Good Booty. Corps et âmes, Noirs et Blancs, amour et sexe dans la musique américaine

No 87 - mars 2021

Ann Powers

Good Booty. Corps et âmes, Noirs et Blancs, amour et sexe dans la musique américaine

Philippe de Grosbois

Ann Powers, Good Booty. Corps et âmes, Noirs et Blancs, amour et sexe dans la musique américaine, Le Castor Astral, 2019, 416 pages.

Traduit de l’anglais par Rémi Boiteux.

« Good booty  » est une expression employée par Little Richard dans une première version de son succès « Tutti Frutti ». L’expression évoque le « bon cul », mais aussi le butin, l’argent. Dans le livre du même nom, la critique musicale Ann Powers explore à travers un vaste parcours historique ces relations ambiguës de la musique populaire américaine avec le corps et l’érotisme.

La périple auquel nous convie Good Booty part de la Nouvelle-Orléans du XIXe siècle, souvent considérée comme le creuset multi-ethnique qui donnera toute son originalité à la musique américaine, pour se terminer au XXIe siècle, où la pop plonge dans le numérique, voire l’utopie cyborg. C’est cependant la période s’étalant des années 1930 aux années 1980 qui est la plus riche et la plus fascinante.

Le chapitre sur l’âge d’or du gospel (1929-1956) décortique le processus complexe par lequel les chants religieux se séculariseront graduellement pour engendrer des « fruits profanes », le soul et le rock : « les mères du gospel établissaient un lien entre l’intimité quotidienne et l’union spirituelle ». Cette « sanctification de l’érotique » fut l’équivalent de la fission nucléaire pour la musique populaire.

Le rock des années 1950 poursuit dans cette lancée, en ciblant plus spécifiquement l’adolescence : « Les ados voyaient les stars du rock’n’roll comme leurs semblables, voire comme leurs potentiels amis et même amants. Cette impression d’intimité se mélangeait chez les adolescentes à la grandissante reconnaissance sociale de leur propre sexualité  ». Powers ne manque pas de souligner les nombreuses dérangeantes relations qu’ont eues nombre de rockers avec des adolescentes : « Comme très souvent dans le monde de la musique populaire, exploitation et sentiment de liberté se mêlent ».

Powers rend aussi bien compte de la vitalité de la décennie 1970. Des genres musicaux comme le glam rock viendront secouer les bases du genre et des sexualités, alors que le soft rock, plus conventionnel, vient aider hommes et femmes à naviguer dans cette période trouble et à « découvrir leur propre potentiel », dans l’esprit du développement personnel de l’époque. Entre les deux, on trouve le disco, aux sons «  audacieux mais rassurants », notamment pour les femmes et les gais.

Que les adeptes de Theodor Adorno s’avisent : on n’est pas ici dans la critique néomarxiste de l’industrie culturelle. Powers est foncièrement charitable envers son objet d’étude, même si elle met bien en lumière les contradictions qui le traversent tout au long de son histoire et qu’elle est au fait du rôle des impératifs commerciaux dans ces tensions. L’intérêt de son approche est de ne pas dissoudre la créativité des artistes et la réception du public dans la critique du système économique qui permettra à cette musique de s’imposer à travers le monde.

Thèmes de recherche Musique, Etats-Unis, Livres, Histoire
Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème