La maladie de l’Islam

No 02 - nov. / déc. 2003

Abdelwehab Meddeb

La maladie de l’Islam

lu par Mabrouk Rabahi

Mabrouk Rabahi

Abdelwehab Meddeb, La maladie de l’Islam, Seuil, Paris, 2003

Un diagnostic de l’intégrisme

Le dernier livre du poète et romancier tunisien Abdelwahab Meddeb, écrit juste après les évènements du 11 septembre, se veut un diagnostic sérieux du phénomène intégriste.

La topologie mouvante de cette maladie ayant fait l’actualité à partir de la deuxième moitié du XXe siècle, de l’Égypte à l’Iran, du Soudan à l’Afghanistan, d’Alger à New York, nous renseigne sur un profond malaise que Meddeb tente de délimiter en portant un regard généalogique sur l’intégrisme. Un malaise qui se traduit par le fait que toute une pensée s’est nourrie du refus que l’Islam, qui avait occupé la scène pendant plus de dix siècles marqués par un apport considérable et même hégémonique, soit rangé au statut du déchu, du vaincu. Le premier chapitre, L’Islam, inconsolé de sa destitution, foisonne de tous ces noms qui ont fait la gloire de l’Islam, maillon incontournable entre la Renaissance et l’héritage gréco-romain. L’intégrisme, c’est le parti du désespoir, comme la chouette de Minerve, il a grandi sur les décombres de la cité islamique et arabe. De l’invasion Mongole de Bagdad (1250) à celle plus récente par nos voisins du sud, en passant par toutes les défaites, de la Reconquista (1492) à celle avec Israël en 1967, la pensée intégriste se veut vengeresse et prometteuse de châtiments et de calamités, d’abord aux peuples qui l’a vue naître ensuite à l’Autre tout diabolisé qu’est l’Occident.

Meddeb revient longuement et en détails sur la dialectique du Dedans de l’Islam et de son Dehors : l’Occident ; rapport engendrant une histoire belliqueuse et tourmentée. Cette histoire est revisitée sous l’égide d’un regard critique, doublé d’une connaissance parfaite des textes des deux rives de la Méditerranée. Meddeb, comme dans ses textes précédents, revient, dans le chapitre sur l’exclusion occidentale de l’islam, sur cette forclusion de la trace islamique inhérente à l’Occident, forclusion à l’origine du rejet, du racisme et du déni de l’Autre tout court.

Meddeb est allé fouiller dans les textes fondateurs de l’islamisme, ceux d’Ibn Hanbal, d’Ibn Taymiya, jusqu’aux ouvrages plus récents d’Abd al-Wahhab (fondateur du wahhabisme, la doctrine à l’origine de la création de l’État Saoudien), de Hassan Al Banna (fondateur du mouvement des Frères Musulmans en Égypte), d’Al Mawdûdi et de Sayed Qûtb, pour démontrer que leur maniement maniaque du Texte est dictée par un affect dangereux : le ressentiment, notion empruntée à Nietzsche. Notion importante pour décrire ce passage à la violence la plus abjecte. Comme il n’y a pas de fascisme sans violence organisée, comme il n’y a pas de nazisme sans génocide, il n’y a pas d’islamisme sans Jihad, mot arabe désignant la guerre sainte incluant sa version moderne du terrorisme. Ce dernier, multiforme et sans visage, celui des carnages commis en Algérie ou celui des Twin Towers, témoigne de la fascination des islamistes pour la technique dé-occidentalisée, d’où l’avatar américano-wahhabite qu’est l’État saoudien. Ben Laden n’en est que l’enfant maudit.

La maladie de l’Islam est un livre de convalescence aussi, le lecteur savourera sûrement la référence soufie, la poétique arabe et persane, les bribes de philosophie rencontrées ici et là, le long de cet essai nécessaire et audacieux.

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