Opportunité ou piège ?
La décentralisation vers les villes
par Jean-François Aubin
Est-ce que la décentralisation telle que nous la connaissons actuellement au Québec est une opportunité à saisir ou un énorme piège dans lequel nous allons nous engouffrer ? Voilà une question cruciale à laquelle nous ne pouvons répondre sans approfondir certaines interrogations soulevées.
Une première question porte sur l’origine même de cette décentralisation. S’agit-il du résultat des luttes menées pour une démocratie locale, pour une plus grande participation citoyenne et pour une appropriation du pouvoir au niveau local ? S’agit-il d’un élément de plus dans une vaste stratégie néolibérale qui consiste à déléguer au palier local plusieurs responsabilités sans aucun moyen financier ?
En fait, il s’agit un peu des deux. La décentralisation que nous connaissons actuellement est à la fois le résultat d’une tentative de l’État québécois de se décharger de responsabilités, tout en tentant de conserver les pouvoirs principaux, et à la fois le résultat des luttes de milliers de personnes et d’organisations qui réclament depuis longtemps d’avoir une prise sur les décisions concernant leur territoire, que ce soit une région, une ville, un arrondissement ou un quartier. C’est ce qui explique la présence de mouvements contradictoires dans le processus de décentralisation. Le défi étant de démêler l’un de l’autre.
La décentralisation qui augmente le pouvoir local ne devrait pas être synonyme de disparités et d’inégalités. L’État québécois a la responsabilité de définir et de maintenir certains principes et règles qui garantissent que l’on ne se retrouve pas devant du développement à deux vitesses entre les différentes villes et municipalités. À ce titre, la décentralisation ne veut absolument pas dire de « s’enfermer » dans le palier local et de ne plus se soucier des grands débats et des politiques publiques. Mais lorsqu’on arrive sur le « comment », sur les « priorités » à établir sur un territoire, c’est aux acteurs locaux de prendre les décisions. Le gouvernement du Québec doit par exemple bien définir les responsabilités et obligations des villes, mais par la suite verser les budgets et laisser une marge de manœuvre aux villes et aux acteurs locaux pour définir la mise en œuvre. En ce sens, nous n’en sommes qu’à un début de balbutiement de décentralisation. Il y a beaucoup plus de paroles que d’actes concrets de décentralisation au Québec.
Cela nous conduit à redéfinir notre modèle de démocratie et à trouver de nouveaux équilibres entre démocratie représentative et démocratie participative. Nous élisons des personnes pour nous représenter mais en même temps ces élues ne doivent pas régner comme de petits rois. Au contraire, nous devons nous situer dans une dynamique où l’on laisse une large place à la démocratie représentative, c’est-à-dire aux citoyennes qui s’organisent de différentes façons pour réagir et proposer des alternatives de développement.
Cela pose notamment l’exigence de s’impliquer davantage dans la démocratie représentative en étant présent comme conseillers et conseillères municipaux et comme maire d’arrondissement ou de ville. Ce serait une erreur importante de se conforter dans une « opposition » en se situant seulement comme de l’« extérieur » au lieu où se prennent les décisions officielles. Nous retrouvons à travers le Québec un regain d’intérêt et de participation à la vie démocratique représentative dans les villes et municipalités. Dans la région de la Mauricie, à titre d’exemple, un maire et trois conseillères municipales sont des personnes issues du mouvement communautaire et social. D’autres y réfléchissent.
Cependant le pouvoir représentatif n’est pas tout et n’est pas toujours garant du bien commun. La mobilisation et des espaces importants de démocratie représentative sont indispensables pour un développement local intéressant. Une réelle démocratie participative doit aller au-delà d’une multiplication à outrance de consultations publiques. Bien sûr, la consultation est un outil important de démocratie mais il faut aller vers l’implication des citoyennes et des organismes locaux dans la mise en œuvre. Cela permet que le palier local soit également un « laboratoire » pour expérimenter de nouvelles pratiques démocratiques. À ce chapitre, beaucoup reste à faire, nous sommes appelés à réinventer la façon de faire des pouvoirs publiques. Une des belles expériences dans ce sens est l’opération d’aménagement populaire menée dans Pointe-St-Charles à Montréal.
Des exemples récents illustrent bien les possibilités offertes par la décentralisation. La mise en place d’un budget participatif dans l’arrondissement plateau Mont-Royal ou encore la récente création d’un réseau québécois de revitalisation intégrée, qui est porté par de larges coalitions travaillant avec les pouvoirs publics locaux mais en sont indépendants sont des signes de ces ouvertures. L’intérêt envers le Mouvement pour une démocratie municipale initié par D’abord solidaires est une autre démonstration qu’il se passe quelque chose qui mobilise de plus en plus de personnes.