Le Collectif de recherche sur l’autonomie collective

No 30 - été 2009

Observatoire des luttes

Le Collectif de recherche sur l’autonomie collective

Faire de la recherche autrement

Émilie Breton, Rachel Sarrasin

Quel pouvoir de transformation portent les acteurs et actrices sociaux dans les sociétés actuelles ? Une réponse courante consiste à évaluer leur potentiel de résistance en fonction de leur aptitude à influencer l’orientation des politiques étatiques ou à intervenir dans les processus de prise de décision des autorités. Cette conception apparaît pourtant fort limitée et n’éclaire qu’une seule dimension du changement social et politique. Elle repose effectivement sur une définition restreinte du pouvoir, désignant alors les rapports entre dominantes et dominées, plutôt que sur une conception large qui inclurait la capacité des personnes concernées à agir sur elles-mêmes et sur leur milieu de vie.

Le Collectif de recherche sur l’autonomie collective (CRAC) se propose justement de remédier à ces limites en contribuant, par la production de nouvelles connaissances sur le monde militant, à la capacité réflexive des personnes engagées dans la résistance contre différentes formes d’oppression.

Le CRAC est un groupe de recherche dont les membres se définissent comme des militantes anti-autoritaires et (pro)féministes, travaillant à documenter la diversité et la complexité de leurs propres mouvements. L’initiative de fondation du Collectif repose sur une analyse critique de la pratique scientifique dominante marquée par un caractère exclusif et sélectif qui a pour conséquences de privilégier certaines connaissances au détriment d’autres types de savoirs. Or, pour les membres du CRAC, le regard le plus lucide sur l’état actuel du monde, plutôt que de provenir des centres de recherche institutionnalisés, est porté par ceux et celles qui vivent au quotidien des expériences de domination et d’injustice. La démarche du Collectif vise donc à favoriser le développement de cette culture alternative en donnant une voix à ceux et celles qui luttent afin de modifier ces réalités.

Plus précisément, les travaux du CRAC veulent documenter les différentes expériences contemporaines d’autonomie collective dans le contexte québécois de manière à enrichir la mémoire de ces luttes. Le CRAC travaille avec des groupes et des réseaux anticapitalistes s’inspirant de la culture libertaire, c’est-à-dire, pour reprendre les termes de Rosanvallon (1976) et de Pucciarelli (1999), qui affirment un refus de toute autorité jugée illégitime, prônent l’utilisation de stratégies d’action directe et préconisent une forme organisationnelle qui se caractérise par l’affirmation de la spontanéité, l’autonomie, la démocratie directe et la décentralisation des pouvoirs. Les membres du Collectif s’intéressent également à étudier plus spécifiquement les expressions libertaires de la lutte contre le patriarcat et l’hétéronormativité, notamment celles partageant l’analyse du féminisme radical matérialiste, l’analyse queer et/ou une analyse antiraciste et anticoloniale.

Afin de contribuer à la construction d’un savoir aux visées véritablement émancipatrices, le CRAC utilise une méthode de recherche-action qui fait intervenir activement les militantes des réseaux et des groupes étudiés dans le processus. Placées au cœur de ce travail épistémologique alternatif, ces dernieres sont donc invitées à intervenir ponctuellement à travers les différentes étapes de production des recherches les concernant.

Les résultats de ces études sont publiés sous la forme de monographies portant sur chacun des groupes étudiés. Ces études empiriques comportent une première partie descriptive sur l’objet de la recherche et une seconde partie qui rend compte des analyses politiques produites par les membres du groupe, en plus de traiter des défis, enjeux et contradictions qu’ils et elles identifient en lien avec leur pratique. À ce jour, des monographies ont été réalisées sur le collectif écoradical Liberterre et sur le collectif féministe Ainsi squattent-elles. Des publications portant sur les jardins collectifs, la Convergence des luttes anti-capitalistes, le Ste-Émilie Skillshare, Q-Team, les Panthères roses et plusieurs autres groupes et réseaux (féministes radicales, queer-people-of-color et (pro)féministes dans les réseaux anticolonial et antiraciste) sont en voie de rédaction.

Par ailleurs, le CRAC travaille également à recenser les expériences d’autonomie collective au Québec depuis 1995 par le biais d’un répertoire en ligne. Les membres du Collectif participent aussi à différentes activités publiques et militantes dans le but de diffuser le plus largement possible leurs travaux. Bien sûr, les recherches du CRAC peuvent être utilisées comme outils de travail dans le milieu académique, mais elles ont pour principale visée de servir aux groupes militants dans l’optique d’une construction critique de l’histoire des luttes sociales et populaires au Québec.

Dans un autre ordre d’idées, non seulement le CRAC se propose-t-il d’alimenter le travail des groupes militantes, il constitue lui-même un espace politique transformateur pour les personnes qui s’y impliquent. C’est en cherchant à vivre l’expérience d’une autonomie collective basée sur des valeurs qui visent à déconstruire toute forme d’oppression, que le CRAC prétend faire de la recherche autrement. Dans son organisation interne, le Collectif a ainsi recours à divers outils et mécanismes de fonctionnement que d’autres groupes utilisent et qui ont pour objectif de mettre au jour les rapports de domination qui pourraient s’exercer entre les membres. Par ce genre de pratique, le CRAC cherche à préfigurer un mode d’organisation décentralisé et non hiérarchique qui témoigne de sa volonté de changement social. En ce sens, les travaux de recherche et de documentation entrepris par le CRAC ne sont que le début d’une démarche qui, espérons-le, contribuera à faire connaître les valeurs et les idées de personnes engagées activement dans la transformation de la société, et ce, au plus grand nombre de gens possible, tout en étant une bonne occasion pour les mouvements militants de porter un regard critique sur leur histoire et sur la portée de leurs actions.

Collectif de recherche sur l’autonomie collective

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