Dossier : Le droit à la ville

La décentralisation sur mesure

Pour les élites locales

par Yves Bellavance

Yves Bellavance

La décentralisation apparaît de plus en plus comme une quête du Graal. Après plus de 40 années de politiques, d’orientations et de livres de toutes les couleurs, force est de constater que nous sommes bien loin de la terre promise. Ceux et celles qui réclamaient une véritable décentralisation doivent se contenter d’une longue liste de promesses brisées et d’espoirs déçus.

Réglons immédiatement la question. Les décentralisations proposées ne peuvent répondre aux demandes des régions puisqu’elles ne remettent pas en question le modèle économique dominant. Pour vraiment le faire, il faudrait réformer le capitalisme en profondeur, car la structure économique est échafaudée uniquement en fonction de redevances pour les capitalistes qui contrôlent l’économie nationale mais surtout internationale. La recherche des bénéfices financiers passe bien avant la recherche du bonheur !

En attendant, la décentralisation s’apparente souvent à un simple redéploiement bureaucratique sur le territoire, un redéploiement qui épouse les contours de l’évolution du marché. C’est dans ce cadre que se sont situées toutes les moutures des lois ayant modelé puis remodelé la Ville de Montréal.

Une économie de proximité

Les partisans de la décentralisation évoquent toujours les mêmes objectifs : les régions ou les municipalités vont contrôler leur développement, sont les mieux placées pour offrir certains services et cela permettra de rapprocher les citoyennes du pouvoir.

La décentralisation et la régionalisation sont inévitablement accompagnées d’un discours sur la « démocratisation », c’est-à-dire une plus grande proximité entre les citoyens et citoyennes et le pouvoir. Mais qui diable sont ces citoyenNEs qui se rapprocheront ainsi du pouvoir ? Mon p’tit doigt et mon œil de lynx me confirment que ce sont les élites économiques locales qui profitent le plus de ce rapprochement

En soi, la décentralisation n’est pas une menace. Liée à l’éclatement des normes et balises nationales et à l’insuffisance des ressources budgétaires dans l’allocation de services, la décentralisation prend un tout autre sens et se transforme en chasse-neige ouvrant les routes à toutes les baronnies locales dorénavant collées au pouvoir. Il faut dire que le magot est alléchant. En plus des traditionnels contrats municipaux (publicité, communication, entretien, immobilier, sous-traitance en informatique, pour le stationnement et bien d’autres services), la perspective de mettre la main sur les infrastructures municipales en fait saliver plus d’un. Les impacts sur l’accès aux services (tarification des déchets, de l’eau, des services de loisirs, etc.) et sur l’appauvrissement seront dévastateurs.

Elle n’est pas nouvelle cette proximité. Rappelez-vous le financement obscur des politiciens municipaux, les élections « clefs en main », les pots-de-vin, les liens incestueux avec les promoteurs immobiliers, les multiples visites à huis clos de firmes spécialisées qui veulent notre bien… Dans la conjoncture actuelle toutefois, cela s’avère un cocktail explosif. On est prêt à beaucoup de bassesses pour obtenir un contrat. L’actualité municipale est remplie d’exemples de corruption, et ce n’est pas pour rien, comme le souligne un observateur avisé et amusé (Pierre J. Hamel, La concurrence entre le privé et le public. Faire de nécessité vertu, dans L’État aux orties ?), « la concurrence, c’est un état du marché duquel les entreprises privées cherchent à s’éloigner ». Une ville éclatée où les médias et les groupes de citoyennes ne peuvent suivre à la trace tous les élues représente un scénario idéal pour distribuer les cadeaux aux amis du privé local.

Et les mouvements citoyens là-dedans ?

Aucun nouvel espace publique n’a émergé des décentralisations successives. La population et les mouvements citoyens interviennent aux mêmes structures, font face aux mêmes façons de faire, ont le même rapport avec les arrondissements et doivent toujours innover pour attirer l’attention sur les problématiques urbaines. Bien sûr, il y a quelques petites expérimentations dans certains arrondissements, mais ces balbutiements ne sont pas tributaires de la décentralisation. Pendant que des citoyenNEs dépensent beaucoup d’énergies pour discuter d’un pourcentage infime du budget d’un arrondissement, les affairistes s’accaparent certains morceaux du gâteau et préparent l’offensive pour le gober au complet.

Au niveau central, par contre, la décentralisation a eu un impact certain. Plusieurs mouvements sociaux se sont repliés davantage vers le local, délaissant ainsi le niveau montréalais. Ce n’est ni mal ni bien. Cependant, cette stratégie a pour effet de laisser le champ libre aux rapaces de toutes sortes au niveau de la ville et de la région métropolitaine, d’affaiblir les liens entre les diverses organisations sociales et de mettre les solidarités urbaines sur la voie de garage.

Sur le terrain, nous constatons que le travail en concertation, entre groupes montréalais et locaux, est plus difficile donc plus rare. On en arrive même à se crêper le chignon sur la place publique : mon arrondissement compte plus de pauvres que le tien, je devrais avoir plus de logements sociaux, je devrais être plus financé, etc. Si les mouvements sociaux continuent sur cette lancée, il ne restera plus, à l’instar des élites locales, qu’à s’entredéchirer pour obtenir une part du magot… Pratiquement plus personne n’intervient sur la place publique, globalement avec une vision sociale de la ville. Constat : les luttes urbaines ont, elles aussi, été balkanisées.

Un défi et un nouveau champ de lutte

1. Au-delà de l’intervention locale, trouver les façons d’intervenir ensemble sur les questions globales montréalaises (accessibilité aux services, droit à la ville, pauvreté, logement, transport en commun, qualité de vie, etc.).

2. L’urgence et le devoir, en tant que mouvements sociaux, de combattre la vision d’une ville à la solde des affairistes.

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