Pointe Saint-Charles : un quartier, des femmes, une histoire communautaire

No 18 - février / mars 2007

Le Collectif Courtepointe

Pointe Saint-Charles : un quartier, des femmes, une histoire communautaire

lu par Normand Baillargeon

Normand Baillargeon

Le Collectif Courtepointe, Pointe Saint-Charles : un quartier, des femmes, une histoire communautaire, Les Éditions du Remue-Ménage, Montréal, 2006

Vie de quartier engagée

Les Éditions du Remue-Ménage, on le sait, publient de beaux et bons livres : celui-ci ne fait pas exception. Il viendra donc fièrement rejoindre ceux que je possède déjà de cette célèbre maison d’édition féministe. Mais il faut avouer que ce livre est le genre d’ouvrage pour lequel il est bien difficile de ne pas ressentir un petit quelque chose de plus et de bien particulier. Cela tient essentiellement à son sujet — une belle histoire de luttes et d’organisation populaire —, ainsi qu’à la manière dont il est abordé : par des histoires de vie, celles de neuf femmes.

Tout commence sur un territoire de Ville-Marie (l’ancien nom de Montréal) autrefois occupé par les Mohawks. En 1654, un certain Charles Lemoyne entreprend de défricher et de cultiver ces terres. Ce territoire sera donc bientôt appelé la Pointe-à-Charles, puis Pointe Saint-Charles. Voilà le décor de notre histoire. Au milieu du XIXe siècle, l’industrialisation commence à y faire son œuvre : développement du transport ferroviaire et du canal de Lachine, construction du Pont Victoria, présence d’une main-d’œuvre à bon marché. Avec le temps, la combinaison de tous ces facteurs fait de Pointe Saint-Charles — on l’apprend avec surprise — «  le plus important secteur industriel de Montréal et du Canada ! » Le syndicalisme s’y déploie peu à peu. Puis, avec la Deuxième Guerre mondiale, les femmes entrent massivement dans les usines. Les choses vont-elles enfin s’améliorer ? Hélas. Au milieu du XXe siècle, s’amorce un déclin industriel qui conduit à des mises à pied ainsi qu’à des fermetures d’usines, de commerces et de services. Les familles plus fortunées quittent donc le quartier, qui s’appauvrit dramatiquement.

C’est ici que commence l’histoire qui nous sera contée par neuf femmes, ici que commence cette histoire qui est la leur bien sûr, mais aussi celle de tout un quartier en même temps que la nôtre. Ces neuf femmes, nées entre 1933 et 1958, sont Denise Boucher, Thérèse Dionne (née Boudreault), Louise Lanthier (née Lavigne), Donna Leduc (née March), Marguerite Métivier, Madeleine Richardson, Myrna Rose, Maureen Ryan (née Franklin), et Frances Vaillancourt (née Colthorpe). Pour faire ce livre, elles ont travaillé durant cinq ans avec Anna Kruzynski, professeure à l’Université de Montréal, et Isabelle Drolet, qui travaillait alors aux Archives populaires de Pointe Saint-Charles.

Tour à tour, ces femmes entrecroisent leurs voix pour raconter leur vie, leurs espoirs, leurs combats, leurs victoires et leurs défaites, tandis que Kruzynski et Drolet mêlent leur voix aux leurs. Il en résulte un ouvrage abondamment illustré rendant une mémoire qu’il est indispensable de préserver, puisque la conservation du souvenir des luttes d’hier est pour le mouvement social tout entier à la fois une école où s’apprend la provenance de nos blessures, cicatrices et fleurons, un révérencieux devoir envers ceux et celles ayant lutté et l’étincelle où peut se rallumer la flamme de l’espérance quand elle menace de s’éteindre. La lecture de ce livre, en tout cas, le donne à penser…

On y parle tour à tour de féminisme, de tensions linguistiques, de transport en commun, de luttes menées pour des logements décents, contre la pauvreté, pour améliorer l’alimentation, en faveur d’entreprises communautaires et de développement économique. On y parle aussi d’éducation et – déformation professionnelle sans doute – c’est ce chapitre qui m’a le plus ému.

Le regard que ces femmes et les habitants de ce quartier portent sur l’école et l’éducation, la relation – complexe – qu’ils et elles entretiennent avec les institutions éducatives font de ce qui est dit dans ce chapitre – rapportant ce qui a été rêvé, porté et réalisé par ces gens – une belle et précieuse leçon de sociologie et d’économie politique de l’éducation.

Il faut savoir gré au Collectif Courtepointe de nous offrir ce livre, précieux, utile et émouvant.

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