L’arbre qui ne cache plus rien

No 18 - février / mars 2007

Crise de la foresterie au Québec

L’arbre qui ne cache plus rien

par Benoît Perron

Benoît Perron

Le Québec traverse présentement une grave crise forestière. Une crise annoncée par des artistes et des environnementalistes depuis dix ans sans qu’aucun grand média n’en fasse écho... jusqu’à l’automne 2006. Subitement, la forêt québécoise fait la une de tous les journaux : 10 000 emplois perdus et quelque 125 fermetures de scieries depuis 2005. Pour l’industrie forestière québécoise qui compte 300 scieries, 60 usines de pâte et papier, dix usines de panneaux, et qui emploie directement et indirectement 150 000 travailleurs, c’est l’hécatombe. Comment en est-on arrivé là ?

Pour les Barons du bois, le coupable est le gouvernement du Québec, trop à l’écoute des récriminations des exaltés de l’Erreur boréale et des conclusions du Rapport Coulombe qui ont forcé l’État à charcuter de 20 % leurs droits de coupe. En conséquence, l’État, pour stopper l’hémorragie, doit leur verser immédiatement 350 millions $ et abaisser le coût du mètre cube de fibre de 13 $ à 3 $. Sinon, 5 000 autres emplois devront être sacrifiés d’ici deux ans.

Selon le ministre fédéral Jean-Pierre Blackburn, les causes de cette crise sont évidentes : « Regardez ce qui se passe quand on va trop loin avec les questions environnementales. Je ne sais pas si, demain matin, il va y avoir un chanteur pour venir en aide à nos chômeurs. Quand on va trop loin, ça nous pète au visage ! » Pour détourner l’attention de l’opinion publique et l’empêcher de connaître les racines profondes de cette crise forestière, les Barons du bois, avec la complicité des élus, déclarent les écolos terroristes seuls responsables. Pour les chantres de l’« archéolibéralisme » et autres apôtres du laisser-faire, le lobby vert du Québec constitue un frein à la création de richesse et à l’enrichissement des patrons lucides, seuls capables de faire prospérer le Québec et de rompre avec le statu quo imposé par des écolos antiprogressistes. Et si l’arbre médiatique cachait une vérité forestière que les Barons du bois ont intérêt à occulter ?

Les racines de la crise

En 1986, le gouvernement québécois promulgue la Loi sur les forêts qui entérine les contrats d’approvisionnement et d’aménagement forestier (CAAF), lesquels accroissent les pouvoirs des Barons du bois sur la matière ligneuse au détriment des salariés et de l’État. Ainsi, le taux de syndicalisation passe de 81,9 % en 1986 à 22 % en 2005. Au Québec, la forêt occupe 50 % du territoire et 90 % appartient à l’État qui n’en protège que 4 %. Tout le reste est exploité par les Barons du bois qui versent à l’État des droits de coupe. En 2001, pour chaque mètre cube de bois coupé, ces droits de coupe moyens versés à l’État se chiffraient à 11,80 $, soit 390 millions $. Au même moment, l’État leur octroyait 320 millions $ en subventions diverses. En réalité, l’industrie forestière ne génère que 100 millions $ de recettes fiscales annuellement au Québec, soit 0,3 % de la valeur marchande de la ressource.

Rien de mieux qu’une crise, réelle ou fabriquée de toutes pièces, pour forcer la main des gouvernements. En 1990 et 1991, les Barons du bois ont brandi l’épouvantail de la crise forestière afin d’obtenir l’aide de l’État tandis qu’ils se versaient 1,2 milliard $ en dividendes, tout en serinant aux médias qu’ils avaient remis 5,5 milliards $ aux gouvernements en impôts, en omettant de mentionner que 3,9 milliards $ provenaient directement des poches de leurs propres salariés, via leurs impôts et taxes.

En 1998, le ministre des Ressources naturelles, Jacques Brassard, mandate Guy Chevrette afin qu’il effectue une vaste consultation auprès de l’industrie forestière. En réalité, il s’agit carrément d’un exercice de relations publiques au profit de l’industrie qui aboutira, en 2001, à la nouvelle Loi sur les forêts, qui ne fait que confirmer les pouvoirs acquis en 1986. Dans la forêt, rien ne change : la ressource est toujours surexploitée ; trop de joueurs se disputent une ressource qui se raréfie et les obligent à aller toujours plus loin en forêt ; il y a un surplus de travailleurs tandis que les Barons du bois, préférant fermer les yeux sur la crise systémique qui approche, refusent de réinvestir leurs profits dans la modernisation de leurs usines et privilégient le versement de juteux dividendes aux actionnaires majoritaires. La crise est dorénavant inéluctable. Pour les Barons du bois, le seul remède capable d’endiguer la maladie est l’injection massive de capitaux publics.

Lobby et désinformation

Pour vendre cette posologie aux contribuables, les Barons du bois activent leurs lobbies et autres groupes de pression dont la mission consiste à inonder les grands médias de statistiques « apocapitalistiques », 24 heures sur 24. Les Barons du bois peuvent compter sur leurs antennes au sein même du gouvernement et sur d’anciens hauts fonctionnaires qui occupent des postes de lobbyistes pour l’industrie forestière. Ainsi : Gilbert Paillé, ex-sous-ministre aux Forêts dans les années 1980 devenu administrateur de l’Institut canadien de recherche en génie forestier, lui-même associé au professeur Louis Bélanger du Département de génie forestier de l’Université Laval ; Jean-Claude Mercier, ex-sous-ministre aux Forêts dans les années 1980 devenu vice-président de l’Institut de recherche sur les produits du bois du Canada ; Jacques Robitaille, ex-sous-ministre aux Forêts de 1991 à 1998 devenu président de l’Association des manufacturiers de bois de sciage du Québec. Et enfin, Guy Chevrette, devenu président du Conseil de l’industrie forestière du Québec, le puissant lobby des Barons du bois. Il importe de se rappeler qu’en 1998, Chevrette avait fondé l’organisme Forêts Québec pour le conseiller sur l’industrie forestière, composé de 11 administrateurs dont sept provenaient de l’industrie du bois. Chevrette n’est pas un inconnu pour les Barons du bois.

La main qui donne est la main qui dirige. De serviteurs de l’État, ces carriéristes opportunistes ont eu recours aux portes tournantes pour aller pantoufler dans le privé et ainsi devenir des serviteurs loyaux des intérêts des Barons du bois. Sommes-nous toutefois mieux informés en tant que citoyens parce que tous les chiffres concernant l’industrie forestière proviennent d’anciens serviteurs de l’État qui prétendent, cœur sur la main, vouloir notre bien national, pour le plus grand profit de leur nouvel employeur, les Barons du bois ?

Les crises sont profitables pour les détenteurs du capital et des moyens de production. Elles leur permettent de négocier plus facilement des concessions de la part des gouvernements, des syndicats, des salariés et des écolos. Pour ces lobbies, il importe de jouer à fond la carte des pertes d’emploi et ainsi appliquer une pression constante sur l’État, par médias interposés, face à l’urgence d’agir. Puis, quand tout le monde aura troqué son sens critique pour une sécurité d’emploi bidon financée par les fonds publics, les Barons du bois et leurs laquais lanceront une vaste campagne de relations publiques afin de promouvoir leur nouveau concept de coupe avec protection de la régénération des sols (CPRS), un nouveau nom scientifique servant de paravent à leurs coupes à blanc systématiques. Circulez, y’a rien à voir !

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