Nous serons des millions - Evo Morales et la gauche au pouvoir en Bolivie

No 26 - oct./nov 2008

Hervé Do Alto et Pablo Stefanoni

Nous serons des millions - Evo Morales et la gauche au pouvoir en Bolivie

Lu par Denis Langlois

Denis Langlois

Hervé Do Alto et Pablo Stefanoni, Nous serons des millions - Evo Morales et la gauche au pouvoir en Bolivie, Paris, Raisons d’agir, 2008, 124 p.

Petit ouvrage bien documenté allant à l’essentiel d’une réalité sociopolitique étonnante, Nous serons des millions jette un regard à la fois judicieux et réfléchi sur le premier « pouvoir autochtone » en Amérique latine, sans verser dans l’apologie d’une expérience dont l’issue est encore loin d’être concluante.

La Bolivie décrite ici est celle de la résurgence autochtone et populaire, alliée avec une nouvelle petite bourgeoisie, fusionnant à sa manière la mémoire des mouvements de mineurs, de paysans et d’Autochtones. Un chapitre porte sur la construction du Mouvement vers le socialisme-Instrument politique pour la souveraineté des peuples (MAS-IPSP), au pouvoir, qui a rompu tout lien avec les partis et politiciens traditionnels de l’élite économique, défaite aux élections générales de décembre 2005.

On regrettra cependant l’absence d’une analyse des différences entre la partie andine du pays et la plaine de l’est en ce qui a trait aux mouvements autochtones dans ces deux régions distinctes. Si les auteurs qualifient avec justesse le régionalisme des élites de la plaine d’« obstruction au changement », ils demeurent circonspects sur l’analyse des conditions particulières auxquelles font face les mouvements autochtones et paysans dans la partie orientale du pays. Car en lieu et place de la réforme agraire qu’a connue la partie andine en 1953, on y a assisté à une dépossession de la terre et des territoires autochtones et à une extension de la grande propriété foncière latifundiste.

Le dernier chapitre adopte une posture de questionnements, non sans intérêt du reste. La position « postlibérale » du MAS dépasse-t-elle l’horizon du contrôle par l’État d’une partie du PIB ? La crainte de l’inflation et le souvenir de la période de crise économique (1982-1985) porte-t-elle le gouvernement du MAS à trop de prudence sur le plan économique ? Celui-ci craint-il les caprices du marché de l’énergie sur lequel il fonde pour l’heure le financement de quelques programmes sociaux ? Les difficultés à reprendre en mains la gestion de l’eau à Cochabamba et à El Alto/La Paz – à la suite de l’expulsion de deux multinationales – traduisent-elles la prégnance d’une rhétorique de la participation communautaire au détriment d’équilibres à maintenir et d’une réelle expérimentation de voies alternatives ?

Selon Do Alto et Stefanoni, malgré l’incertitude politique constante, la conjoncture latino-américaine et l’appui extérieur dont jouit Morales demeurent des atouts solides dans le bras de fer qui l’oppose aux autonomismes régionaux. Toutefois, ajouterions-nous, l’un des défis de ce gouvernement est d’assurer la mise en place de nouvelles conditions structurelles dans la lutte aux inégalités entre classes sociales. Pays le plus pauvre d’Amérique du Sud, la Bolivie demeure une illustration patente de la richesse éhontée d’une minorité spoliatrice face à la pauvreté extrême de ceux qu’elle a historiquement dépossédés. Si le « nationalisme indigéniste » de Morales devait ne pas fournir une voie de réussite face à cet enjeu décisif, l’expérience de ce nouveau pouvoir pourrait s’effriter.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème