Dossier : L’eau, c’est politique

Eau privée - Privés d’eau

par Gaétan Breton

Gaétan Breton

La question de la privatisation de l’eau pose, en premier lieu, la question de la privatisation proprement dite. Derrière la privatisation se cache un ensemble d’idées reçues, martelées sans cesse par les médias et qui, bien que ne trouvant aucun fondement théorique sérieux, ont été érigées au rang de vérités socialement reconnues.

Les objectifs des programmes de privatisation

Les programmes de privatisation, que ce soit en Angleterre ou au Brésil, n’ont pas rencontré leurs objectifs politiques avoués. Par exemple, ces programmes visaient à faire entrer des fonds pour financer les États et, au Brésil plus particulièrement, pour payer les énormes intérêts sur la dette. Dans les deux cas, les entrées nettes ont été négligeables, voire négatives. On a donc bradé des biens publics à vil prix et on a ajouté une série de cadeaux qui en faisaient des offres impossibles à refuser.

Dans le droit fil de l’idéologie anglo-saxonne, Miss Maggie avait aussi comme but de « démocratiser » l’actionnariat britannique. Dans le cas de BP comme dans celui de l’eau, c’est complètement raté. La très grande majorité des actions s’est retrouvée entre quelques mains et même, peu de temps après, dans des mains étrangères. Quant aux objectifs d’amélioration de la gestion, les quelques cas dont nous faisons particulièrement état ici montrent bien que l’objectif n’a jamais été atteint, bien au contraire.

Les privatisations catastrophiques

En France, les géants de l’eau ont utilisé toutes les corruptions pour arriver à leurs fins, à tel point que certains élus se sont même retrouvés en prison. Pour que les choses en arrivent là, il faut que le cas soit grave. On n’arrête pas un maire pour quelques malversations anodines. Les villes qui avaient privatisé leurs services d’eau ont vu les tarifs augmenter jusqu’à 400 % pendant que la qualité descendait au point d’entraîner des poursuites pour empoisonnement. En Afrique du Sud, la situation, comme le montre l’article de François l’Écuyer, est devenue très préoccupante.

Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, dans les négociations ou les renégociations des prêts aux pays du tiers-monde incluent toujours, en équipement standard, un programme de retrait de l’État et de privatisation des services publics. Ces privatisations amènent des hausses de tarifs pour les services et aussi pour les branchements qui deviennent hors de portée pour les citoyens. Ainsi l’État, quand les choses vont bien, reçoit les sommes nécessaires pour payer les intérêts aux pays riches, pendant que les citoyens sombrent un cran plus bas et perdent les quelques services publics dont ils jouissaient. Lueur d’espoir, ils arrivent encore parfois à se révolter et à repousser les charognards, comme ça s’est passé en Bolivie (voir l’article de Christian Brouillard).

Les pays dits développés n’échappent pas à cette logique. Rappelons-nous que l’OCDE était venu dire à Ottawa de diminuer son déficit. Le moyen de réduire les déficits rapidement, quand on contrôle si peu la production de la richesse, apparaît aux gouvernements comme étant de procéder à une vente de feu des biens de l’État. On peut ainsi payer au moins les intérêts.

Les ventes se font toutefois toujours sous les pressions des groupes d’affaires qui sont aussi ceux qui mettent au pouvoir les marionnettes qui nous dirigent et qu’ils dirigent. En conséquence, les ventes se font souvent à rabais et ne permettent pas aux États de se renflouer, les forçant ainsi à continuer leur propre démantèlement. Les citoyens, quant à eux, voient les prix des services monter en flèche pendant que la qualité diminue et que l’État doit compenser, par des baisses de taxes et des investissements sans retours, les déficiences du secteur privé. C’est cela et pire encore qui est arrivé en Angleterre (voir l’article à ce sujet).

Les exemples de catastrophes liées à la privatisation s’allonge à l’infini. En Argentine, Vivendi et Suez-Lyonnaise, alliées à Thames Water et Northwest Water et à la plus importante firme espagnole dans le domaine, Canal Isabel II, ont soumissionné pour un projet de privatisation parrainé par la Banque mondiale. Après avoir mis à pied 3 600 employés (47 %) ils ont augmenté les tarifs de 13.5 %. Au Chili, Suez-Lyonnaise a insisté pour avoir des rendements de 35 %. À Casablanca, le prix de l’eau a triplé. En Nouvelle-Zélande, laboratoire du néolibéralisme débridé, les citoyens sont sortis dans la rue contre la commercialisation de l’eau. Aux Philippines, Biwater a augmenté le prix de l’eau de 400 %.

Dans les maquiladoras mexicaines, l’eau est parfois tellement rare, que les bébés et les enfants en sont réduits à boire du Coke et du Pepsi. Ainsi, par ricochet, l’appropriation de l’eau sert aussi à générer des profits indirects pour les grandes entreprises.

La mondialisation de la privatisation

La privatisation fut d’abord une affaire locale, qui se discutait ville par ville. Avec le refinancement de la dette du tiers-monde, on a vu une offensive organisée, menée par le FMI et la Banque mondiale, pour forcer les États à se départir des services publics. Dans le sillage de ces institutions se trouvent toujours les géants de l’eau : Vivendi et Suez. Finalement, le mouvement est devenu mondial. On a vu les services publics et notamment l’eau, être proposés comme monnaie d’échange contre une réduction des subsides à l’agriculture. La provision d’eau potable et l’évacuation des eaux usées sont discutées dans le cadre des négociations sur des services qui se déroulent en continu à l’OMC et en marge de la ZLÉA. Nous pouvons donc nous attendre à de mauvaises surprises de ce côté-là.

Or, ne nous trompons pas, il sera de plus en plus intéressant pour les entreprises d’investir des sommes importantes dans le commerce de l’eau, puisque l’eau qu’on achète en petites bouteilles se vend déjà plus cher que le pétrole, à quantité équivalente, et que, de plus, les coûts d’extraction sont minimaux et les coûts de raffinage sont nuls. Les grands transferts de la ressource vont aussi devenir possibles. S’il est rentable de transporter le pétrole en pipeline sur des milliers de kilomètres, il en sera bientôt de même pour l’eau et alors, nos 6 % des réserves d’eau douce de la planète vont devenir intéressants pour les Américains.

Les Américains ont déjà vidé le sous-sol californien. Ils ont accaparé les eaux du Colorado en privant les Mexicains, ils puisent sans compter dans le Rio Grande et ils avaient des projets pour détourner une douzaine de rivières de la Colombie-Britannique vers la Californie. Ils sont en train de finir de vider l’aquifère Ogallala qui traverse le centre des États-Unis ; que feront-ils quand ils auront fini ?

Nous pouvons nous attendre à nous faire pomper l’eau sur une grande échelle si nous n’y faisons pas attention. Au Canada, qui ne résiste jamais aux Américains, si l’eau est acceptée comme faisant partie d’un accord sur les services et comme un bien commercialisable, nous pourrions avoir du mal à nous défendre. Or, la vente que nous laissons faire des eaux souterraines en petites bouteilles est déjà une acceptation que l’eau se vend.

Nous devons donc prendre des mesures immédiates pour faire toutes les pressions possibles sur le gouvernement fédéral pour qu’il ne signe pas ce genre d’accord, pour déclarer l’eau, aussi bien souterraine que de surface, bien collectif, pour cesser tous les pompages tant qu’on n’en connaît pas les conséquences et sur les nappes phréatiques (dont les taux de remplissage demeurent inconnus) et sur les accords commerciaux qui pourraient nous lier.

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