Le Paradoxe de Robinson

No 13 - février / mars 2006

François Flahaut

Le Paradoxe de Robinson

lu par Claude Vaillancourt

Claude Vaillancourt

François Flahaut, Le Paradoxe de Robinson, Mille et Une Nuits, 2005.

Capitalisme et société

Le Paradoxe de Robinson de François Flahaut fait partie de ces essais qui développent une seule idée, constamment reprise, déclinée de toutes les manières. Cette idée nous est d’ailleurs annoncée avec roulements de tambours et effets de mise en scène : l’auteur nous parle de «  révolution scientifique en cours », de «  période de transition entre deux conceptions de l’être humain et de la société », d’un changement comparable «  à celui qu’a introduit la théorie de l’évolution ». Nous sommes donc préparés à entendre quelque chose de grand.

La pensée occidentale serait marquée par la conviction que l’individu précède la société, que la société sert les individus qui y trouvent divers avantages, que ces individus s’organisent en société essentiellement pour produire les biens dont ils ont besoin. Le célèbre Robinson Crusoé illustre bien cette façon de penser : seul sur son île, il mène son existence de façon rationnelle, avec les ressources dont il dispose, de façon à vivre le mieux possible. Mais Robinson est un personnage de roman, donc une création qui prend sa source dans une société organisée sans laquelle il n’aurait pu exister. Devant représenter la vraie nature de l’homme, il est en fait le produit d’une « connivence culturelle » et n’existe que dans son rapport aux autres.

Le renversement qu’il faut faire est le suivant, selon Flahaut, «  la société précède l’individu, la coexistence précède l’essence de soi ». L’individu, donc, ne se conçoit pas en dehors de ses rapports sociaux, lesquels commencent dès la prime enfance dans les liens avec la mère et la famille et se développent pendant toute l’existence.

Cette idée aurait entre autres comme conséquence de changer notre conception de l’économie, une économie qui sert essentiellement à combler nos désirs et nos besoins, et en cherchant pour y arriver à évaluer coûts et bénéfices à l’aide de chiffres et de statistiques venant appuyer une vision essentiellement rationaliste de l’expérience humaine. Cette façon de voir à la fois l’économie et l’organisation sociale a des racines profondes en Occident et se retrouve à la fois chez les penseurs des Lumières, tels Hobbes et Locke, et chez Marx.

Le constat selon lequel la société précède l’émergence de l’individu nous force à tout repenser. Flahaut insiste beaucoup sur la nécessité de renforcer le « sentiment d’exister », c’est-à-dire « conjurer le vide que toute conscience porte en soi, faire qu’il y ait quelque chose plutôt que rien ». Cela remet en question les valeurs marchandes qui nous sont imposées par les tenants de l’économisme et nous encourage à nous pencher sur nos « manières d’être » plutôt que sur nos stricts besoins.

La thèse avancée par Flahaut n’est pas aussi nouvelle qu’il semble l’annoncer et ne provoquera peut-être pas, même à long terme, le vaste changement social qu’il prophétise. Mais elle s’inscrit dans une riche réflexion sur la remise en question du capitalisme et sur les alternatives qu’on peut lui opposer.

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