Dossier : Réfugiés. Droits et (…)

Planète sans visa

Le droit à l’hospitalité

par Christian Brouillard

Christian Brouillard

Tout individu a droit à 24 heures de liberté par jour.

René Magritte

Au terme de ce dossier, peut-on, ne serait-ce qu’en imagination, dessiner les lignes d’un autre monde possible, un monde avec un peu moins de frontières, de barbelés et de contrôles migratoires ? Une planète où les visas pour circuler ne seront plus nécessaires et où règneront un peu plus de justice et de solidarité ? Cela peut sembler, à première vue, relever d’un pur exercice intellectuel ou « utopique ». Pourtant, sans entrer dans les détails, mécanismes ou procédures d’une nouvelle politique de l’immigration et d’accueil des réfugiées, on peut quand même remarquer que nous disposons déjà d’une base juridique issue, au cours des siècles, du combat de l’Humanité pour son émancipation.

Cette base juridique se fonde sur les droits inaliénables de tout être humain, dont le droit à une hospitalité universelle. Cette notion d’hospitalité ne fait pas référence à un acte charitable que l’on ferait à plus nécessiteux, car comme l’écrivait le philosophe allemand Kant à la fin du XVIIIe siècle, « il n’est pas question (ici) de philanthropie mais de droit, et en ce sens l’hospitalité signifie le droit qu’a tout étranger de ne pas être traité en ennemi dans le pays où il arrive » (Vers la paix perpétuelle, 1795). L’esprit de cet article du droit « cosmopolitique » (on dirait maintenant international) s’est retrouvé, entre autres, dans les sections 13 et 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU qui stipulent que toute personne dispose du droit de libre circulation et d’asile. Ces dispositions sont une suite logique de l’article premier de cette déclaration où il est dit clairement que tous les êtres humains naissent libres et égaux en droit et en dignité et « doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».

Prendre au pied de la lettre les énoncés du droit et tenter d’obliger, par divers moyens, les États à respecter ceux-ci constitue donc une étape incontournable vers la concrétisation d’une politique plus juste envers les immigrantes et envers les réfugiées. C’est d’ailleurs ce que font les différents collectifs et groupes de défense des droits des immigrées et des réfugiées partout sur la planète. Se baser sur le droit universel se heurte cependant à une première limitation, en ce sens que celui-ci est restreint par les législations nationales propres aux différents États. Par ailleurs, cette contradiction « mondial/national » entre en résonance avec un processus beaucoup plus vaste, celui de la mondialisation capitaliste et des répercussions entraînées par celle-ci en termes de réorganisations économiques et du rôle des États.

Au-delà des strictes considérations juridiques qui nous confineraient uniquement à un plan formel, nous sommes amenés à replacer le droit dans l’ensemble des rapports socio-économiques où celui-ci évolue. Il est donc impossible de tenir un discours cohérent sur la libre circulation des personnes ou sur le respect des droits humains sans tenir compte des questions économiques. Alors que les marchandises, les capitaux et l’information n’ont jamais aussi rapidement et librement transité de par le monde – processus favorisé par les politiques néolibérales –, les individus, pour leur part, semblent de plus en plus fixés au sol. Nuançons cette affirmation cependant, car parallèlement à la marchandisation du monde, les personnes, en rapport avec leur droit de circuler, sont évaluées selon leur valeur marchande. Pour les riches de toutes origines, c’est la liberté de se promener où bon leur semble, pour les pauvres des pays du Sud, c’est la fermeture des frontières, les camps de réfugiés, la clandestinité et la déportation.

Pourtant, malgré ces obstacles, toujours plus de défavorisés des pays du Sud tenteront leur chance au Nord, désireux d’améliorer leur condition et poussés pour beaucoup par la misère provoquée par les politiques imposées d’une manière néocoloniale par les organismes internationaux comme la Banque Mondiale, l’OMC ou le FMI. Pour beaucoup d’autres, ce sera la répression politique et les dictatures, quand ce n’est pas d’interminables guerres alimentées par les intérêts des grandes puissances et des entreprises transnationales, qui les amèneront à fuir. Installés ici, leur chemin de croix ne sera pas fini, car outre les obstacles dressés par l’État, les immigrantes et les réfugiées devront affronter le racisme. En effet, pour les pauvres d’ici, c’est la peur savamment entretenue par des démagogues de tous horizons que l’« autre », l’étranger, viendra leur voler le peu d’emplois et de programmes sociaux qui leur restent…

Il apparaît alors que leur combat pour des politiques migratoires plus justes, par-delà le simple respect du droit, passe par une remise en cause des inégalités socio-économiques tant au plan national que sur l’ensemble du globe. Cette remise en cause ne peut se traduire que par des politiques allant radicalement à l’encontre du néolibéralisme ambiant, à la mise au pas, sinon l’abolition, des organismes internationaux comme le FMI ou l’OMC et à la mise en place de relations internationales où les intérêts économiques seront subordonnés au respect des droits humains. Le droit international ne sera vraiment respecté qu’à partir du moment où un puissant mouvement social, en transformant l’ensemble des rapports sociaux, donnera un véritable contenu à ce qui, jusqu’à maintenant, n’est qu’une forme vide.

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