Dossier : Partenariats public-privé

Négociations dans le secteur public

Freiner le processus de privatisation

par Jean-Pierre Larche

Jean-Pierre Larche

Les réseaux modernes et universels de services publics, tels que nous les connaissons, sont le fruit de luttes syndicales et citoyennes mémorables. Jusqu’au début des années 60, les conditions de travail dans les établissements de santé et les institutions d’enseignement, tout comme les services offerts, variaient considérablement d’un établissement à l’autre, d’une région à l’autre. En obtenant la négociation nationale des conventions collectives, notamment, les syndicats ont atténué ces disparités. Ces injustices risquent aujourd’hui de réapparaître sous une forme nouvelle.

Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement libéral a soigneusement préparé le terrain pour privatiser les services publics, sous couvert de modernisation. La panoplie de lois adoptées depuis l’élection des Libéraux a pour effet, entre autres, de décentraliser la négociation des conventions collectives, d’affaiblir les syndicats, de désyndiquer des milliers de travailleuses du secteur des services de santé et sociaux, de faciliter la sous-traitance et d’exacerber la précarité d’emploi. Quant à l’Agence des partenariats public-privé, véritable machine à PPP, elle facilitera le transfert d’activités de l’État vers les entreprises privées.

Combattre la sous-traitance

Les protections contre la sous-traitance sont encore une fois un enjeu majeur des présentes négociations. En effet, tout contrat de PPP qui comprendra un transfert du travail du secteur public vers le privé sera assimilé, en droit du travail, à de la sous-traitance. Voilà une des raisons pour laquelle le gouvernement Charest a charcuté le fameux article 45 du Code du travail l’an dernier. Il offrait certaines protections aux travailleuses et travailleurs dont le travail est confié à un sous-traitant. Avec le Code du travail actuel, l’entreprise qui obtiendrait un contrat de PPP ne serait pas liée par la convention collective et les salariés pourraient, à terme, perdre leur accréditation syndicale.

Des négociations très spéciales dans le réseau de la santé

L’État porte deux chapeaux : celui de législateur et celui d’employeur. Depuis que la convention collective est échue, en juin 2003, le gouvernement a été beaucoup plus actif au niveau législatif qu’aux tables de négociations où à peu près rien n’a progressé. Pour mener à bien sa réingénierie de l’État, le gouvernement a modifié radicalement le cadre des négociations dans le réseau de la santé et des services sociaux.

Dans ce vaste réseau, le processus de fusions des accréditations syndicales a débuté à l’automne 2004 et devrait se poursuivre jusqu’à l’été 2005. Un volet de la Loi 30 adoptée en décembre 2003, peu connu mais très dangereux tant pour les employé-es du réseau que pour la qualité des services, force la négociation au niveau local de plusieurs matières de la convention collective. Ces négociations seront difficiles, notamment à cause du fait que les ententes ne doivent pas avoir d’effet sur le budget d’opération des établissements de santé – et ce sans droit de grève. Le risque que les conditions de travail et les services offerts soient différents d’un lieu de travail à l’autre pour un même emploi est bien réel. Quel retour en arrière !

Plusieurs organismes communautaires craignent que le gouvernement leur refilent de plus en plus de responsabilités qui devraient incomber à l’État, sans les ressources matérielles nécessaires. Enfin, le gouvernement a retiré le droit de se syndiquer à des milliers de travailleuses et de travailleurs notamment celles des ressources intermédiaires et de type familial qui offrent des services d’hébergement aux personnes âgées et handicapées hors-établissement. Il a même désyndiqué ceux et celles qui l’étaient déjà, du jamais vu depuis la Grande noirceur. La tendance à faire de plus en plus appel à ces faux travailleurs autonomes était déjà bien présente et elle va s’accélérer. Voilà un secteur névralgique des soins de santé et des services sociaux, en pleine expansion, au sein duquel aucune négociation collective ne pourra avoir lieu.

L’éducation : l’incertitude

Le réseau de l’éducation n’est pas non plus à l’abri de la sous-traitance et des PPP. Il y a fort à parier que le gouvernement voudra en confier plus au privé. Les partenariats entre les écoles publiques et l’entreprise privée sont en marche depuis plusieurs années et ils prennent plusieurs formes (publicité, financement public des écoles privées, programmes taillés sur les besoins des entreprises). On peut craindre particulièrement pour les employé-es de soutien et les professionnels dont les tâches pourraient être refilées à des sous-traitants. Les nombreux projets-pilotes de rapprochement, au niveau régional, entre les commissions scolaires, les collèges et les universités pourraient mener à de nouveaux projets PPP.

Difficile de négocier quand le ministre de l’Éducation, Pierre Reid, souffle le chaud et le froid, en repoussant de mois en mois ses prises de position. On sait toutefois que les administrations collégiales regardent avec envie le processus de décentralisation qui a été appliqué à la santé. À chaque négociation, les porte-parole patronaux, particulièrement ceux du réseau collégial, poussent pour la décentralisation des négociations et des pouvoirs. C’est l’avenir du réseau collégial qui est en jeu.

Dans la fonction publique et les organismes gouvernementaux

Dans la fonction publique, le gouvernement entend remplacer deux fonctionnaires qui quittent pour la retraite par un seul nouvel employé. Le gouvernement voudrait également sabrer lourdement dans les conditions de travail de ses employé-es : ceux-ci redoutent d’ailleurs que le gouvernement ne modifie la Loi sur la fonction publique, dès le printemps prochain. Après avoir coupé 20% de ces emplois, on peut penser que le gouvernement confiera de nouvelles responsabilités aux entreprises, ce qui est fidèle à sa conception de l’État. Plusieurs PPP jugés prioritaires par le gouvernement, notamment dans les infrastructures de transport, concernent des tâches jusqu’à maintenant assumées par des fonctionnaires cols bleus et blancs.

La réingénierie de l’État est aussi à l’œuvre dans les organismes gouvernementaux. Le Conseil du trésor veut savoir lesquels pourraient faire l’objet de PPP, puis aller de l’avant. Dès février 2005, le Trésor aura en main une première vague d’études et on peut s’attendre à ce que plusieurs de ces services, actuellement offerts par des employées de l’État, soient liquidés au plus offrant. Encore une fois, c’est dans ce contexte où l’avenir de chaque organisme est pour le moins nébuleux que les travailleuses et travailleurs tentent de négocier leurs conditions de travail.

De bonnes conditions de travail pour de bons services publics

La bataille que mènent actuellement les employé-es du secteur public est une bataille citoyenne. Les PPP ne sont pas une nouveauté. Plusieurs pays dans le monde et des provinces canadiennes ont eu recours à cette forme de privatisation. Ceux-ci se sont avérés des échecs désastreux. Au Québec, on ne peut pas dire que le recours de plus en plus répandu à la sous-traitance et à la privatisation ait eu des effets bénéfiques sur la qualité des services. Au chapitre des coûts comme de la qualité des services, les employées des réseaux publics ont démontré à plusieurs reprises que les économies promises par la sous-traitance sont une chimère.

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