Dossier : L’eau, c’est politique

Main basse sur l’eau de Montréal

par Yves Bellavance

Yves Bellavance

Nous le constatons malheureusement tous les jours : le gouvernement « conservateur » de Jean Charest adore jouer au mécano avec les acquis sociaux. Il préfère toutefois démonter au lieu de construire. La décision d’aller de l’avant avec les défusions s’inscrit dans cette volonté de tout faire éclater afin que le privé puisse ensuite ramasser les morceaux.

Se drapant dans la vertu démocratique, le gouvernement Charest a enclenché un processus qui va mener à plusieurs défusions à Montréal. Pourtant, ce gouvernement « gardien de la démocratie » bafoue lui-même d’innombrables démarches démocratiques dont celles qui ont mené à d’importantes prises de position des administrations municipales et provinciale précédentes dans le dossier de la privatisation et de la tarification de l’eau.

Faudra-t-il rappeler ad nauseam que du temps de la première administration Bourque, la population montréalaise a livré avec succès une importante bataille contre la privatisation de l’eau ? Que le gouvernement du Québec a lui aussi reculé sur cette question ? Que, suite aux pressions, il a mis sur pied la Commission Beauchamp du BAPE qui a sillonné le Québec en 1999-2000 ? Que le consensus qui s’est alors dégagé est que les réseaux de distribution d’eau potable et leur gestion doivent demeurer propriété publique ? Que l’installation des compteurs dans les résidences n’a pas été retenue dans les recommandations ? Que la politique de l’eau adoptée par le précédent gouvernement n’allait pas non plus dans ce sens ?

Face à ces consensus, le gouvernement actuel devient amnésique. Pire, il piétine carrément la démocratie en ne respectant pas les consensus établis dans notre société. Quelle leçon de démocratie ! C’est quoi notre devise déjà ? Je me souviens ? Pourtant, ça fait pas si longtemps que ça !

Québec à la rescoussede Montréal

La Ville de Montréal n’attendait que les ouvertures du ministre de l’Environnement, Thomas Mulcair, sur le recours aux compteurs d’eau et de la présidente du Conseil du Trésor, Monique Jérôme-Forget, sur l’implication du privé pour enfin agir. L’administration Tremblay jongle avec ces idées depuis son élection il y a deux ans. Québec vient de donner le feu vert.

Il ne faut pas oublier que, dans le cas de la nouvelle Ville de Montréal, ces « pratiques » sont importées des anciennes villes de banlieue de l’île, ces mêmes villes qui veulent défusionner, dont des élues contrôlent majoritairement la présente administration montréalaise et qui désirent contribuer le moins possible aux coûts sociaux. Alan DeSousa, responsable du dossier au Comité exécutif, fait partie du lot, étant un élu de St-Laurent, une ville vendue à la pratique du compteur d’eau dans les résidences.

Il est vrai que ces municipalités sont peu préoccupées par la pauvreté et que la majorité d’entre elles considère qu’il s’agit d’un problème montréalais, au sens de l’ancienne ville de Montréal. Que les plus mal pris de notre société aient un accès restreint à cette ressource essentielle ne constitue pas leur première préoccupation.

Toutefois, en dépit de leurs « efforts », les élues qui défendent la tarification et la privatisation ont beaucoup de difficulté à argumenter leur position. Au bout du compte, leur seul argument c’est le besoin de fric.

Ce n’est pas pour rien que leur argumentation tient difficilement la route. Prenons l’installation de compteurs d’eau dans les résidences (qui entraînera des frais d’installation de 60 à 100 millions $ en plus des frais de gestion) ou l’instauration d’une taxe d’eau. Le recours à ces pratiques ne règle rien.

Sur le plan environnemental, les études démontrent que les compteurs d’eau n’ont pas d’impact sur la consommation dans les résidences, si ce n’est chez les plus pauvres qui rognent dans leur budget. Et que la taxe d’eau, si elle exerce une pression sur le budget des familles défavorisées, n’empêche nullement les mieux nantis de laver pendant des heures leur BMW ou d’arroser leur domaine…

Mais l’aspect le plus farfelu, c’est que les personnes qui veulent tarifier l’eau par compteur ou créer une nouvelle taxe sont les mêmes qui nous cassent les oreilles avec les baisses d’impôts et de taxes !

Quant à la privatisation, il s’agit d’une mauvaise solution à des problèmes qui n’existent pas. Le réseau de distribution de l’eau se porte bien, tout comme sa gestion. L’eau est de bonne qualité. Sa production ne coûte pas cher. Nous avons une bonne expertise municipale. Les budgets actuels, tirés de la taxe foncière que tout le monde paie, couvrent les frais. Pourquoi privatiser alors ?

Les intentions barbares

Les vraies raisons, se cachant (si peu !) derrière les intentions de Québec et Montréal, sont d’ordre idéologique. Il s’agit de faire entrer la logique de marché, même sur un bien aussi essentiel et vital que l’eau, et de privatiser (ou déléguer ou sous-contracter) pour les p’tits amis selon les principes du fameux P3 : partenariat public privé… ou si on préfère profits pour le privé.

Et ça c’est effrayant. Lors de ses déclarations sur la place du privé dans l’eau, il suffisait de voir le petit sourire en coin de Monique Jérôme-Forget, à la George W. Bush, pour constater à quel point ces gens ne lâcheront pas le morceau.

Jouons au devin. La Ville, avec la bénédiction de Québec, mettra sur pied une société indépendante de l’eau avec ses propres revenus et ses propres employées qui auront une autre convention collective que celle en vigueur actuellement, gracieuseté des changements opérés à l’article 45 du Code du travail. Nous nous retrouverons alors devant un beau « package » facilement privatisable même si le réseau demeure officiellement public.

Heureusement plusieurs mouvements de citoyennes s’opposent à ces projets et vont poursuivre la lutte. Il n’est pas question de retourner cent ans en arrière. Pas question que l’on appauvrisse la population montréalaise. Pas question que l’on permette au privé de mettre la main sur notre bien collectif.

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