Dossier : Syndicalisme, l’heure (…)

Pour contrer la syndicalisation des travailleurs migrants

Manigances et intrigues

par Roberto Nieto

Roberto Nieto

En août dernier, quatre requêtes en accréditation venaient indéniablement écrire une page historique pour le mouvement syndical au Canada. Ces requêtes ont été déposées au Québec et au Manitoba par des travailleurs agricoles migrants mexicains ayant reçu l’appui du syndicat des Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce (TUAC, affilié FTQ au Québec). Selon le communiqué officiel des TUAC, ces travailleurs « seront pour la première fois en mesure de négocier leur salaire et conditions de travail qui, jusqu’à présent, ont été établies exclusivement par les gouvernements mexicain et canadien en vertu du Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS) du gouvernement fédéral  ». Aussi, il est important d’ajouter que ces requêtes représentent de véritables tests des lois canadiennes au regard du droit syndical.

Au Québec, c’est le 21 août 2006 que trois requêtes en accréditation ont été déposées à la Commission des relations du travail (CRT) pour les entreprises agricoles Hydroserre Mirabel, Hotte et Van Winden inc. et La Légumière Y.C., ces deux dernières étant situées en Montérégie. Depuis ce jour, le syndicat lutte contre les manœuvres illégales des patrons.

En vertu du code du travail, à partir du dépôt d’une requête l’employeur doit, dans « les cinq jours de la réception de la copie de la requête, afficher, dans un endroit bien en vue, la liste complète des salariés de l’entreprise visés par la requête avec la mention de la fonction de chacun d’eux ». Mis à part Hydroserre Mirabel, dont une partie des travailleurs, des Québécois, sont déjà syndiqués chez les TUAC, les entreprises n’ont pas respecté les prescriptions du code du travail en refusant de divulguer les listes de salariés. En réaction à l’absence de réponse, la CRT a dû recourir à une ordonnance de la cour pour forcer les employeurs à fournir les listes. Aussi, c’est à la dernière minute, lorsque les agents d’enquête de la CRT se sont rendus aux fermes, qu’ils les ont finalement produites, refusant cela dit tout accès à ces derniers aux registres de paie des entreprises. En temps normal, l’agent doit faire des vérifications de terrain pour évaluer si les listes de salariés concordent, mais les représentants syndicaux ont dû recourir à une nouvelle ordonnance de la cour pour que les employeurs donnent les livres de paie à la CRT. Après presque 60 jours d’attente, il était encore impossible d’avoir une confirmation, voire une entente, sur les noms et le nombre des salariés reconnus avoir été engagés par ces deux employeurs. Ce n’est que lorsque la Cour allait condamner les employeurs pour outrage que ces derniers ont finalement fourni les listes. De mémoire syndicale, personne n’avait encore vu des irrégularités du genre.

Les fermiers ont aussi voulu renvoyer prématurément des travailleurs dans leur pays pour empêcher le processus syndical. En effet, dès le 5 janvier, la ferme La Légumière a informé à trois travailleurs, avec seulement 15 heures de préavis, qu’ils seraient renvoyés par le prochain vol au Mexique. Deux d’entre eux ont décidé d’accepter ce rapatriement forcé, mais un autre, Bonifacio Santos Moreno, a décidé de rester pour mener la lutte à terme. Après une brève bataille légale, le syndicat a obtenu une petite victoire lorsqu’un commissaire de la CRT a ordonné à l’employeur de réintégrer le travailleur jusqu’à la fin normale du contrat de travail.

Pour le moment, l’argumentation des employeurs contre la syndicalisation des travailleurs étrangers repose sur un alinéa de l’article 21 du code du travail, spécifique aux fermes, qui indique que « les personnes employées à l’exploitation d’une ferme ne sont pas réputées être des salariés […] à moins qu’elle n’y soient ordinairement et continuellement employées au nombre minimal de trois. » Il est donc question pour les fermiers de nier, entre autres, que des membres de leurs familles se trouvent sur la liste de paie de façon continuelle puisque les travailleurs migrants, de leur côté, oeuvrent dans les champs 4 à 8 mois par année.

Jusqu’à présent, les démarches ont été extrêmement lentes et la mauvaise volonté des employeurs a été manifeste. Les listes de salariés reçues par la CRT et le syndicat sont inondées de noms, allant même jusqu’à identifier des travailleurs temporaires locaux sous l’identité incertaine de « chèques au porteur », ou avec seulement des prénoms. En d’autres termes, les employeurs présentent des listes d’individus « non identifiés » comme ayant travaillé pour eux, ce qui est une admission d’avoir engagé des travailleurs illégalement.

Quoiqu’un déblocage sur ce point élémentaire soit éventuellement assuré, il est probable que les tactiques patronales s’étendent sur plusieurs mois encore, cela alors que de leur côté les travailleurs étrangers sont déjà massivement retournés chez eux. Ce sont les représentants syndicaux qui pousseront le dossier légal, cherchant bien évidemment à assurer le retour des mêmes travailleurs l’année prochaine.

Il est déjà certain que les démarches légales ne porteront pas seulement sur des arguments « élémentaires » de droit reliés au code du travail, comme ceux présentés jusqu’à présent, mais qu’il y aura aussi des considérations de droit international qui seront amenées, suivies de requêtes de toutes sortes. Aussi, il est important de souligner que les deux fermes de la Montérégie ne font pas « cavalier seul » (puisqu’elles partagent le même avocat), car il y a aussi la Fondation des entreprises en recrutement de main-d’œuvre étrangère (FERME), une sorte d’agence patronale de placement des travailleurs, qui contribue à alimenter l’opposition au processus syndical et qui lancera sans doute son avocat dans la mêlée.

Jusqu’ici, peu d’attention a été portée sur la piste très complexe de ce débat juridique sans précédent qui aura de nombreuses répercussions au niveau de la main-d’œuvre locale et étrangère, des législations nationales et internationales et de l’industrie agricole (car il est question d’industrie et pas de petites fermes familiales). Il sera intéressant de savoir si ces travailleurs ont de facto, ou non, le droit de former un syndicat, ou si leur contrat de travail sera à tout jamais imposé par le gouvernement canadien.

Ce qui est sûr, c’est que cette histoire sera à suivre au cours des prochains mois…

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