La planète malade

No 09 - avril / mai 2005

Guy Debord

La planète malade

lu par Christian Brouillard

Christian Brouillard

Guy Debord, La planète malade, Paris, Gallimard, 2004.

Subversive beauté

« Il ne s’agit pas de mettre la poésie au service de la révolution, mais bien de mettre la révolution au service de la poésie »

 Internationale Situationniste, No.8, janvier 1963.

Dabord, il y eut Dada, mouvement européen qui s’insurgea contre la culture et le système qui avaient conduit au Premier grand massacre mondial de 1914-1918. En parallèle, le surréalisme, prenant acte de la déchéance du capitalisme et d’un certain rationalisme, allait exalter la puissance de l’inconscient et de l’imaginaire créatif. Ces deux critiques, malgré toute leur portée subversive qui rentrait d’ailleurs en diapason avec les échos de la Révolution russe, ont été rapidement « normalisées », prenant alors le chemin du musée. C’est en tentant de réactualiser ces deux moments – le dadaïsme et le surréalisme – mais en les dégageant de leur seul caractère « culturel » que l’Internationale situationniste est née à la fin des années 50. Dans cette naissance, Guy Debord a été un protagoniste essentiel.

L’ensemble des textes de la revue Internationale situationniste, publiés de 1959 à 1969, étant plus ou moins accessible, on ne peut que saluer la parution chez Gallimard, sous le titre La planète malade, de trois écrits (dont un inédit) issus de la plume de Guy Debord.

Les deux premiers, « Le déclin et la chute de l’économie spectaculaire marchande » et « Le point d’explosion de l’idéologie en Chine », exposent assez bien les principaux points de la théorie situationniste. Le capitalisme, loin de se réduire à un simple « système économique », est un système d’expropriation de la vie même de ses producteurs, réduisant ceux-ci à de simples spectateurs. Le concept de spectacle est ici central, reprenant par ailleurs les analyses de Marx où celui-ci démontrait que dans le monde « enchanté » du Capital, c’étaient les marchandises qui semblaient vivantes et les humains morts. Avec la marchandisation accélérée du monde, on ne peut que constater un élargissement de l’expropriation du vivant au profit du capital. Ce processus va, par ailleurs, jusqu’à mettre en scène sa propre parodie de subversion. En effet, pour Debord et les situationnistes, la division Est-Ouest ne constituait nullement une frontière entre deux systèmes différents (socialiste et capitaliste) mais plutôt deux modes de gestion, un privé et l’autre bureaucratique, du capitalisme.

Face à ce système unitaire (malgré son apparente division), des foyers de subversion ne cessent de surgir, mettant de l’avant non pas une quelconque « gestion » alternative de l’économique mais une réappropriation totale de tous les moments de la vie par le biais d’une autogestion généralisée. Autant dire que pour Debord, la révolution n’est pas une simple affaire politique ou économique, une spécialité qui relèverait de techniciens (les militants) mais un processus global où le quotidien, le culturel et le poétique jouent un rôle essentiel. En rapport à la question de la pollution, abordée dans le dernier texte « La planète malade », Debord est encore plus clair : une gestion bureaucratique des effets néfastes du capital sur l’environnement ne peut mener qu’à un approfondissement de ce qui mine la Terre. « Les choix terribles du futur proche laissent cette seule alternative : démocratie totale ou bureaucratie totale ». Malgré certains côtés qui peuvent apparaître comme manichéens, cette critique reste encore pleinement actuelle.

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