Les innombrables contradictions de la convergence

No 70 - été 2017

Québec solidaire / Parti québécois

Les innombrables contradictions de la convergence

Jonathan Durand Folco

Québec solidaire n’a pas fini d’entendre parler de son refus d’une convergence avec le Parti québécois lors des prochaines élections. En plus des reproches de dogmatisme, de fermeture et de favoriser la réélection des libéraux, les solidaires doivent aussi jongler avec le scandale entourant la non-divulgation de la feuille de route de OUI Québec sur une démarche commune d’accession à l’indépendance.

Face à ce contexte trouble, il est facile de jeter le blâme sur Québec solidaire, ou encore d’accuser simplement le Parti québécois de l’avoir cherché. Certes, cette conjoncture est déchirante pour plusieurs ; les moqueries, les accusations et le mépris, les émotions de colère, de déception, de hargne ou d’acrimonie prennent le pas sur la raison et l’analyse froide de la situation. Comme le souligne Hannah Arendt : « [L]’irréflexion (témérité insouciante, confusion sans espoir ou répétition complaisante de "vérités" devenues banales et vides) me paraît une des principales caractéristiques de notre temps. Ce que je propose est donc très simple : rien de plus que de penser ce que nous faisons. »

Dans cet article, nous voudrions mettre en évidence le fait que les récentes décisions de Québec solidaire ne résultent pas seulement des choix des membres, mais aussi d’une série de contradictions présentes au sein du mouvement souverainiste. Il ne s’agit pas de nier que des décisions ont été prises par une série d’acteurs à la suite de nombreuses délibérations, car en fin de compte, ce sont toujours des humains en chair et en os qui décident et tranchent les débats. Mais il n’en demeure pas moins que les raisons fondamentales qui ont été évoquées et qui ont fait pencher la balance découlent des tensions structurelles d’un champ politique déterminé. En d’autres termes, les décisions collectives qui ont été prises ne sont pas d’abord une somme d’opinions individuelles, mais le résultat d’un ensemble complexe de contraintes qui s’imposent aux acteurs dans un contexte donné.

Sous cette « convergence progressiste » se cache une contradiction au cœur de la « question nationale » :
la question identitaire.

Le fait d’adopter une grille d’analyse centrée sur les contradictions pratiques et non sur le simple comportement des individus permet de mettre en lumière la dynamique sous-jacente des choix effectués et les possibilités objectives qui pourraient débloquer la situation. Cette perspective permet également de montrer que la situation actuelle résulte de contradictions présentes au sein du Parti québécois, de Québec solidaire et entre ces deux formations politiques. Ainsi, il ne s’agit pas de dire qu’un parti a tort alors que l’autre a raison, mais bien que chaque organisation avait de bonnes raisons d’agir comme elle l’a fait. Afin de ne pas sombrer dans le relativisme, il ne s’agit pas non plus de dire que toutes les actions de chaque parti sont justifiées, il s’agit plutôt d’expliquer l’enchaînement complexe des actions et réactions, c’est-à-dire la mise en relation des oppositions et la dynamique qui structurent les choix de chaque formation.

Les raisons d’un échec

Tout d’abord, la proposition du Parti québécois de négocier des pactes électoraux avec Québec solidaire découle de trois principales raisons : 1) le déclin historique des appuis pour ce parti depuis les vingt dernières années ; 2) le fait de repousser l’accession à l’indépendance dans un deuxième mandat afin d’augmenter les chances de gagner contre les libéraux en 2018 ; 3) les multiples sondages qui corroborent l’hypothèse d’une impossibilité à prendre le pouvoir sans faire d’alliance avec d’autres partis. Or, pourquoi avoir choisi de négocier d’abord avec Québec solidaire ?

Outre son ADN souverainiste, le PQ depuis René Lévesque est en bonne partie demeuré d’obédience sociale-démocrate. Le parti a gardé une telle interprétation de son identité politique à travers le temps, même si l’action publique du PQ une fois au pouvoir est maintes fois entrée en contradiction avec cette appellation à travers son histoire (coupe de 20 % des salaires de la fonction publique et loi spéciale en 1982, déficit zéro de Lucien Bouchard en 1996, austérité de Nicolas Marceau en 2013). Or, la popularité décroissante de l’austérité sous le régime Couillard amena le PQ à se repositionner dans son nouveau programme pour « faire du Québec une social-démocratie d’avant-garde », ce qui le rapproche évidemment des positions de Québec solidaire. En plus de cette relative proximité idéologique « souverainiste de centre gauche », le PQ a également intérêt à converger avec QS pour des raisons stratégiques. La nette prédominance du PQ sur le plan électoral fait en sorte que QS représente un partenaire utile et relativement inoffensif.

Or, sous cette « convergence progressiste » se cache une contradiction au cœur de la « question nationale » : la question identitaire. Sur ce plan, le déclin historique du PQ l’a amené à expérimenter la stratégie de la Charte des valeurs en 2013, laquelle visait à utiliser le débat sur la laïcité et les accommodements raisonnables pour accentuer la polarisation identitaire entre majorité et minorités, et ce, dans une perspective d’« affirmation nationale ». Plus qu’une simple tactique électorale, il s’agissait bien d’une stratégie visant à reconstruire l’identité collective autour de cet enjeu, en espérant passer de la simple affirmation culturelle à la nécessité d’une autodétermination politique. Pour le meilleur et pour le pire, ce projet a échoué au test électoral, car le PQ n’a pas jugé opportun de construire un consensus autour de la question, préférant jouer la carte de la wedge politics pour se positionner comme le grand parti de l’identité nationale.

C’est bien cette stratégie qui a ultimement fait échouer le projet de convergence avec Québec solidaire, car ce parti avait posé dès le début la condition non négociable d’une approche « inclusive ». Certains souligneront que le PQ aurait pu bouger sur la question identitaire afin de favoriser une convergence électorale, même si Jean-François Lisée a réaffirmé une semaine avant le Congrès de QS qu’il ne reculerait pas d’une miette sur cette position. Or, Lisée n’avait pas le choix de réaffirmer son approche de la « concordance culturelle » anti-multiculturaliste et anti-interculturaliste, à cause d’une contradiction interne entre l’aile inclusive et l’aile conservatrice du PQ. Si Lisée avait décidé d’adopter une approche inclusive pro-solidaire, un important backlash au sein de son parti aurait accéléré le passage de nombreux membres vers la CAQ, qui a récemment réaffirmé ses positions nationalistes et identitaires. Ce n’est pas pour rien que Lisée a été élu chef en lieu et place d’Alexandre Cloutier, Véronique Hivon ou Martine Ouellet ; c’est parce qu’il a joué la carte identitaire avec habilité pour séduire sa base électorale qui croit de moins en moins en la possibilité objective de l’indépendance à court terme, et de plus en plus au besoin de protéger l’identité culturelle contre les menaces extérieures (islam, mondialisation, etc.). Contrairement au « moment PKP » qui avait soulevé l’espoir d’une relance de l’indépendance, le choix de remiser celle-ci dans un deuxième mandat implique de miser sur le seul levier disponible pour assurer l’intégrité et l’unité du parti : l’affirmation forte d’une culture nationale.

C’est bien cette contradiction entre la dimension identitaire et la dimension indépendantiste – qui coexistent toutes deux au sein de la « question nationale » – qui explique en bonne partie l’échec de la convergence progressiste. Paradoxalement, celle-ci n’avait pour objet ni l’indépendance ni l’affirmation nationale, mais plutôt une série de positions progressistes. Autrement dit, si Lisée avait pu montrer une ouverture sur la question identitaire, les raisons contre la convergence au sein de Québec solidaire n’auraient pas autant prévalu. De même, si l’épisode de la Charte n’avait jamais eu lieu, la convergence « sociale-démocrate » aurait presque certainement passé la première étape de la phase exploratoire.

De surcroît, l’agenda référendaire n’aurait pas causé de problème pour la convergence PQ-QS, car les deux partis s’entendent essentiellement sur la même position à l’heure actuelle. Lors de son Congrès de 2016, les solidaires ont décidé d’opter pour une assemblée constituante avec un « mandat ouvert », laquelle implique la possibilité de rédiger la constitution interne du Québec sans nécessairement changer son statut politique. De son côté, le PQ souhaite mettre en place un processus constituant visant à rédiger, dans un premier mandat, la constitution interne du Québec. Ce n’est qu’en 2022 qu’une assemblée constituante serait lancée pour rédiger la constitution d’un Québec indépendant. Bien que la position actuelle de QS ne prévoie pas le découpage de ce processus en deux étapes, elle est tout à fait compatible avec la position du PQ.

