Les envahisseurs

No 19 - avril / mai 2007

Contribution au débat public sur les accommodements raisonnables

Les envahisseurs

par Benoit Renaud

On ne peut pas comprendre le phénomène du « code de vie » de Hérouxville ou la tournure xénophobe que prend souvent le débat sur les accommodements raisonnables sans les situer dans le contexte de la « guerre contre le terrorisme » et de la mission canadienne en Afghanistan, qui alimente la diabolisation de l’Islam et des musulmans (ou des personnes associées à tort à l’Islam, comme les Sikh ou les Arabes chrétiens ou athées). L’islamophobie est tellement omniprésente dans les actions et les discours de nos dirigeants — de la guerre aux Certificats de sécurité — et dans nos médias, qu’on ne le remarque plus. Le cas de Hérouxville est l’occasion d’un réveil collectif et d’un effort de développement et de convergence des mouvements antiguerre et antiracisme dans notre société.

Bien entendu, dans l’abstrait, il convient d’être contre la lapidation. Dans une situation concrète d’un pays où l’on pratiquerait cette forme particulièrement cruelle d’exécution, on ne pourrait qu’admirer la décision d’un conseil municipal de se déclarer une zone libre de lapidations. Mais dans notre village de la Mauricie, en 2007, l’adoption d’un tel règlement a un sens complètement différent. Il s’agit de toute évidence d’un geste profondément xénophobe, islamophobe pour être plus précis.

La même dynamique était à l’œuvre lorsque l’Assemblée nationale a adopté, à l’unanimité, une motion annonçant son rejet de la Charia, la loi islamique. Mais bien peu de gens l’ont remarqué ou s’y sont objectés. Pourtant, dans ce cas comme dans celui de Hérouxville, on enfonçait des portes ouvertes puisque personne, au Québec, ne proposait que la loi musulmane (qui a de nombreuses interprétations par ailleurs, certaines ultraconservatrices, d’autres plus libérales) joue un rôle quelconque dans notre système judiciaire. Même dans le cas des tribunaux d’arbitrage en Ontario, qui ont servi de prétexte au dépôt de la motion, il s’agissait uniquement d’étendre aux musulmans un droit qui avait déjà été accordé à d’autre groupes religieux (juifs, chrétiens) 15 ans plus tôt. Personne ne s’était objecté à ce que ces autres communautés puissent demander à leur rabbin ou prêtre d’arbitrer des conflits, et ce, dans le cadre des lois ontariennes et canadiennes. C’est bien entendu seulement lorsque des imams ont proposé de faire la même chose, qu’une campagne pour sauver les femmes ontarienne de futures lapidations a été déclenchée. Encore une fois, si une telle motion était présentée au parlement d’un pays où l’Islam est religion d’État, on devrait admirer le courage des personnes qui osent la présenter. Mais dans le cas de notre Assemblée nationale, il s’agissait d’un geste de pur opportunisme politique, pour se faire une popularité sur le dos d’une communauté déjà marginalisée dans notre société.

La règle de la mise en contexte s’applique aussi aux cas de la non-mixité de certains services publics. Si des femmes chrétiennes ou agnostiques demandaient une heure par semaine de piscine non mixte ou des cours prénataux entre femmes, simplement pour avoir la paix, personne ne monterait sur ses grands chevaux pour la leur refuser, sauf peut-être certains masculinistes invétérés. C’est le fait que des femmes immigrantes fassent le même genre de demande en invoquant des motifs culturels ou religieux qui provoque une levée de boucliers au nom de la lutte contre la discrimination ou contre l’intégrisme.

Personne ne paniquerait sur le kirpan ou le port du foulard islamique à l’école si ce n’était de la peur des étrangers, alimentée par celle du terrorisme, et de l’amalgame qui est constamment fait entre les deux. Il y a un million et demi de musulmans dans le monde et quelque chose comme 150 membres de Al Qaeda. La pente descendante qu’on devrait craindre dans nos sociétés occidentales n’est pas celle qui mène des accommodements (légaux ou informels) avec les minorités religieuses à l’augmentation du pouvoir des intégristes (nous ne sommes pas dans un pays à majorité musulmane), c’est celle qui mène du discours et des actions colonialistes de nos dirigeants au racisme ordinaire dans la population majoritaire, puis à la montée de l’extrême-droite bien blanche.

Refusons de tomber dans la peur irrationnelle des immigrants et des minorités religieuses. Rejetons la démagogie facile des Mario Dumont, des Richard Martineau et autres professionnels du populisme islamophobe.

Tournons le dos à ceux et celles qui alimentent les préjugés contre les musulmans au moment où les soldats du 22e Régiment se préparent à aller tuer des présumés insurgés, brûler des récoltes et bombarder des villages en Afghanistan pour le compte d’une guerre colonialiste.

Le racisme et la guerre vont toujours si bien ensemble.

La tolérance et la paix doivent faire de même.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème