Dossier : Le droit à la ville

Pour avoir droit à la ville

Conquérir le pouvoir citoyen

par Jocelyne Bernier

Jocelyne Bernier

Le passé politique des villes québécoises, alors que seuls les propriétaires fonciers avaient droit de vote, pour ne pas dire droit de cité, continue de peser sur notre conception même de la démocratie municipale. Toutefois, entre luttes urbaines et ouverture d’espaces institutionnels de participation, depuis plus de 30 ans des citoyennes revendiquent le droit à la ville.

Dans le contexte de mondialisation, le développement des villes et des quartiers est confronté à deux logiques. D’un côté une vision portée par l’élite économique et politique qui repose sur les méga-projets poussés par les promoteurs, stimulés par la compétition internationale. De l’autre côté, la promotion d’un développement qui respecte la population résidante et s’appuie sur les dynamiques locales. Au plan municipal, cette tension se vit sur fond de déficit démocratique attribuable d’une part au statut des municipalités – simples « créatures » du gouvernement provincial – et aux faiblesses de la démocratie représentative et participative.

Au Québec, en effet, les municipalités sont souvent perçues comme des administrations décentralisées de production de services aux propriétaires dont elles tirent l’essentiel de leurs ressources via la taxe foncière. C’est le gouvernement du Québec qui définit leurs sources de revenu et leurs champs de compétence. Et la saga toute récente des fusions/défusions n’a fait qu’accroître la confusion sur les pouvoirs et responsabilités des arrondissements, des villes et des agglomérations.

Peut-on s’étonner que les élections municipales soient marquées par une faible participation ? L’absence de véritables débats sur les choix de développement découle en bonne partie de l’histoire, où les élections municipales étaient la chasse gardée des notables locaux, et des formes d’exercice du pouvoir, où certains élus gèrent la municipalité comme s’il s’agissait d’un conseil d’administration d’entreprise, sans compter le petit nombre de partis politiques municipaux, à l’exception de quelques villes dont Montréal et Québec. Comment connaître les positions des candidats et débattre des options pour le développement des villes et des quartiers ? Se présenter aux élections municipales nécessite des ressources et des réseaux de contacts pour se faire connaître et se faire élire, ce qui exclut souvent les femmes, les jeunes, les personnes de communautés culturelles ou de milieux appauvris.

Auparavant réservé aux seuls propriétaires, le suffrage universel au palier municipal date seulement des années 1970, poussé en bonne partie par l’action des mouvements citoyens. Des militants et militantes issus de comités de citoyens, de groupes populaires et du mouvement syndical ont contribué à la naissance du Front d’action politique (FRAP) à Montréal en 1970, puis du Rassemblement des citoyens et citoyennes de Montréal (RCM) en 1973 et du Rassemblement populaire de Québec (RPQ) en 1977. Portés au pouvoir dans les années 1980, ces partis ont contribué à initier des politiques et des dispositifs de participation publique. Il s’agit surtout d’instances consultatives, la décision restant entre les mains des élues. Souvent marqués par la lourdeur des règles et procédures, ces lieux ne favorisent pas l’échange et le débat entre les différents intérêts et points de vue, ni la participation des personnes moins habilitées à la prise de parole publique. C’est pourquoi on a vu naître progressivement des formes nouvelles de démocratie participative.

Au début des années 1990, les premiers Conseils de quartier à Québec ont tenté d’ouvrir davantage des espaces de participation citoyenne. Ces Conseils ne se contentaient plus de réagir aux projets de l’administration municipale, mais possédaient l’autonomie nécessaire pour permettre aux membres d’initier des projets et même d’interpeller les éluEs, sans toutefois exercer de véritable pouvoir décisionnel.

Plus récemment, les expériences d’élaboration de la politique de développement social à Trois-Rivières et du budget participatif dans l’arrondissement Plateau Mont-Royal, qui se poursuit pour une deuxième année, tentent d’élargir ces espaces participatifs. La portée de ces expériences dépend de la volonté politique d’élues qui facilitent la délibération et prennent en considération les recommandations des citoyenNEs dans leurs décisions. Lorsque ces dispositifs participatifs sont inscrits dans la charte de la Ville, comme c’est le cas des Conseils de quartier à Québec, ils sont assurés d’une plus grande pérennité, au delà des changements électoraux, mais sans la garantie du maintien d’une dynamique démocratique élargie.

Dans plusieurs villes, des coalitions locales, tables de quartier, corporations de développement communautaire mènent des actions de résistances aux projets municipaux qui menacent la qualité de vie de la population et interpellent les candidats aux élections municipales. On voit aussi émerger des initiatives citoyennes qui ouvrent des espaces publics de délibération et d’échange direct sur des enjeux collectifs et qui se font sur un mode d’initiative ou de propositions. Ces espaces peuvent devenir un lieu d’inclusion sociale où se discutent les aspirations différentes des citoyenNEs en matière de développement social, économique et environnemental de la ville ou du quartier où se côtoient les appartenances diverses et se développent les compromis nécessaires à la cohabitation dans la diversité.

L’Opération populaire d’aménagement initiée en 2004 par la Table de quartier Action Gardien dans le quartier Pointe-St-Charles à Montréal fut l’un des points d’ancrage de la résistance à l’implantation du Casino. Elle fut reprise à l’été 2007 pour développer des propositions d’aménagement alternatif sur une partie des terrains visés par ce projet. Au niveau métropolitain, les Sommets citoyens organisés par le Centre d’écologie urbaine de Montréal (SodecM) et son Groupe de travail sur la démocratie municipale et la citoyenneté ont mené la campagne pour l’adoption de la Charte montréalaise des droits et responsabilités et développé une plate-forme d’action politique et citoyenne avec un Agenda citoyen [1].

Dans le cas de ces initiatives citoyennes, le défi est d’interpeller les éluEs et de faire reconnaître la représentativité et la pertinence des propositions et des projets développés, afin de les inscrire dans les décisions et les politiques municipales. Pour dépasser les temps forts de participation et de délibération et assurer la continuité de l’action, il faut aussi des ressources que n’ont pas toujours les mouvements citoyens impliqués dans une dynamique de pression externe face à l’administration municipale.

En somme, beaucoup d’expérimentation reste à faire sur ces arrimages entre démocratie participative et délibérative et démocratie représentative. C’est l’un des objectifs du Réseau sur la démocratie municipale au Québec. Issu d’un Forum organisé par D’abord solidaires en juin 2006, ce réseau vise à rallier autour d’un agenda citoyen [2] les personnes intéressées à développer et élargir les mécanismes démocratiques dans les municipalités du Québec.

Dans cette action, il est important de ne pas être prisonnier d’un localisme, municipalité par municipalité, et de développer des réseaux d’échange d’informations et d’expériences au palier municipal dans le but d’élargir les espaces de consultation, de participation et de délibération dans nos municipalités, nos villes et nos régions ; il est aussi important de se connecter aux réseaux qui partagent les mêmes objectifs au plan national. L’action citoyenne sur le terrain municipal peut s’arrimer aux luttes pour le développement durable, pour la réduction des inégalités et un Québec sans pauvreté, aux luttes sectorielles pour l’accès universel à des services de qualité au plan de la santé, de l’éducation, de la vie culturelle, etc. Ces enjeux se conjuguent et s’intègrent dans les municipalités qui ont des responsabilités en matière de développement social, d’aménagement du territoire, d’habitation sociale, de transport en commun, de qualité de l’eau, d’accès à la culture, pour ne mentionner que quelques aspects. Cette action citoyenne locale s’arrime aussi aux enjeux internationaux comme le démontre la campagne d’ATTAC Québec pour que les villes se déclarent « hors AGCS » ouvrant ainsi un autre front de lutte contre la privatisation des services. Cette action citoyenne locale vise l’appropriation par les citoyenNEs de leur propre milieu de vie de manière à ce que chacune participe à l’amélioration du « vivre ensemble » par la mise en place d’une démocratie participative, inclusive et solidaire.

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