L’imbroglio de l’entente historique

Or, comment expliquer les dérapages entourant « l’entente historique » d’une démarche commune d’accession à l’indépendance qui a été signée par les représentant·e·s des quatre partis souverainistes (PQ, QS, ON et le Bloc) ? Pourquoi Andrés Fontecilla a-t-il signé l’entente dans un premier temps, alors que le comité de coordination nationale (CCN) de QS l’a désavoué quelques jours plus tard et insisté pour que l’entente soit gardée secrète jusqu’à la fin du Congrès de mai 2017 ? En fait, cela découle d’une contradiction interne à QS entourant la question de l’indépendance. Non pas que leur position actuelle serait contradictoire, au sens d’une incohérence ou d’une incongruité ; il est tout à fait possible de défendre la position d’une « assemblée constituante ouverte » pour rallier les personnes non convaincues et favoriser une démarche inclusive d’accession à l’indépendance. La contradiction renvoie plutôt à l’opposition entre la position récemment réaffirmée par le parti (mandat ouvert), puis la volonté de QS de converger avec d’autres partis, notamment Option nationale (qui préconise un mandat clair). Autrement dit, il s’agit d’une contradiction entre l’ouverture et la clarté de la démarche.

Cette contradiction est devenue particulièrement vive depuis que le chantier « Renouveau politique » fut voté lors du Conseil national de novembre 2016. Celui-ci impliquait une ouverture à négocier avec les groupes de la société civile et autres partis indépendantistes, ce qui impliquait notamment de s’asseoir à la table de OUI Québec pour discuter d’une démarche commune d’accession à l’indépendance. Dans cette situation, Andrés Fontecilla a signé cette entente pour favoriser la convergence, sans quoi QS aurait dû rompre les négociations avant le congrès, alors que le parti ouvrait au même moment la possibilité d’alliances politiques avec le PQ et ON. Si QS avait refusé a priori l’entente de OUI Québec, il aurait sabordé d’emblée le rapprochement avec ON, lequel était notamment mis en avant par Gabriel Nadeau-Dubois qui est devenu entre-temps le co-porte-parole du parti. Par ailleurs, alors que le CCN n’avait pas de position consensuelle sur les alliances politiques avec le Parti québécois et qu’il était à vrai dire profondément divisé sur la question, il ne pouvait pas quitter la table de OUI Québec ou répudier publiquement l’entente avant le congrès de mai. En d’autres termes, les dirigeant·e·s du parti ne voulaient pas signer la mort des alliances avant que les membres puissent se prononcer sur la question.

À l’inverse, si le CCN de QS avait accepté la signature de l’entente sur la démarche d’accession à l’indépendance de OUI Québec, il serait clairement allé à l’encontre de la position officielle du parti adopté en mai 2016, et il est certain qu’un mécontentement général de la base militante aurait vu le jour. Québec solidaire était donc coincé par les implications contradictoires de sa propre position sur la constituante. S’il l’avait assumé, il aurait dû refuser l’entente de OUI Québec, dire adieu à une fusion avec ON et mettre en péril la convergence avec le PQ avant même la tenue du Congrès. Si le CCN n’avait pas respecté la position officielle du parti pour garder une ouverture aux alliances politiques potentielles, les solidaires auraient fortement désavoué la décision de la direction, amenant une importante crise de confiance à l’interne.

Autrement dit, la seule solution possible pour « sauver la face » du parti était de cacher délibérément l’entente jusqu’à ce que le débat sur les alliances ait lieu. Certes, sur le plan de la transparence, le CCN aurait dû montrer publiquement son désaccord avec OUI Québec dès le mois d’avril, mais cela aurait considérablement refroidi toute convergence alors que de nombreux et nombreuses membres du parti souhaitaient un rapprochement. C’est pourquoi, dans un cas comme dans l’autre, la contradiction entre la transparence et la stratégie de convergence menait à une situation délicate, voire explosive. Et c’est bien la déflagration de cette bombe à retardement qui a ressurgi durant la semaine qui a suivi le congrès, après qu’une majorité forte des membres a voté pour une négociation en vue d’une fusion avec ON, tout en s’opposant fermement à toute alliance avec le PQ.

Par cette brève reconstruction normative du contexte politique actuel, nous avons voulu montrer que la situation ne peut être interprétée de façon manichéenne. Aucun parti ne sort indemne de cette confrontation et chacun devra subir les conséquences d’un enchevêtrement complexe de contradictions présentes au sein du mouvement indépendantiste. Maintenant, cette cacophonie signifie-t-elle la débâcle complète du PQ, de QS et une réélection mécanique des libéraux ? À vrai dire, la mise en évidence des contradictions risque fort probablement d’accélérer leur résolution, c’est-à-dire la transformation de la situation par le dépassement des tensions internes à chaque parti. Dans la situation présente, que cela signifie-t-il ?

