Développement durable
Illusion et supercherie
par Anne-Marie Turmel et Émile Dufour
En novembre 2004, le ministre de l’Environnement déposait l’avant-projet de loi sur le développement durable. Enfin du « développement durable », dira-t-on ? Ce paravent vert ne saurait masquer les actions entreprises par le gouvernement néolibéral de Jean Charest depuis son élection.
Avec ses déclarations, le ministre de l’Environnement Thomas Mulcair s’est attiré la sympathie de la population en général et de nombreux groupes environnementalistes, dont Greenpeace. Deux éléments furent particulièrement convaincants pour bien des gens : l’ajout d’un article 46 à la Charte des droits et libertés du Québec qui stipulerait le « droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité » ; puis l’établissement d’un droit de regard du ministère de l’Environnement sur l’ensemble des actions des autres ministères par le biais d’un mécanisme de reddition de comptes.
Le PLQ : écologiste ou opportuniste ?
Toutefois, lorsqu’on regarde de plus près le contenu de cet avant-projet, bien des espoirs s’écroulent. Comment espérer que l’article 46 ait un impact concret alors que des droits fondamentaux, tels que le droit d’accès à de la nourriture et le droit de se loger ne sont même pas respectés par les gouvernements ?
Comme l’indique son chapitre 11, le but de cet avant-projet de loi est d’assurer « le caractère durable du développement ». Cette vision est totalement trompeuse et la campagne de séduction des technocrates sophistes, qui tentent d’exprimer l’inexprimable, est ici évidente. En effet, l’expression « développement durable » est antinomique puisqu’elle est composée de deux termes qui se contredisent. La durabilité du développement est impossible parce que les ressources naturelles sont limitées [1]. Plusieurs auteurs ont démontré que le terme même de « développement durable » est aujourd’hui complètement galvaudé, car le développement est directement associé à la croissance économique et non pas à l’aspect plus qualitatif questionnant les modes de vie et de pensée [2].
Dans une perspective écologique – et non pas environnementaliste – de la crise écologique et sociale planétaire, le développement durable est un concept illusoire qui se présente comme une solution mais qui, en réalité, sert de prétexte aux gouvernements pour continuer de promouvoir la croissance économique. En ce sens, le « développement durable » s’inscrit à merveille dans la logique capitaliste. La récente nomination de William Cosgrove à la tête du Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE) est la preuve éloquente de ce qui se cache derrière le masque vert du PLQ. Jusqu’à sa nomination, Cosgrove présidait le Conseil mondial de l’eau, la « chambre de commerce » des multinationales de l’eau.
Opposition des écologistes
Les médias, et même la gauche, confondent souvent écologisme avec groupes environnementalistes ou avec d’autres formes d’organisation politique. L’écologisme se définit comme un mouvement politique dont l’essence même est contraire à l’étatisme retrouvé dans certaines organisations, telles que le Parti Vert. L’écologisme, « c’est à la fois un comportement, une façon de vivre, une philosophie, une éthique, une théorie politique, un projet de société ou tout cela à la fois qui garantissent l’épanouissement et la souveraineté de tous les écosystèmes et de tous les êtres humains de la Terre [3]. »
Le refus du développement durable par les écologistes ne date pas d’hier. Il y a longtemps que l’on ne parle plus de « durabilité », mais bien de « viabilité ». Pour rebâtir une société viable et véritablement respectueuse des écosystèmes, nous devons nécessairement remonter jusqu’aux racines de la crise écologique actuelle. Or, l’écologie sociale reconnaît que cette crise prend racine dans les relations de domination qui structurent la société : la domination du Nord sur le Sud, des hommes sur les femmes, des êtres humains sur la nature.
Pour sa part, le mouvement environnementaliste agit plutôt sur les symptômes de la crise. Dans ce mouvement s’inscrivent les nombreux groupes qui appliquent les programmes environnementaux des gouvernements ou qui tentent de réformer de l’intérieur les politiques environnementales. Évidemment, ces démarches sectorielles s’inscrivent dans la logique du système en place sans toutefois remettre en question les vraies causes de la dégradation de la nature et de la société.
Une analyse écologiste s’impose pour trouver des solutions qui soient à la hauteur de la crise actuelle. Dans cette perspective, il est grand temps de transformer radicalement nos modes d’organisation basés sur la croissance économique et de remettre en question notre mode de vie qui aggrave la crise écologique et les iniquités sociales que nous vivons.
La décroissance soutenable
La seule voie envisageable et respectueuse de l’environnement et des générations actuelles et futures est celle de la décroissance soutenable [4]. Cette contestation de la croissance économique est l’un des fondements de l’écologie sociale et politique. Il faut se rendre à l’évidence : les pays riches devront réduire leur production et leur consommation. Nous ne pouvons plus vivre à ce rythme et il est complètement insensé d’espérer que pour bien vivre, les pays « en voie de développement » devront atteindre notre seuil de consommation et de production. Si tout le monde vivait à notre manière, nous aurions besoin de dizaines de planètes Terre pour satisfaire nos besoins en matières premières et en énergie [5]. En tant qu’occidentaux, notre mode de vie est rendu possible par l’exploitation abusive et violente de la nature et des êtres humains, surtout des femmes.
Institut d’études économiques et sociales pour la décroissance soutenable
[1] Il ne resterait que pour environ 41 ans de consommation de pétrole et pour 70 ans de consommation de gaz. Le parc automobile devrait doubler d’ici 20 ans et l’on prévoit une augmentation considérable de la consommation d’énergie à l’échelle mondiale.
[2] Voir l’ouvrage collectif Objectif décroissance. Vers une société viable, Écosociété, Montréal, 2003 [recensé dans le # 5 (été 2004) de la revue À bâbord !].
[3] Michel Jurdant, Le défi écologiste, Boréal Express, Québec, 1984, p. 69.
[5] Calculez votre empreinte écologique : http://www.agir21.org/flash/empreinteecoweb/loadcheckplugin.html