Le gouvernement fédéral refuse de modifier sa loi

No 12 - déc. 2005 / jan. 2006

Étiquetage des vêtements

Le gouvernement fédéral refuse de modifier sa loi

par Richard Rothschild

Richard Rothschild

En juillet dernier, le ministère canadien de l’Industrie a refusé d’adopter une mesure qui aurait modifié la loi sur l’étiquetage des vêtements afin de permettre aux consommateurs d’en connaître la provenance précise. La mise en œuvre de ces politiques proposées par le Ethical Trading Action Group (ETAG) aurait assuré une plus grande transparence, permettant ainsi d’exercer des pressions sur les entreprises afin qu’elles respectent les droits des travailleuses et travailleurs, notamment dans les pays du Sud.

Les codes de travail et les réglementations régissant les pratiques à l’endroit des travailleuses et travailleurs sont en apparence justes et bons. Pourtant, ces codes ne demeurent, trop souvent, que lettres mortes. Au Sud, les autorités appliquent régulièrement les lois et les codes de conduite avec un laxisme notable, permettant aux patrons et aux contremaîtres d’oublier à leur guise leur existence. C’est en particulier les travailleurs syndiqués et les militants qui sont ciblés et qui essuient des menaces et des représailles en contravention des codes. D’où l’appel à la solidarité internationale qu’exprime la deuxième citation mise ici en exergue.

Chez nous, cet appel a été relevé par la coalition d’organismes de solidarité Ethical Trading Action Group (ETAG). Cette coalition (qui compte entre autres Amnistie internationale et le Maquila Solidarity Network) a soumis il y a quelques années au Bureau de la concurrence du Canada une proposition ayant pour objet de favoriser l’application de normes de travail équitables dans l’industrie de l’habillement, à l’étranger comme au Canada, en modifiant la Loi sur l’étiquetage des textiles afin d’exiger que l’adresse de tous les lieux de fabrication soit indiquée sur les étiquettes des vêtements vendus au Canada. Cette mesure (appuyée notamment par le Bloc québécois) permettrait aux consommateurs de vérifier la situation, la vraie, sur le terrain... et, le cas échéant, de mener ici des campagnes de pression contre les abus là-bas. Le Bureau de la concurrence a répondu qu’il allait mettre sur pied « une stratégie [afin] d’examiner à fond la proposition et d’évaluer ses implications pour les entreprises et les consommateurs canadiens ».

Or, il s’avère que la stratégie est beaucoup moins éblouissante qu’on ne le croirait et que le gouvernement du Canada a fait montre dans ce dossier d’un extraordinaire laxisme. Toutefois, il y a dans les circonstances quelque chose d’instructif pour nous tous, nous permettant de mieux comprendre comment le gouvernement parvient à des décisions administratives.
Comment expliquer ce « non » au grand public ? Le ministre a d’abord chargé le Conference Board of Canada (un think tank conservateur) « d’identifier les objectifs clés de la politique et de rédiger ses observations initiales ». On a ensuite donné au Public policy forum (PPF), un autre think-tank bien campé à droite, le mandat d’élaborer un rapport final [1], recommandations incluses, après avoir tenu des consultations avec des intervenants de tous côtés. Le ministre David Anderson s’est enfin saisi telles quelles (tolérance 100 %) des recommandations du rapport du PPF pour justifier sa réponse négative au projet de l’ETAG. Dans son rapport, le PPF ne mentionne pas le petit fait qu’entre ces deux démarches, l’ETAG a vivement critiqué le rapport du Conference Board, accusant l’organisme d’avoir déformé sa proposition et d’avoir négligé de considérer d’autres options susceptibles de compléter sa proposition initiale. Tant pis pour l’examen en profondeur promis.

Mais entrons dans le corps de l’étude du PPF. L’organisme a d’abord soumis cinq questions aux intervenants afin de rendre leurs réponses comparables. Toutefois on ne trouve aucune trace de comparaisons dans le texte. Ainsi, il est impossible de retracer la manière dont le PPF a pesé, articulé, déformé et rejeté les diverses observations. D’ailleurs, de son propre aveu, le « PPF n’a pas tenté de déterminer la validité ou la faisabilité techniques » des idées mises de l’avant par les interlocuteurs (Rapport, p. 8). Pire, aucune des cinq questions préliminaires ne portait d’une manière claire et sans équivoque sur l’objet, à savoir la proposition de l’ETAG.
Passons du gâchis des raisonnements aux « raisons » proprement dites. La recommandation finale du PPF est que le gouvernement « ne retienne pas » la proposition de l’ETAG, recommandation justifiée comme suit : Primo, les intervenants ne s’accordent pas, ce qui en dit plus long sur les interlocuteurs que sur la proposition. Secundo, les atteintes aux droits des travailleurs ne se limitent pas au seul secteur de l’habillement, ce qui implique que l’idée de l’ETAG n’est après tout pas inutile et qu’elle pourrait s’appliquer à d’autres secteurs. Tertio, les omniprésentes « difficultés techniques » (non spécifiées, faute d’avoir vérifié leur validité ?), auxquelles on ajoute la sempiternelle mention qu’il est « peu vraisemblable que les résultats escomptés se matérialisent ». Toutefois il n’est point suggéré que les « difficultés » soient insurmontables et le PPF a simplement omis de considérer les moyens qui auraient pu corriger ou compenser les failles.

Le ministre Emerson n’a pas tardé à faire sienne la recommandation du PPF de refuser toute amélioration des normes d’étiquetage des vêtements, tout en se vantant que « le gouvernement du Canada a toujours été un grand partisan des normes de travail reconnues internationalement ». Il occulte ainsi que le Canada n’a pas ratifié trois des huit articles clés des normes établies par l’Organisation internationale du travail (OIT). Si seulement monsieur le ministre était également un « grand partisan des normes » décentes dans la qualité des rapports qu’il achète ! À moins que ce rapport n’ait eu d’autre but que d’accorder une apparence de légitimité à son acte manqué ?

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