Sauvez mon fric, sauvez mon banquier

No 29 - avril / mai 2009

Chronique Économie

Sauvez mon fric, sauvez mon banquier

Gaétan Breton

Rappelons-nous, il y a quelques années à peine, nos gouvernements en voie de disparition n’avaient plus d’argent. Nous étions dans une phase d’intervention minimaliste et le déficit zéro régnait absolument sur tous les choix de l’État. Évidemment, comme il s’agissait alors d’aider les pauvres et de renflouer les programmes sociaux, toute dépense semblait exorbitante. Mais quand il s’agit d’aider les riches, les milliards affluent comme par magie. Évidemment, on aide les riches pour aider les pauvres (ceux-là mêmes pour qui on ne pouvait rien auparavant), car si les riches s’appauvrissent, qu’en sera-t-il alors des pauvres ?

Le budget fédéral

Dans cette ligne de pensée, le budget fédéral prévoit « injecter » 30 milliards de dollars dans l’économie, acceptant ainsi l’idée de retomber en déficit. Ce faisant «  il créera ou maintiendra près de 190 000 emplois au Canada. » Ce qui donne près de 158 000 dollars par emploi sur deux ans. Comme la moyenne des emplois, qui seront ainsi sauvés, ne sont pas rémunérés dans ces proportions, il faut donc comprendre qu’il s’agit de BS de luxe. Or, ce ne sont pas les travailleurs qui recevront l’essentiel de ces sommes, mais bien, comme d’habitude, nos «  corporate welfare bums ».

Fermez les yeux et achetez

Leur principe demeure le même, quand ça va mal, c’est-à-dire quand nous sommes en crise de surproduction, les usines doivent arrêter de tourner pour un temps. Alors, il faut relancer la consommation pour que les usines repartent. Donc, on va redonner des sous aux consommateurs (en s’assurant qu’il en tombe une bonne proportion directement dans les poches des riches), supposément pour relancer l’économie. Il y a quelques mois, tout le monde, y compris les représentants des gouvernements, s’entendait pour déclarer que le taux d’endettement des ménages dépassait de loin le seuil tolérable. Maintenant, on va payer les richissimes banques pour « améliorer l’accès des consommateurs au crédit ». Traduit en langage quotidien, on va payer les banques afin qu’elles prêtent plus d’argent aux citoyens surendettés pour ajouter encore au niveau de consommation débridé qui est en train de tuer la planète, sans donner la moindre orientation à cette consommation.

Pour ce faire, le gouvernement va utiliser sa solution de prédilection : les allégements fiscaux. La plus grande part du programme va en allégements fiscaux. Or, pour bénéficier d’un allégement fiscal, encore faut-il avoir encore des impôts à payer après avoir utilisé les autres moyens. Donc, on va remettre de l’argent dans les poches des classes moyennes et aisées, pas des pauvres et de ceux qui ont perdu leur emploi, pour qu’elles relancent la consommation. Notons, au passage, qu’après avoir braqué la caisse d’assurance-chômage (appelons les choses par leur nom), le gouvernement fédéral va légèrement aider les chômeurs (quand même). Pourtant, s’il y a des gens en mal de consommer, ce sont bien les chômeurs et les assistés sociaux. Mais comme les mesures doivent permettre aux banques et autres entrepreneurs de s’en mettre plein les poches en passant, on ne peut pas s’adresser à ces catégories de citoyens.

Quand le bâtiment va, tout va

Ensuite, comme on l’a vu aux deux dernières élections provinciale et fédérale, on s’attaque au secteur de l’immobilier. Comme aux États-Unis, la crise est née dans le secteur immobilier, particulièrement dans celui des hypothèques à haut risque, et en dépit du fait que cette situation n’existe pas du tout au Canada, on va aider les gens à payer leurs hypothèques ou, maintenant à rénover leurs maisons. Les gens capables d’investir plus de 10 000 $ en rénovations vont pouvoir obtenir de beaux crédits d’impôts. Gageons que, comme d’habitude, ce sont les entrepreneurs, dont les tarifs n’ont plus de limites, qui vont trouver le moyen de les hausser encore pour empocher l’essentiel du crédit d’impôt.

Le gouvernement va aussi racheter 125 milliards de créances hypothécaires aux banques, pour libérer des liquidités destinées aux entreprises. Avant la crise, les banques avaient des créances hypothécaires de bonne qualité et avaient les fonds pour soutenir les entreprises tout en faisant des profits records. Maintenant, parce qu’il existait aux États-Unis un système d’aide à l’accès à la propriété, créé par le gouvernement mais largement privatisé depuis, qui a « foiré », les hypothèques canadiennes sont devenues automatiquement insolvables et les banques n’ont plus de fonds pour aider les entreprises. Les derniers résultats des banques canadiennes montrent des diminutions de profits, certes, mais il reste encore de très bons profits en dépit du fait qu’on ait augmenté énormément les provisions.

Donc, nous en étonnerons-nous, on donne encore aux riches et, nous pouvons en être certains, on fera encore payer les pauvres.

Le budget provincial

L’énoncé économique et les consultations prébudgétaires du gouvernement du Québec prennent exactement la même direction. La liste des priorités du gouvernement commence par la protection de l’emploi, mais celle-ci passe par le soutien et la relance de l’économie. C’est exactement le même credo que celui du gouvernement conservateur d’Ottawa. Alors que le problème, tel qu’il est énoncé partout dans les médias, est la menace d’un taux de chômage dangereusement élevé (on nous fait le compte tous les jours des pertes d’emplois aux États-Unis, c’est plus effrayant, surtout qu’on ne nous donne que les chiffres bruts), Québec propose des mesures d’incitation à l’emploi. La seule mesure d’incitation à l’emploi serait d’en créer, mais on continue de faire semblant (j’espère qu’ils font semblant) de croire que le travail existe et qu’il suffit d’inciter les gens à occuper ces emplois en coupant les prestations, par exemple, et cela presque du même souffle que lorsqu’ils nous annoncent les pertes d’emplois. Pendant ce temps, on donne des milliards aux entreprises pour soi-disant maintenir et créer des emplois qui ne se matérialisent jamais.

Prenant la même recette qu’Ottawa, Québec prévoit des baisses d’impôts assorties d’aides substantielles aux entreprises. L’un de ces projets, une petite phrase perdue au bas d’une page du document de consultation, parle d’assouplir les règles régissant les fonds de pension des entreprises. Est-ce qu’on va permettre, plus encore que maintenant, aux entreprises de s’approprier les épargnes des travailleurs pour financer leurs turpitudes ? Restons vigilants, car il y a longtemps que le gouvernement applique ces politiques et nationalise les épargnes de ses travailleurs sans que personne ne s’en offusque.

Un gouvernement du Québec qui propose cela sérieusement, nous force en conclure que les gens qui le composent sont complètement dépassés et incapables d’une réflexion un peu organisée sur l’économie et la société. Au fond, ça décrit assez bien ce gouvernement qui ne sait regarder que de l’autre côté de la frontière pour imiter nos voisins du Sud.

Et à gauche, que propose-t-on ?

On y semble aussi prisonnier des catégories traditionnelles. On parle de « nouveaux stimulus économiques » qui « optent plutôt pour la recherche d’un équilibre entre développement économique, justice sociale et protection de l’environnement ». Bref, dans le droit fil des programmes économiques des dernières élections, on ne propose pas de changements fondamentaux dans le système, mais une réévaluation des dosages.

La critique qu’on fait du crédit d’impôt fédéral à la rénovation est que ses effets risquent de ne pas arriver « à temps pour soutenir la reprise économique en stimulant la consommation des ménages ». Donc, à Québec solidaire, on croit à ce système basé sur une augmentation incessante de la consommation, la différence ne tient qu’à une question de dosage. Pour ce faire, donc toujours dans le même esprit que les autres, une mesure nouvelle : la hausse du salaire minimum à 10,50 $. Jamais on ne parle de répartition équitable de la richesse, on s’en tient exclusivement à bonifier les mesures d’atténuation que contient le système actuel. Dans ce même état d’esprit, on propose une hausse de l’aide sociale.

Ensuite, on nous propose d’aider les PME. Il me semble que j’entends ça depuis toujours. Il faut toujours aider les PME parce qu’elles créent des emplois. Si les PME doivent survivre en exploitant les travailleurs, parce qu’elles n’ont pas les moyens de les payer et en vivant de l’aide gouvernementale, qu’est-ce qu’on attend pour les nationaliser ?

Finalement, on adhère au même credo que les autres en faisant de l’emploi le centre des politiques économiques des gouvernements, refusant d’admettre que la répartition de la richesse dans une société ne peut plus passer par le plein emploi. Alors, on se lance dans un keynésianisme débridé en demandant à l’État d’intervenir par toute une série de travaux d’utilité publique dans le but de créer des emplois sans discuter des énormes profits qui seront aussi générés et financés par les citoyens.

Mal à droite, mal à gauche

La droite a généré dans le public une peur panique de l’État et de ses œuvres. Les citoyens sont maintenant convaincus que tout ce que fait l’État est inefficace et onéreux. Cependant, l’alternative à l’État est le privé et celui-ci vient de montrer sa capacité à jeter tout le monde dans la dèche économique à grands frais et que seuls les États peuvent ramasser les pots cassés. Ne serait-il pas temps de casser nos pots nous-mêmes et de penser une économie collective qui dépasse le partage de la pauvreté que constitue l’économie sociale. Laissons tomber l’économie de « bineries » et mettons-nous à penser une économie qui sera enfin faite pour le plus grand bien des citoyens, et non l’augmentation continue des revenus du capital et la diminution constante de la répartition de la richesse. Pour ce faire, il faut oublier tout accommodement avec le système actuel et cesser de perdre son temps à le rendre plus « humain » en augmentant simplement l’épaisseur des cataplasmes sur un mal qui nécessite l’amputation.

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