La santé à l’urgence, le privé impatient d’en découdre

No 11 - oct. / nov. 2005

Éditorial No. 11

La santé à l’urgence, le privé impatient d’en découdre

Le Collectif de la revue À bâbord !

En pleine canicule, le Comité consultatif sur la pérennité du réseau de santé et des services sociaux du Québec publiait son rapport Pour sortir de l’impasse : la solidarité entre nos générations. Le titre même de ce rapport donne le ton : l’avenir du réseau est menacé à cause de la hausse des coûts liés au vieillissement de la population. Pour contrer ces menaces, il « faut » notamment contrôler la dette, avoir recours à de nouvelles sources de financement dont des hausses de tarification et de taxes, créer un régime d’assurance contre la perte d’autonomie et s’engager plus à fond dans les PPP.

Certes le rapport énonce, sans élaborer, les effets des développements technologiques et des coûts des médicaments, mais à l’heure des recommandations et des propositions, le silence s’installe sur ces enjeux.

Cet énième rapport ajoute peu de nouveau aux précédents mais il amplifie à outrance les « risques appréhendés » et autres « défis considérables » qui pèsent sur le réseau. Il est question de « menace sérieuse », « d’impasse », de « finances publiques sursollicitées ». Les mêmes mantras chers au gouvernement Charest nous sont resservis, notamment cette insistance sur le Québec en tant que « province la plus endettée au Canada ». Faut-il se surprendre ? Depuis plus de vingt ans s’élabore un discours visant à convaincre la population de la vulnérabilité du système de santé, des dangers qui menacent son existence et des sacrifices à mettre en œuvre pour le sauver. Et ces sacrifices, ce sont les citoyennes et les citoyens qui devront les assumer.

Que propose essentiellement le rapport Ménard ? Que chaque personne « gère » sa santé en adoptant de saines habitudes de vie, en utilisant de façon raisonnable les services disponibles et en remplissant un bas de laine pour faire face aux aléas de la vieillesse. Exit l’universalité, l’accessibilité, le caractère public, l’intégralité des soins sur tout le territoire. Dorénavant, l’équité se réduit à « donner à chacun ce qui lui est dû » en « tenant compte de la disponibilité des ressources ». La solidarité se traduit par une assurance, « assurance contre la perte d’autonomie », et « la contribution de tous les segments de la société, individus et entreprises au financement du système ». La répartition des risques sur les personnes au nom de l’équité intergénérationnelle remplace la répartition de la richesse.

Pourtant, comme le démontrent les études successives, ce sont les changements dans les habitudes d’utilisation des services, le coût du matériel médical, celui des technologies de pointe et l’explosion des coûts des médicaments qui font gonfler les coûts de santé. Pire, c’est au Québec que la part du privé a augmenté le plus rapidement au cours des vingt dernières années. Alors pourquoi ne pas s’attaquer prioritairement à ces causes ? Parce que la logorrhée de chiffres dont est farci ce rapport, loin de se situer « au-delà de toute démarche idéologique », démontre, encore une fois, l’influence perverse de l’idéologie gestionnaire sur les décisions politiques et la volonté de l’entreprise privée de prendre le contrôle des services de santé. Le rapport Ménard réduit le débat politique à une évocation de supposés « problèmes budgétaires et financiers », occultant ainsi les autres aspects de la vie sociale : l’économie devient la priorité, la privatisation est signe de progrès. On souhaite carrément que le gouvernement se transforme en pourvoyeur financier d’un réseau géré par l’entreprise privée, laquelle ne risque rien puisqu’elle collecte directement à l’État.

À la lecture de ce rapport, force est de constater que le bulldozer de la privatisation accélère la cadence. S’appuyant sur tout ce que le Canada peut compter d’ « évangélistes du marché », ces think tanks ultralibéraux, le rapport Ménard pousse un peu plus loin les attaques contres les institutions de l’État et y distille l’inévitabilité du déploiement de la logique marchande dans les services publics. Faut-il se surprendre de ce détournement alors que les valeurs qui fondent ce rapport s’articulent autour de la compassion ? Sommes-nous condamnés au « conservatisme de compassion » si cher au président Bush ? Que non. Déjà des voix dissidentes se sont élevées contre ce rapport. Refusant d’être complices d’un tel détournement du système de santé québécois, les organisations syndicales membres du Comité Ménard, la CSD, la CSQ et la FTQ, ont refusé d’entériner les recommandations et les propositions qui nous conduisent tout droit à « un rôle accru du secteur privé que ce soit dans le financement des infrastructures et des technologies que dans la prestation des soins et des services ». Pour sa part la Coalition Solidarité Santé souhaite provoquer des débats dans toutes les régions du Québec et engager des actions pour assurer la pérennité du réseau. Le Réseau de vigilance en a lui aussi fait une priorité.

Le Collectif d’À Bâbord ! sera actif dans ce débat pour défendre ce principe inaliénable : la santé est un droit et non une marchandise. Ce droit n’est pas l’apanage d’une élite qui a les moyens de payer pour des services de santé. Les femmes et les hommes du Québec ne sont pas les « clients » d’un système mais des citoyennes et des citoyens. Nous y reviendrons.

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