Le commerce de détail
Nouveau terrain de luttes syndicales ?
Travail
Les travailleuses et travailleurs du commerce de détail sont-ils en train de développer un nouveau rapport de force qui permettra de relever les conditions de travail dans ce secteur en expansion, où celles-ci se résument en général aux normes minimales ? Il y a certes loin de la coupe aux lèvres, mais après des années de batailles difficiles qui se sont souvent terminées sans réels gains pour les salarié·e·s, le vent semble sur le point de tourner.
On peut penser par exemple aux travailleuses et travailleurs des dépanneurs Couche-Tard qui, après près de trois ans de lutte, ont accompli l’exploit que plusieurs n’attendaient plus : une convention collective contenant de nombreuses améliorations concrètes pour ces salarié·e·s qui se situaient au bas de l’échelle du salariat québécois. Leurs salaires seront relevés, mais au-delà de l’argent, ils ont surtout obtenu le respect. Ils profiteront maintenant de congés mobiles, de meilleures vacances annuelles et de dispositions importantes en santé et sécurité au travail, notamment en ce qui a trait à la prévention des agressions armées et au soutien offert aux salarié·e·s victimes d’un tel événement violent. L’ancienneté est maintenant reconnue dans les dépanneurs syndiqués et un comité est mis en place afin de régler de façon paritaire les différends. Quant à la vingtaine de salarié·e·s qui avaient été congédiés par Couche-Tard – cherchant ainsi à faire peur à tous ses autres employé·e·s désirant se syndiquer –, ils ont obtenu réparation, mettant fin à une longue lutte juridique.
Il ne faut pas croire cependant que la bataille est terminée. S’il est clair que la haute direction de Couche-Tard a considéré qu’il était dans son intérêt de convenir d’un règlement à ce moment-ci, rien ne permet de croire que le p.-d.g. Alain Bouchard ait délaissé pour de bon ses réflexes antisyndicaux. Les cadres de l’entreprise sont d’ailleurs en campagne présentement afin de décourager le plus possible les salarié·e·s de joindre les syndicats régionaux mis sur pied par la CSN.
Par ailleurs, Couche-Tard dit avoir choisi d’étendre à tous ses 550 dépanneurs québécois la plupart des conditions de travail négociées dans les six établissements syndiqués. Évidemment, l’objectif de l’entreprise est de convaincre ses salarié·e·s qu’un syndicat est inutile… Or, on peut certainement douter de l’application uniforme de ces avantages en l’absence de syndicats. Toutefois, ne boudons pas notre plaisir ! Le fait que le géant du dépanneur se voit forcé de relever ainsi ses conditions de travail aura un impact significatif et positif non seulement sur ses propres salarié·e·s, mais également sur ses concurrents qui devront s’adapter.
Un mouvement nord-américain
Cette percée de la CSN s’explique par le recours à de multiples stratégies, allant de la syndicalisation de plusieurs succursales à la négociation coordonnée, en passant par la constitution d’un front international avec le soutien de la centrale syndicale norvégienne LO qui représente des employé·e·s des dépanneurs Statoil, acquis récemment par Couche-Tard. Sur le plan juridique, les avocat·e·s de la CSN ont multiplié les recours dès que la moindre entorse aux lois était commise par Couche-Tard. De même, la CSN s’est montrée très active dans les relations publiques et avec les médias, entre autres en relevant les nombreux manquements de l’entreprise aux lois québécoises. Cela étant dit, la stratégie globale demeure relativement conventionnelle, en s’appuyant sur la syndicalisation établissement par établissement.
De leur côté, des syndicats états-uniens prônent depuis quelques années une approche complètement différente. Ils ont mis sur pied des « Centres de travailleurs ». Ce sont des lieux de convergence qui ne sont pas des syndicats comme tels, mais qui permettent néanmoins aux travailleuses et travailleurs de grandes chaînes de développer des solidarités et de s’organiser. Dans les Wal-Mart par exemple, la mobilisation est en pleine croissance : on a assisté récemment à de nombreuses manifestations, occupations et autres actions visant à inciter l’entreprise à changer ses pratiques notoirement antisyndicales et antisociales. Les salarié·e·s peuvent ainsi s’organiser sans nécessairement s’afficher comme pro-syndical auprès de l’employeur, ce qui leur vaudrait, règle générale, le congédiement immédiat. Loin de s’essouffler, le mouvement gagne peu à peu l’ensemble des États-Unis et l’image de Wal-Mart s’en trouve atteinte. L’avenir nous dira si cette stratégie peut donner les résultats attendus, mais dans le contexte des États-Unis où il est généralement encore plus difficile qu’au Québec de se syndiquer, on peut penser que les syndicats visent juste. Le syndicat des TUAC–FTQ, qui est à l’origine de ce mouvement aux États-Unis, a déjà annoncé travailler à mettre en œuvre une recette comparable au Canada.
De même dans le secteur de la restauration rapide, la mobilisation se déroule en dehors du cadre syndical traditionnel. Avec l’appui de nombreuses organisations de la société civile, ce mouvement se veut le fer de lance de revendications comme le relèvement du salaire minimum à 15 dollars l’heure. Certaines municipalités gouvernées par des progressistes ont d’ailleurs déjà statué à cet égard. Le mouvement semble irrésistible sur le long terme. Soulignons au passage que ce niveau de salaire minimum aux États-Unis était en vigueur, en tenant compte de l’inflation, au milieu des années 1960, et ce, avant d’amorcer un long déclin tranquille…
Ce n’est pas par hasard que le secteur du commerce de détail vit de tels bouleversements. En effet, s’il y a un secteur où les conditions de travail nécessitent un relèvement, c’est bien celui-là. Par ailleurs, ce secteur prend de plus en plus d’importance dans notre économie alors que le secteur manufacturier, où les syndicats sont traditionnellement mieux implantés, est en déclin. Il s’agit en outre d’un secteur où la concentration est de plus en plus marquée.
Renaud-Bray
Il est bien évident que le patronat n’entend pas renoncer si facilement à ses droits de gérance. Ainsi, au travers de ces victoires et progrès, de dures luttes émergent. Récemment, les syndiqué·e·s SEPB–FTQ d’une dizaine de librairies Renaud-Bray ont dû faire grève durant deux semaines en novembre afin d’obtenir la stabilisation des emplois, la protection de leur pouvoir d’achat ainsi que la reconnaissance du métier de libraire. Il est franchement ironique qu’ils et elles aient dû recourir à la grève pour se faire entendre car, au fond, qu’est-ce qui distingue Renaud-Bray des grandes surfaces qui lui font concurrence tels les Costco et autres Wal-Mart si ce n’est le professionnalisme et l’expertise de ses employé·e·s qui peuvent conseiller judicieusement le client et assurer une diversité plus grande de choix en magasin ? Évidemment, Renaud-Bray aurait préféré continuer de mettre de l’avant l’expertise de ses employé·e·s sans autre reconnaissance qu’une bonne tape dans le dos. L’entreprise a trouvé les syndiqué·e·s SEPB sur son chemin !
Au diable les clients !
D’un autre côté, dans le secteur des marchés d’alimentation, où les syndicats sont présents depuis des décennies, les patrons sont à l’offensive pour s’attaquer aux conditions de travail, récupérer leurs droits de gérance et, en définitive, tenter de se débarrasser des syndicats.
En Abitibi-Témiscamingue, la situation est des plus particulières. Pas moins de trois épiceries appartenant à Provigo–Loblaws sont actuellement en conflit de travail depuis plus d’un an, dont deux à Rouyn-Noranda. À Témiscaming, le Provigo fermé est carrément la seule épicerie du village. Malgré les conséquences pour elle, la population se tient farouchement aux côtés des salarié·e·s, qui après une décennie de concessions faites à l’entreprise, réclament leur part de la richesse produite par leur travail quotidien alors que l’épicerie profite maintenant d’une conjoncture économique plus favorable. Afin de pallier les conséquences pour la population, la CSN a mis en place un système de navettes gratuites, conduites par les salarié·e·s en conflit qui, trois fois par semaine, font l’aller-retour vers l’une ou l’autre des épiceries situées à près de 100 kilomètres du village.
Loblaw, de son côté, refuse toute négociation. Condamnée pour négociation de mauvaise foi, l’entreprise a préféré verser une amende de 5 000 dollars au syndicat plutôt que de changer d’attitude. Le Conseil central de la CSN étudie actuellement avec divers partenaires, notamment la MRC, la possibilité de mettre sur pied une coopérative de travail afin d’offrir une nouvelle épicerie à la population de Témiscaming. « Le marché est là. Notre objectif demeure de forcer Loblaw à se rasseoir à la table de négociation, mais si l’entreprise s’entête, nous serons prêts à prendre la place », explique le président de Conseil central de la CSN en Abitibi-Témiscamingue, Donald Rheault.