De l’union nationale à l’unité populaire

Du côté du Parti québécois, Jean-François Lisée s’est engagé à gagner contre les libéraux en 2018, ce qui implique qu’il n’a pas le choix de mobiliser tous les moyens nécessaires pour atteindre son objectif. Si le PQ échoue aux prochaines élections, non seulement Lisée perdra la face et devra démissionner, mais l’existence même du PQ sera menacée. Cela ne signifie pas qu’en cas d’échec ce parti disparaîtra du jour au lendemain, mais la collision pourrait être tellement forte que le parti pourrait se voir littéralement marginalisé, tant par la CAQ sur sa droite que par QS sur sa gauche. Bref, l’impossibilité pour le PQ de prendre le pouvoir seul et l’impossibilité de converger avec QS amèneront Lisée à tenter la dernière option, la solution finale : le rapprochement vers la CAQ. Celle-ci pourrait prendre la forme d’une tentative de récupérer une partie du discours de la CAQ pour séduire sa base électorale ou encore d’une alliance avec ce parti.

Il y a certes une série de contradictions entre le PQ et la CAQ, mais celles-ci ne sont pas insurmontables, car l’impératif de victoire électorale pourrait vite prendre le dessus. En ce sens, le PQ ne ferait qu’assumer le virage idéologique et stratégique qu’il a entrepris sous le règne Pauline Marois. En renonçant à l’indépendance à court terme, la seule raison d’être ou outil de mobilisation restant demeure la protection de l’identité nationale, notamment sur le plan de la « souveraineté culturelle ». Et c’est précisément sur ce point que le nouveau programme du PQ, qui sera adopté en septembre 2018, converge parfaitement avec l’orientation de la CAQ. Cela ne veut pas dire que les deux partis feront une grande alliance, et encore moins qu’ils fusionneront, mais ils pourraient très bien essayer de négocier des pactes électoraux pour éviter de diviser le « vote nationaliste ». Néanmoins, la récente montée de la CAQ qui est devenue plus populaire que le PQ dans les derniers sondages pourrait inciter Legault à « snober » Lisée pour le laisser couler. Dans cette perspective, le PQ se ferait manger des deux côtés à la fois : QS lui grugerait le vote progressiste, tandis que la CAQ rassemblerait le vote conservateur. À vouloir courtiser tout le monde, on se retrouve parfois tout seul.

Aucun parti ne sort indemne de cette confrontation et chacun devra subir les conséquences d’un enchevêtrement complexe de contradictions présentes au sein du mouvement indépendantiste.

De son côté, Québec solidaire pourrait surmonter ses contradictions de deux manières opposées : s’il décidait de faire de la gauche ou de la question sociale une priorité absolue sur la question nationale, il devrait revoir sa position pour épouser la possibilité de l’indépendance (si nécessaire, mais pas nécessairement) en axant son discours uniquement sur les inégalités sociales, taxer le 1 %, réinventer la démocratie, etc. À l’inverse, si QS assume son leadership sur la question nationale tout en restant ferme sur sa position identitaire inclusive, il devra se rapprocher d’ON afin de former un grand pôle progressiste et indépendantiste. En fait, il s’agit exactement de la position adoptée par le dernier congrès solidaire, laquelle fut favorisée par le leadership de Gabriel Nadeau-Dubois qui a « décomplexé » le parti, qui était un peu frileux sur la question il n’y a pas si longtemps.

À l’heure où les contradictions du PQ minent son hégémonie, tant sur le plan progressiste que sur son flanc nationaliste, celui-ci devra essayer de rétablir son influence en accentuant le « pôle identitaire » de la question nationale. À l’inverse, Québec solidaire ne peut réussir son pari qu’en développant son hégémonie sur le « pôle indépendantiste » afin de forger un bloc démocratique et progressiste. Contre l’« union nationale » PQ-CAQ, il s’agit de construire une « unité populaire » des forces vives du changement social, tant sur le plan économique, politique et culturel. Cela implique d’opérer une fusion ou du moins une réelle alliance avec Option nationale et donc de trouver une voie de passage sur la fameuse question de l’assemblée constituante.

Enfin, cette longue analyse ne fait que réitérer les tâches qui s’imposent à nous pour sortir du marasme actuel, lequel découle moins de choix « stupides », « mauvais » ou « irrationnels », que d’une dynamique qui force les organisations politiques à clarifier leurs positions et à dépasser leurs contradictions. Du conflit naît non seulement la lutte, mais la réalisation de possibilités non encore envisagées. Les contradictions mènent à la fois au chaos et à la création. Comme disait Héraclite : « Polemos panton men pater esti ». Le conflit est père de toute chose.

Pour lire la version intégrale de cet article, rendez-vous sur le blogue de Jonathan Durand Folco.

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