Éducation publique : les nouveaux assauts du privé

No 30 - été 2009

Éditorial du no. 30

Éducation publique : les nouveaux assauts du privé

Le Collectif de la revue À bâbord !

L’imbrication entre le public et le privé au Québec est de plus en plus profonde et systématique dans toutes les dimensions de la vie sociale. Les passages de l’un à l’autre se font insidieusement, pas à pas, sans véritables débats publics et nous placent bien souvent devant le fait accompli. Le domaine de l’éducation n’y échappe pas, victime lui aussi de ces changements imposés en toute discrétion, à partir de faux consensus.

Ces intrusions sont d’autant plus accomplies adroitement que le privé ne cherche pas, pour le moment, à prendre le contrôle de certains secteurs vitaux, tels l’administration des écoles ou l’application de tests, comme aux États-Unis, mais plutôt à intégrer dans le fonctionnement général de l’école une façon de diriger et de gérer qui conviennent à ses exigences et ses valeurs.

Le projet de loi sur la gouvernance des universités (un projet équivalent a aussi été conçu pour les cégeps), mort au feuilleton lors du déclenchement des dernières élections provinciales, mais prêt à être relancé sans réelles modifications, est tout à fait typique de ce virage. Calqué sur la loi de la gouvernance des sociétés d’État, ce projet vise à rendre la gestion d’une université (ou d’un cégep) semblable à celle d’une entreprise privée. Ce qui permettra de transformer une direction basée sur la collégialité en une administration au pouvoir autoritaire et fermé, aux mains d’une nouvelle élite gestionnaire, appuyée par des conseils d’administration composés majoritairement de membres dits indépendants, en réalité des gens d’affaires.

Ironiquement, cette loi a eu comme prétexte le fameux projet en PPP de l’îlot Voyageur, conçu par une UQAM sous-financée, vulnérable aux chants de sirène de l’entreprise privée – en l’occurrence, de la firme Busac – promettant mer et monde, offrant un projet mégalomane et insoutenable. On sait que les membres du conseil d’administration en provenance de l’extérieur de l’université, en principe si compétents, n’ont pourtant rien vu venir, alors que ceux de l’intérieur s’en étaient inquiétés et l’ont dénoncé sur la place publique. On voudrait donc bannir les seules sentinelles qui ont cherché à empêcher qu’une telle débâcle advienne, en les remplaçant par ceux-là mêmes qui ont créé le problème.

Ces partenariats public-privé semblent d’ailleurs le procédé inévitable par lequel passe l’expansion des universités. Pourtant, on n’en finit plus de faire la preuve de leur inefficacité, que ce soit dans le cas de l’îlot Voyageur, du CHUM, de la salle de l’OSM ou de l’autoroute 25. Après avoir étudié la situation de l’UQAM, mais aussi de PPPs à l’UQTR et à l’UQAR, des chercheurs de l’IRIS concluent : « la responsabilité de formation générale et de démocratisation de l’accès au savoir, attachée à la mission des universités publiques, se trouve systématiquement reléguée au second rang, au profit d’une perspective à courte vue, privilégiant l’entrée de fonds privés. »

L’observation d’un tout autre front permet de constater une fois de plus le grand intérêt du secteur privé pour l’éducation. Un banquier, L. Jacques Ménard, président de BMO groupe financier et du conseil d’administration de BMO Nesbitt Burns, a décidé de prendre en main le problème de l’abandon scolaire, particulièrement élevé au Québec. Dans le cadre d’ une coalition entre le public, représenté par des fonctionnaires de différents ministères et des instances régionales, et des représentants de la « société civile », en provenance du milieu des affaires et des fondations privées, il a fait publier un rapport sur le sujet, reçu en grande pompe par les médias qui lui ont donné une très forte visibilité.

Ce rapport considère assez justement le phénomène de l’abandon scolaire dans la périphérie de l’école, mais pas dans ce qui demeure malgré tout fondamental : le contenu des cours, la vie à l’école, le rapport entre l’élève et les enseignants. Ainsi, les enseignants, pas plus que leurs syndicats – éléments négligeables semble-t-il lorsqu’il s’agit de traiter de l’abandon scolaire – n’ont pas du tout été consultés pour ce rapport. De nombreux aspects, pourtant importants dans l’étude de ce problème, n’ont pas été abordés : les effets de la réforme de l’éducation, la sélection des élèves dans de nombreuses écoles, la lutte contre la pauvreté et, bien sûr, le rôle des enseignants.

Par contre, le rapport est favorable à l’intervention de fondations privées, qui pourraient contribuer à traiter efficacement le problème. Cela n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Une semaine après le dépôt du rapport, le Gouvernement du Québec dévoilait sa Stratégie d’action jeunesse 2009-2014, « une initiative conjointe entre le gouvernement et la Fondation Lucie et André Chagnon visant à lutter contre le décrochage scolaire, totalisant des investissements supplémentaires de 50 millions de dollars. » Ces Chagnon sont ceux-là même qui ont dérobé 460 millions de dollars à l’impôt lors de la vente de Vidéotron à Quebecor, selon la fiscaliste Brigitte Alepin.

Ces tentatives d’intrusion du privé dans l’éducation publique ont deux conséquences majeures. D’abord, elles imposent le modèle de l’entreprise privée à l’école, comme si celui-ci, implicitement supérieur, ne minait pas en réalité ce qui fait une éducation de qualité, c’est-à-dire : l’apprentissage de la pensée critique, une compréhension générale et en profondeur des phénomènes, sans que celle-ci ne soit nécessairement liée à des applications pratiques et rentables.

Ensuite, elles négligent entièrement le rôle des enseignants et de leurs représentants syndicaux. Exclus des instances décisionnelles, vus à la rigueur comme des fauteurs de troubles, limités par la « rigidité des conventions collectives » (dixit le rapport Ménard), ceux-ci sont tout simplement des acteurs secondaires d’une école sous la gouverne soi-disant éclairée du privé. Un gouvernement qui refuse de consulter ses enseignants quand il s’agit d’aborder les questions qui les concernent, qui leur préfère les patrons, est engagé sur une bien mauvaise voie. Il détruit un équilibre essentiel et vital dans la délicate mission de transmission du savoir.

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