail et démocratie : un autre modèle

Simon Tremblay-Pépin

Le milieu de travail est, pour la plupart des gens, hiérarchique et autoritaire. Nous prétendons vivre en démocratie, mais le quotidien de la majorité est composé de directives, d’ordre, d’obéissance et d’humiliation. Prise de décision en commun ? Discussion ? Consensus ? Ces mots sont étrangers à la réalité vécue « à la job ». Traditionnellement, la démocratisation des milieux de travail qui a été proposée à gauche se présentait sous trois visages : la syndicalisation, la création de coopératives de travail, la socialisation de l’ensemble des moyens de production. Il est cependant possible de réunir et dépasser ces approches.

Syndicalisation : la machine de guerre

Un syndicat est certes une organisation démocratique. Ses membres prennent les décisions en assemblée générale et se réunissent en congrès plus vastes lorsqu’ils et elles sont membres d’une centrale. Cependant, son rôle n’est pas tant de démocratiser le milieu de travail que de combattre l’arbitraire des employeurs au sein de notre système économique en aménageant un certain espace de décision pour les travailleurs et travailleuses (des comités paritaires d’embauche, des consultations devenues obligatoires, la capacité de négocier ses propres conditions de travail). Toutefois, le syndicat est surtout une machine de guerre contre l’arbitraire patronal ; pour lui répondre, il lui faut construire des structures et des modes de fonctionnement qui n’ont pas toujours pour effet de donner plus de pouvoir au simple travailleur sur sa réalité quotidienne au boulot.

Les coops : la contrainte extérieure

Les coops sont réellement des milieux de travail démocratiques. Elles sont gérées par les gens qui en font partie ; dans ce cadre, personne n’est soumis à un employeur autoritaire et hiérarchique. Cependant, l’expérience nous montre que s’il n’y pas de contraintes internes à la démocratie ; celles-ci viennent rapidement de l’extérieur. Dans notre système économique, la survie d’une organisation dépend de sa capacité à être profitable. Les critères de rentabilité étant établis par les organisations qui font du profit, il devient difficile d’échapper à des pratiques (salariales, d’organisation du travail, de productivité, etc.) qui finissent par ressembler en tout point à celles des organisations hiérarchiques. Ces adaptations sont souvent votées démocratiquement, mais davantage en constatant leur nécessité pour la survie de l’organisation que de façon volontaire et enthousiaste.

La socialisation ayant réellement existé

L’idée d’organiser politiquement et en commun la production n’est pas neuve. Elle a été mise en place dans le courant du 20e siècle dans des pays et des contextes très particuliers et avec des objectifs d’industrialisation bien précis. La rapide concentration du pouvoir au sommet des structures sociales, le gigantisme des organisations de production, l’absence de point de vue critique devant les concepts de développement et de croissance, tout cela a mené à déstructurer le lien entre économie planifiée et démocratie.

L’autre modèle

Comment réussir à démocratiser les lieux de travail en dehors de la reproduction de ces modèles ? Pour échapper aux problèmes que pose la seule syndicalisation, il faut évidemment remettre aux mains des travailleurs et travailleuses le contrôle de leurs milieux de travail. Pour éviter le péril que les coops ne soient contraintes par exigences externes de devenir de plus en plus autoritaires, il est évident que le système économique en entier doit être démocratisé, et non seulement certaines poches isolées. Enfin, cette transformation du système dans son ensemble doit tendre à briser les structures hiérarchiques plutôt qu’à les reproduire.

Tout cela est bien beau, mais on fait comment ?

Voici trois principes qui, à mon sens, doivent guider un programme de démocratisation des milieux de travail :

  • Sortir de la logique de faire de l’argent pour gagner toujours plus d’argent

La croissance et la rentabilité comme unique objectif sont souvent à l’origine de la hiérarchie et de l’absence de démocratie dans les milieux de travail.

  • Favoriser les petites organisations autogérées

La démocratisation peut aussi signifier la multiplication des organisations autogérées et sans but lucratif de petite et moyenne taille. Nombre de PME au Québec seraient plus stables, égalitaires et fonctionnelles en coop qu’en leur version actuelle.

  • Faire une planification participative de l’économie

Ces organisations doivent se concerter pour organiser l’économie. Elles doivent le faire en lien avec des organisations de citoyenNEs structurées sur une base géographique. Tous et toutes décident des priorités économiques, tant au plan national que local, et travaillent à les réaliser ensemble.

À partir de cette vision, on pourrait construire un véritable modèle démocratique pour les milieux de travail. Bien qu’elle s’en inspire, elle semble plus prometteuse que nos essais passés.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur